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IV
Miette.

Table des matières

–Bonjour, Miette.

–Bonjour, monsieur Georges.

–Bonjour, la gentille blondine.

–Bonj our, monsieur le noiraud.

Jacques Tégot venait de partir pour le bourg, et les ailes du moulin étant arrêtées ne pouvaient effrayer le poney de l’écolier, qui fit halte pour essayer de prolonger la conversation. Chose rare, Miette était seule, si toutefois on ne tient pas compte du chien de garde couché à ses pieds. Assise sur le talus de clôture, elle tricotait une paire de mitaines.

–Aimes-tu les bonbons, Miette? demanda Georges.

–Oui, répondit-elle, mais je n’aime pas à être tutoyée par les petits messieurs comme vous.

–Tu es donc bien fière, toi?

–Pas tant que vous, m’est avis.

–Tu peux pourtant me tutoyer à ton aise, je ne m’en plaindrai pas.

–Merci, monsieur Georges! Si on m’entendait, on croirait que j’ai de l’amitié pour vous.

–Eh bien! tant mieux!J’en ai bien pour vous, Miette, tout plein le cœur.

–Oh! oh! fit Miette en se levant, voici du nouveau, c’est drôle!…

Le chien se leva aussi, renifla et montra les dents.

–Tout beau! Loulou, tout beau, là!. ne nous fâchons pas encore. Dites donc, monsieur Georges, si mon père était ici, me parleriez-vous de même?

–Pourquoi pas, Miette? répondit Georges avec un certain embarras.

–Je ne suis qu’une petite fille de campagne, moi; je ne sais pas encore lire comme il faut, au lieu que vous, monsieur Georges, vous êtes savant dans le latin; malgré ça, je vois bien que vous ne dites pas la vraie vérité sans menterie.

–Miette, la vraie vérité, c’est que je t’aime tant que je ne pense qu’à toi. Toute la journée, je ne fais que regarder le moulin. Aussitôt que je puis m’échapper, je cours par ici, rien que pour te voir un peu et te dire bonjour en passant.

Miette fit un petit geste d’impatience. Loulou se prit à grogner sourdement.

–Encore une fois, monsieur Georges, ne me tutoyez point, ou je m’en vais. Et après, soyez franc, ou vous ne tirerez plus de moi bonne ni mauvaise parole.

–Vous êtes sévère, Miette.

–Bien au contraire; si je n’avais pas mon idée, je serais déjà enfermée au moulin et je vous laisserais en conter tout à votre aise à mon Loulou.

Le chien, entendant son nom, se mit à japper, leponey de Georges fit un écart. Miette, perchée sur son talus, éclata de rire.

–Méchante! murmura l’écolier, vous n’avez donc aucune amitié pour moi?

–Et pourquoi en aurais-je, s’il vous plaît? Pour qui êtes-vous bon, aimable et généreux dans le canton? Vos père et mère vous ont trop gâté, monsieur Georges; et vos domestiques, qui vous flattent par devant, par derrière ne disent de vous que du mal. Personne, personne ne vous aime, hormis pourtant la bonne Pierrette. Voilà ce qui se dit à la veillée dans tout le pays. Les vieux comme les jeunes ne s’en gênent pas, et, dame! je les ai entendus, je les ai compris, de reste, moi, sans être pour ça ce qui s’appelle méchante.

–Pardon, Miette! un mot, dit Georges d’une voix étouffée.

–Doucement, monsieur Georges, je n’ai pas fini. Oh! j’ai bien vu depuis tantôt six semaines, que vous rôdiez à l’entour de moi, cherchant un moyen de me parler quand mon père n’y serait pas. Eh bien, moi aussi, je pensais à vous, monsieur Georges, et je vous attendais tranquille. Pour vos bonbons, pour votre amitié, grand merci! Mon idée à moi, était de vous dire une fois, en droiture, toute la vérité. Qui sait si vous n’en ferez pas votre profit quelque jour. Adieu, monsieur Georges! Par la grâce du bon Dieu, devenez bon, et on vous aimera.

