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III
Pierre et Georges.

Table des matières

Pierre Rouget, né chétif, devint robuste.

Georges Desnoires, né vigoureux, devint délicat.

Grâce aux seigneurs châtelains, Pierre n’avait manqué d’aucun des soins nécessaires à sa première enfance. Sa mère, n’étant pas obligée de gagner péniblement le pain de chaque jour, put se consacrer à lui, tout en gardant le petit Georges, dont elle secondait la nourrice. Aidée elle-même par l’excellente Jeanneton, marraine de son fils, elle le sauva.

Pierre se développa ensuite en pleine liberté; il vivait au grand air, s’essayait aux travaux des champs et se livrait à des exercices continuels. Au bout de peu d’années, sa turbulence même l’avait rendu le plus fort des bambins de son âge.

Georges, bâti à chaux et à sable, comme avait dit le docteur, dut à sa seule constitution de ne point trop souffrir des excès de précautions dont il ne cessa d’être l’objet. Il s’en ressentit pourtant. Sans être précisément maladif, il était faible, sensible aux moindres variations de température, sujet à des rhumes continuels et d’autant plus gâté qu’on s’exagérait le mal. Ses parents n’osaient le contrarier, l’adulaient et toléraient ses plus déraisonnables caprices. Avec l’instinct égoïste de l’enfance, il en abusa; c’était inévitable. Tout en l’efféminant, on l’avait rendu vaniteux, impérieux, tyrannique.

Au physique, il était charmant: traits fins, corrects, distingués, physionomie intelligente, profil aquilin, teint blanc et rose, beaux yeux noirs, noire chevelure naturellement bouclée. Le nom du domaine paternel et la présence de Rouget, son contraste évident, étaient deux raisons de plus pour qu’il ne pût échapper au sobriquet campagnard de Noiraud.

Les traits de Pierre étaient grossiers. Son teint parsemé de taches de rousseur, ses cheveux ardents et raides, ses yeux gris et laids, sa physionomie maussade, ses gestes rudes et brusques, sa voix criarde, le rendaient parfaitement désagréable. Il était opiniâtre, volontaire et trop souvent taquin. Comme dominé par une jalousie précoce, il semblait prendre à tâche d’irriter Georges. Sa mère le gourmandait sévèrement, ne laissait impunie aucune de ses méchancetés, mais ne parvenait point à l’assouplir.

Affligée de ses mauvais penchants, la pauvre Pierrette vivait dans des transes continuelles.

–Si Pierre ne se corrige pas, disait-elle à son amie Jeanneton, il faudra que je quitte ma place. et comment vivre après?

–Le Noiraud est pas mal méchant aussi, ma chère, et notre Rouget, au bout du compte, n’a pas toujours tort.

–Si fait!… Il a toujours tort de ne pas m’obéir! Je lui ai tant recommandé de ne jamais faire pleurer M. Georges!

–Un douillet qui crie pour rien, fiérot, susceptible, méprisant, trop caressé. Pierre est jaloux, et dame! à son âge, on n’a pas encore assez de malice pour cacher son sentiment.

–Les défauts de M. Georges ne nous regardent pas, ma chère. Nous mangeons le pain de ses parents. Ils ont été bons pour nous comme les anges du bon Dieu, vous le savez assez, pas vrai? Sans eux, aurais-je jamais pu sauver mon enfant, tant il était maigrot et malsain en venant au monde? Sans eux est-ce que je vivrais moi-même? J’étais quasi morte, vous vous en souvenez, et pour revenir de si loin, un bon lit, un bon feu, des bouillons, de bonnes paroles qui me rendirent ma tranquillité d’esprit, rien de tout ça n’a été trop. Monsieur et Madame nous ont donné la paix, la santé et quasiment la vie!. S’ils caj olent leur petit Georges un brin de trop, peut-être bien, je suis forcée, moi, de les en aimer davantage, puisqu’ils ont tout de même la bonté de supporter mon Rouget. Tenez, Jeanneton, plutôt que de rendre le mal pour le bien, je préférerais être morte et mon gars avec moi!

