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VI
Tulipan.

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Table des matières

Le fusil sur l’épaule, accompagné du valet de chiens qui conduisait la meute, Georges, en élégant costume de chasse, s’en allait à travers bois, de manière à couper la route par laquelle, en revenant de l’école du bourg, Miette regagnait le moulin paternel.

Dans la poche de Michel flottaient quatre belles pièces de vingt francs. A la vérité, dans la carnassière de M. Georges, se trouvait un affreux petit volume, clandestinement acheté à un colporteur, pour une cinquième pièce de vingt francs, par l’ingénieux valet de chiens.

Quand on s’expose à six mois de prison, il est assez naturel qu’on fasse un bénéfice proportionné. A ce compte-là, le colporteur fit encore un marché de dupe.

Mme Desnoires,–on le voit,–avait bien placé la bourse grassement garnie dont elle gratifia M. son fils.

En lisant avidement, la nuit, en relisant à haute voix dans les bois taillis l’exécrable livre auquel le valet de chiens ne manqua pas d’ajouter de grossiers commentaires, Georges ne songeait qu’à Miette, à sa bouche fraîche comme les roses de mai, à ses beaux yeux bleus remplis d’une douceur charmante, à sa taille qui commençait à se dessiner, à ses beaux cheveux blonds, à toutes ses gràces naïves, et surtout à son innocence virginale, dont le livre pervers faisait sentir tout le prix.

Dans la clairière des Caillottes, le jeune chasseur rencontra Rouget, qui se garda bien de le saluer. Ils échangèrent pourtant des regards où se peignaient, d’un côté, le plus impertinent dédain; de l’autre, l’insolence et la jalousie la plus farouche.

Chassez le naturel, il revient au galop.

Laissez subsister les causes, les effets se reproduiront.

Quelques mots répétés par une enfant pouvaient-ils bien contrebalancer quinze ans de flatteries pour l’un, quinze ans d’humiliations pour l’autre?

Le lendemain de la journée aux deux miracles, Rouget et Noiraud échangèrent quelques paroles amicales.

Le surlendemain, Miette ayant accepté les bonbons de M. Georges, dont elle offrit une bonne part à Pierre Rouget, Pierre, en rentrant aux Meules, déchira en mille pièces la veste que sa mère lui avait apportée. Déjà le bien que l’on commençait à dire de M. Georges avait rallumé toute sa haine et réveillé en lui le souvenir des propos de la valetaille des Noires.

–Le beau mérite, quand on ne manque de rien, de faire l’aumône!… Les riches sont généreux à bon marché!… De quoi se privent-ils, s’il vous plaît, pour se donner le plaisir de se faire appeler des bienfaiteurs? D’où vient leur argent? du travail du pauvre monde.– Qui laboure, qui cultive, qui se donne du mal?.– On se tue à la peine pour leur procurer de quoi vivre en gens de loisir.

Michel, le valet de chiens, un gaillard qui se connaissait en bons livres, n’avait pas été le dernier à émettre ces triomphants arguments en présence de Pierre Rouget, qui, malgré son jeune âge, comptait déjà parmi les partageux du canton. L’ivraie avait germé en terrain excellent.

D’autre part, on ne sait quel vaurien du bourg, ayant surpris le Rouget en conversation avec le Noiraud, n’avait pas manqué d’en faire des gorges chaudes. Les dix écus de prime donnés à Pierre pour avoir tué le loup lui permirent d’aller au cabaret. Les partageux ses camarades, l’y accueillirent par des huées.

–Ton M. Georges, lui dit-on, se gaussait hier chez le curé de ta bataille contre le loup et de tes dix écus.

Pierre n’était pas endurant;–il se fâcha, porta les premiers coups, se fit rosser et arrêter par la gendarmerie. Il passa quatre jours en prison, paya vingt francs d’amende, en dépensa dix pour racheter des vêtements, car dans la bagarre les siens avaient été mis en lambeaux. Sa mère désolée le gronda sévèrement, son maître le traita de «mauvais chien qui ne vaut pas un coup de fusil,» Miette ne se montra plus à lui quand il ramena ses vaches sur la lande, et pour comble d’ennui, il apprit des garçons du moulin que M. Georges y avait été fort passablement reçu par leur patron en personne.

Le rancunier Rouget était donc fort mal disposé quand, dans la clairière des Caillottes, il vit venir le jeune châtelain. Son premier mouvement fut de tourner le dos et de s’enfoncer dans le bois, mais ses vaches paissaient tranquillement: pourquoi les déranger?

–Tant pis! je reste!. fit-il.

Et avec son opiniâtreté des plus mauvais jours, il regarda fixement Georges, qui dit à haute voix:

–Voilà bien le plus insolent ingrat qu’on ait jamais vu!