Sur ces mots, Miette sauta en dedans du talus et disparut, laissant Georges confus, les yeux remplis de grosses larmes.

Pierre Rouget, conduisant ses vaches, arriva presque au même instant sur la lande du moulin. De loin, il avait parfaitement vu Georges sur son petit cheval et Miette sur le talus de clôture. Tout d’abord il pressa le pas avec colère, mais dès que l’alerte fillette se fut enfuie, il se ralentit, ne sachant trop s’il s’approcherait davantage ou s’il s’arrêterait. Ses vaches se prirent à brouter.

Tulipan, son gros chien, bête passablement sauvage, aboya au poney; Loulou en fit autant, sauta hors de l’enclos et prouva que la voix d’un chien-loup vaut bien celle d’un boule-dogue; en trois bonds, Tulipan eut rej oint son camarade du moulin. Harcelé par les deux chiens, le poney se cabra. Par bonheur, Georges était excellent cavalier.

–Paix, Loulou! paix donc!.. criait-il. Et toi, l’ami, retiens donc ton maudit animal.

–Moi son ami! murmura Pierre Rouget en tournant le dos et riant sous cape.

Il tira de son bissac un morceau de pain de seigle qu’il frotta d’oignon.

Les deux chiens redoublaient de rage. Le poney effrayé ruait. Georges jeta un cri de colère mêlé d’effroi.

De la fenêtre du moulin, Miette força Loulou de rentrer.

–Rouget!… Rouget!… dit-elle ensuite, rappelle donc ton Tulipan.

Le jeune vacher se retourna vivement et siffla son chien.

–Merci, ma chère Miette! dit Georges, dont le cheval écumait.

–Il n’y a pas de quoi, répondit la fille du meunier, revenue sur le talus d’où elle regardait tour à tour Pierre Rouget et Georges Desnoires.

Le vacher menaçait de sa houlette le farouche Tulipan et regardait en dessous l’écolier, qui mettait un évident amour-propre à contraindre son poney au repos.

–Monsieur Georges, dit enfin Miette, remerciez donc aussi votre frère de lait.

Pour le coup, Georges lâcha la bride et repartit au galop.

Miette se remit à tricoter ses mitaines.

Pierre s’approchait lentement, les yeux baissés; il s’arrêta, fit quelques pas encore, osa enfin regarder en face la blondine, qui souriait, et dit non sans quelque effort:

–Bonjour, mamzelle Miette.

–Bonjour, Rouget. Mais qu’as-tu donc à m’appeler mamzelle?

–Dame!fit Pierre, c’est que je n’ai pas coutume de vous parler, quoique ça.

–Je te fais donc peur, Rouget?

–Oh que non! Bien au contraire, c’est moi qui avais idée de vous faire peur à vous.

–Et pourquoi aurais-je peur de toi?

–Le Rouget. le Rouget est si méchant, qu’ils disent tous! Quand je viens sur cette lande avec mes vaches, je pense à part moi que je voudrais bien causer un brin avec la fille au père Tégot… mais je n’ose pas approcher, et je m’en vas pour des huit jours sur les autres pâtures sans avoir le cœur de revenir. le jour, s’entend!…

–Tu viens donc la nuit?

–Voir la lumière à vos fenêtres. Des fois vous chantez. Ça me fait tout plein plaisir, et pour lors, je rentre aux Meules plus content, je dors plus tranquille.

–Dis donc, Rouget, l’autre semaine, c’est toi, je gage, qui as tué le loup dans le bois aux Caillottes?

–Pourquoi pensez-vous ça, mamzelle Miette?

–Puisque le matin on a trouvé le loup mort, que tu viens ici de nuit et que le bois aux Caillottes est sur le chemin des Meules.