M. et Mme Desnoires s’étaient bien des fois entretenus des ennuis que leur occasionnait l’enfant de Pierrette; bien des fois ils songèrent à éloigner du château la malheureuse veuve et son garnement de Rouget, mais toujours la résignation et le zèle dévoué de la mère avaient trouvé grâce pour les méchancetés du fils.

–La distance qui doit exister entre les deux enfants ne cessera d’augmenter. A l’avenir, nous passerons nos hivers à Paris. Georges entrera au collége, et dès que Pierre sera d’âge à servir, ce qui ne peut tarder, nous le placerons dans la plus éloignée de nos fermes. Patience donc, un peu de patience!

–Patience! disait de son côté la bonne Jeanneton, ne vous désolez pas de même, Pierrette. Notre Rouget changera en grandissant.

En grandissant, Pierre Rouget ne changea que de mal en pis. Malgré les corrections maternelles, il se rendait de jour en jour plus insupportable. Insolent, maussade, brutal, il se faisait généralement exécrer, et mettait sa mère au désespoir, en affichant à tous propos son aversion croissante pour Georges «le Noiraud, le richard, le fier, le fainéant, le propre à rien.»

A la vérité, Georges, choyé, flatté, encensé à toute heure, était déjà le plus haïssable petit faquin qu’on pût imaginer. Avec un aveuglement incroyable, ses parents ne soupçonnaient point ses défauts. Pierrette en gémissait et gardait un douloureux silence. Seule de tous les domestiques, elle aimait en M. Georges le fils de ses bienfaiteurs, elle ordonnait à son gars de le respecter; elle eût voulu pouvoir le défendre des mépris de la valetaille. Mais parmi les laquais et les femmes de chambre qui, dans les appartements, s’étaient courbés servilement devant l’enfant gâté, c’était à qui prendrait sa revanche.

A l’office, à la cuisine, Pierre se trouvait à bonne école pour recevoir des leçons d’ingratitude et d’envie. On déchirait les maîtres, on se moquait de leurs travers, on les déclarait trop heureux et privilégiés fort injustement. Pierre se pénétrait de ces discours enfiellés. D’odieuses railleries contre les sentiments exaltés de reconnaissance de sa mère portaient en outre atteinte à son respect filial.

Pierrette, irritée, fut la première à demander qu’on l’envoyât garder les bestiaux à la métairie aux Meules, distante d’une bonne lieue.

Georges, emmené à Paris, y fut toujours flanqué d’un précepteur complaisant qui le conduisait jusqu’aux portes du collége, l’en ramenait après les classes, et le préservait des leçons d’égalité que les écoliers se distribuent d’ordinaire. Chaque année, il reparaissait à l’époque des vacances, plus dédaigneux et plus dur pour les paysans.

Jadis, tous les braves gens du canton, unissant leurs vœux à ceux de la famille Desnoires, avaient ardemment souhaité que M. Charles eût un fils. A cette heure, on déplorait sa naissance.

On n’aimait pas le Noiraud; on détestait le Rouget.

L’un était encensé, l’autre humilié à toute heure.

L’un était une idole, l’autre un rebut.

Rudoyé, malmené, châtié avec une sévérité rustique, traité en paria par les derniers des valets de charrue, Pierre se montra plus hargneux, plus têtu et surtout plus envieux que jamais. Il nourrissait pour Georges une haine croissante.

A la vérité, Georges, se sachant fils de quelque chose, le lui fit fort insolemment sentir, et Pierre avait eu tout le temps d’apprendre qu’il était un enfant de rien.

En allant garder ses vaches, Pierre Rouget rencontrait souventes fois Miette, la gentille enfant de Jacques Tégot, le meunier.

En allant se promener sur son poney, M. Georges avait si bien remarqué le joli minois de Miette, qu’il ne manquait guère de diriger sa promenade du côté du moulin, situé sur une hauteur, un peu plus près de la métairie aux Meules que du château Desnoires.

On a beau être sauvage et têtu, on a beau être fier et pédant, on n’est point pour cela insensible aux grâces naissantes d’une fraîche blondine, mignonne comme l’était la fillette à Jacques Tégot.

Rouget et Noiraud

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