–Voire! riposta Pierre. Le Rouget a salué le premier, l’autre fois; chacun son tour!… J’ai déchiré ta fameuse veste!… Merci!

Georges haussa les épaules. Il avait un fusil, il était accompagné par Michel, sa meute était capable de tenir en respect le farouche Tulipan, mais, eût-il était seul, son orgueil, selon toute apparence, lui eût inspiré les mêmes mots et le même geste. Rouget reprit avec colère:

–Le Noiraud qui se gausse du tueur de loups a dix chiens, un fusil et un valet: c’est apparemment le cas de faire son faraud!…

Georges se retourna vivement. Tulipan grognait, mais la meute, tenue en lesse, flairait le sol. Pierre, appuyé sur sa houlette, ricanait.

–Laissez-le crier, monsieur Georges, nous sommes pressés, dit Michel à demi voix.

Voyant que Georges cédait à l’avis de son valet, Pierre dit encore:

–Michel mène les chiens blancs et noirs!…

Et d’aventure il n’y avait pas un seul chien noir dans la meute.

Pour le coup, Georges arma son fusil et faillit ajuster Rouget; Michel l’entraîna dans le bois.

–Monsieur, dit-il bientôt, m’est avis que nous ferions aussi bien de rentrer pour aujourd’hui; le Rouget va se mettre à nos trousses.

–Non!… regarde!… Il prend le chemin des Meules.

–C’est vrai!. Eh bien, allons!

Un quart d’heure plus tard, Miette, son panier sous le bras, quittant le chemin vicinal, prenait le sentier sous bois qui mène à la grand’lande. Elle venait de dire adieu à ses compagnes d’école, nombreuses au sortir du bourg, mais qui se dispersaient peu à peu. Comme d’ordinaire, elle achevait la route toute seule, en chantant des cantiques, en cueillant des fleurs, parfois en récitant à haute voix ses leçons, presque toujours en sautillant avec l’innocente gaîté de son âge.

Elle entendit un coup de fusil; elle entendit aboyer la meute qui battait le fourré. A peine y prit-elle garde. Les châtelains, sans doute, chassaient de ce côté-là.

Georges parut, le fusil en bandoulière, et courut à elle. L’enfant sourit:

–Bonne chasse! dit-elle.

–Merci! c’est bien ça! fit Georges, qui essaya de l’embrasser brusquement.

Miette recula effarouchée.

–Vous m’attendiez au passage! murmura-t-elle.

–Avec la plus tendre impatience, répondit Georges, dont les gestes et les regards enflammés l’épouvantèrent.

–Laissez-moi!. laissez-moi passer!. dit-elle en se débattant.

–Je m’en garderai bien, chère Miette. Attends! Ecoute.

La fillette jeta un cri perçant qui se confondit avec les aboiements de la meute.

–N’aie donc pas peur!.. disait Georges, qui l’avait prise par le bras.

–Ah! vous me tutoyez encore!… Vous redevenez méchant, vous aussi!. Au secours! au secours!.

Par un effort désespéré, elle se dégagea, eut la présence d’esprit de jeter son panier dans les jambes de Georges, qui trébucha, tomba et se releva en jurant comme un forcené.

Miette s’était réfugiée derrière un arbre. Georges se précipita sur ses pas, priant, menaçant, blasphémant tour à tour. Malgré sa terreur, la petite fille se maintenait auprès du sentier, tournait autour des arbres et se rapprochait ainsi du chemin vicinal. Georges, pour l’empêcher d’y trouver asile, cessa de la poursuivre dans le bois, prit le sentier et courut de manière à lui barrer le chemin. Miette devina qu’il comptait la rejeter dans les taillis, ses cris redoublèrent; elle s’élança du côté où elle entendait la meute, aperçut le valet Michel, l’appela et se crut sauvée.

Michel, qui avait embusqué son jeune maître, était trop madré pour faire semblant d’entendre: il s’éloigna.

Miette, épuisée de fatigue, poussa un dernier cri de détresse; Georges l’atteignait, mais, au même instant, un énorme chien de vacher sauta entre elle et le jeune chasseur.

Si la généreuse Miette n’avait retenu Tulipan, Georges était étranglé sur place. Il en fut quitte pour un pan de sa veste de velours.

Michel accourait d’un côté, Pierre Rouget de l’autre.

–Qu’y a-t-il donc, monsieur Georges? demanda le valet de chiens.

–Pierre, mon ami, dit Miette, point de querelle! Ramenez-moi chez mon père.

–Je l’aime mieux que vous, moi!.. dit seulement le Rouget en brandissant sa houlette. Allez sans crainte, mamz’elle, je vous suis avec Tulipan.