–Comme vous devinez ça! Eh bien! oui, c’est moi! Mais n’allez pas le dire, au moins. On ne vous croirait pas d’abord, et puis les autres m’empêcheraient de sortir le soir.

–C’était un grand loup, Rouget. Est-ce que tu as eu bien peur?

–J’ai eu peur, tout de même, mais pas trop! Au clair de la lune, je le vois venir sur moi, la gueule ouverte. J’y enfonce ma houlette et je pousse tant fort que je puis. Il reculait pour se dégager et sauter sur moi; je fonçais toujours, jusqu’à temps qu’il cogne contre un arbre.

Pour lors, il se lève sur ses grandes pattes de derrière, je ne lâche point et je le tiens cloué de même plus d’une heure. La lune s’était couchée, il faisait tout noir, la force me manquait, j’avais la sueur par tout le corps, et je commençais de trembler. Je pensais bien à monter après l’arbre, mais je n’y voyais goutte. Pour lors, je retire ma houlette, je me lance sur la route et je cours sans regarder par derrière. J’avais étouffé le loup, il paraît. Une autre fois, je n’aurai pas si grand’peur.

–Quand tu tenais le loup contre l’arbre, Rouget, pensais-tu à ta pauvre mère, au moins?

–A ma mère, non… à une autre, je ne dis pas… Est-ce qu’elle m’aime, ma mère? elle m’a toujours grondé, battu et appelé rien de rien; elle me préfère son M. Georges. Si le loup m’avait mangé, tout le monde aurait dit: C’est bien fait!…

–Non! pas tout le monde! interrompit vivement Miette, et surtout, avant tout, pas ta bonne mère, la vraie brebis du bon Dieu!… Tiens! Rouget, tu as du courage, tu es bon travailleur quand tu veux, tu es fort et malin, tu as plus d’idée que pas un sur n’importe quoi. Mon père le dit, vois-tu, et mon père s’y connaît. C’est bien dommage que tu tournes au mal tant de bonnes qualités.

–Des bonnes qualités à moi! s’écria Pierre Rouget. Ah! mamzelle Miette, vous êtes la première à me le dire. Je vous aimais bien avant!… Quand je me battais contre le loup, c’était à vous que je pensais. Oui. Et ma plus grande peur, c’était de ne plus vous revoir… Mais, à cette heure que vous ne me méprisez point, comment donc vais-je vous aimer?

–Comme celle qui ne veut pas te gronder, ni t’appeler méchant, jaloux, ingrat, partageux et le reste. Assez d’autres sont durs pour toi. Mon père dit qu’on ferait mieux de te prendre un brin par la douceur, puisque les menaces ni les coups ne te font rien… Mais pourtant ta mère t’aime bien et tu ne le lui rends pas, au lieu que moi, vois-tu, je ne t’aime pas encore.

–C’est-il donc le Noiraud que vous aimez, par hasard? interrompit brusquement le gardeur de vaches.

–Bon!… déjà prêt à se fâcher!…

–Non, non! excusez-moi, mamzelle! Seulement, la main sur le cœur, là, le trouvez-vous meilleur que moi?

–Mon père dit qu’on l’a trop gâté, et qu’il aurait grand besoin d’apprendre un peu la misère.

–Ah!… Et c’était-il ce que vous lui disiez ce matin, mamzelle Miette?

–Peut-être bien, monsieur le curieux!…

–Peut-être bien! répéta Pierre en réfléchissant.

–Ecoute! reprit la jeune blondine, veux-tu me faire plaisir? Appelle-moi tout bonnement Miette… Je ne suis pas une demoiselle de château.

Pierre était ravi.

–Ah! je vois mon père! s’écria joyeusement la fillette. Adieu, Rouget!… Aime mieux ta mère et sois bon!… Adieu!

Sur ces mots, prenant son élan, elle courut à la rencontre de l’honnête Jacques Tégot, un sage en veste de bure, qui, veuf depuis un an,–cherchait femme sans en rien dire à personne.

Rouget et Noiraud

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