Georges exaspéré voulait lancer sa meute sur Pierre et son chien; mais Michel, avec une douceur hypocrite, fit voir que la meute courait un lièvre, remercia le Rouget de vouloir bien accompagner «cette petite poltronne de Miette», et dit brutalement à Georges:

–Taisez-vous donc, à la fin, espèce d’imbécile!

A ces mots, le Rouget éclata de rire. Mais Miette, tout en tremblant et sanglotant, s’était remise à courir; elle ne devait s’arrêter que sur la lande Tégot; Pierre ne put. entendre comment M. Georges répondit à son insolent valet.

L’enfant gâté fut tout d’abord déconcerté au point qu’il en perdit la parole, mais bientôt il rougit et s’emporta:

–Oh! oh! fit Michel d’un ton gouailleur, fâchez-vous, je vous le conseille! Au lieu d’inventer une bonne menterie qui vous innocenterait, je dirai comme Pierre et comme Miette, après quoi nous rirons!. Oui, vous êtes un petit imbécile, monsieur Georges, et je ne m’en dédis point!…

–Encore! dit Georges en trépignant.

Des larmes de rage roulaient dans ses yeux.

–Parbleu! fit le valet en bourrant sa pipe. Monsieur commence par se faire insulter par le Rouget, au lieu de lui dire gentiment le bonjour. Fallait le cajoler, ce sauvage, le complimenter d’avoir tué le loup, et ne pas le mettre en méfiance par des manières de tirer dessus. On prend, comme il se dit, plus de mouches avec du miel qu’avec du vinaigre.

–Flatter ce drôle! interrompit Georges. Je ne suis pas un lâche, moi!

–L’autre est plus fin que vous. Il fait mine de retourner aux Meules, mais prend par la lande et revient nous guetter. Je voulais rentrer au château.

–Tu m’as dit: «Allons!»

–Passe Miette. Et en place de se faire doux, complaisant, joli cœur, Monsieur commence par l’effrayer. Elle vous souriait, vous tombez sur la pauvre innocente pire qu’une bête sauvage. Ah! c’est bien la peine d’apprendre le latin! Fallait causer amicalement, bras dessus, bras dessous, l’amuser, la faire rire. Nous serions revenus demain, après-demain, tous les jours, puis on aurait manqué une fois, pour se faire désirer un brin, et la fois d’après, elle vous aurait embrassé la première.

–Mais, enfin, que faire à présent?

–Nous voici donc raisonnable, à la bonne heure! Causons sensément et ne nous fâchons plus.

Avant de rentrer au château, le livre que Georges portait dans sa carnassière fut brûlé par précaution; une fable voisine de la vérité, rejetant tous les torts sur la sauvagerie de Miette et la méchanceté du Rouget, était parfaitement convenue; enfin, Michel, par mille biais odieux, avait su flatter les mauvais penchants de Georges, tantôt en disant que Miette n’était pas la seule fillette du canton, tantôt en promettant d’amadouer Miette elle-même.

Et pourtant, une fois seul, Georges, au souvenir des injures de Rouget et de Michel, sentit son cœur se gonfler. Les rudes leçons qu’il venait de recevoir le bouleversaient. Peu s’en fallut que, cédant à un bon mouvement, il n’avouât toutes ses fautes à Pierrette pour la charger encore de les réparer. Mais le meunier Tégot étant venu porter plainte contre lui, avait été fort mal reçu par M. et Mme Desnoires.

–Votre petite fille est une sotte. Georges n’a été que trop aimable pour elle. Nous sommes parfaitement informés. Quoi! notre excellent fils a failli être dévoré par la bête féroce de Rouget, et c’est vous qui nous portez plainte!

–Très-bien! fit le meunier, ma fille est sauvée et je veille sur elle. Quant à votre M. Georges, c’est un mauvais gars de la pire espèce, et par votre faute…

–Père Tégot, assez, s’il vous plaît!…

–Pardon! monsieur et madame, vous voulez être aveugles: eh bien, moi, je vous plains de tout mon cœur… adieu!…

Jamais Georges ne fut plus choyé ni plus caressé que ce soir-là. Michel, pour les prétendus services qu’il lui avait rendus, reçut cinq écus de gratification. Il fut décidé, avec l’assentiment de Pierrette, que Rouget serait envoyé en apprentissage à la ville, et enfin qu’on achèterait à tout prix le féroce Tulipan pour avoir le droit de le tuer,–toutes choses qui furent faites avant la fin de la semaine.

Le pauvre boule-dogue paya pour tous. Michel lui envoya froidement deux balles dans la tête. Son dernier gémissement fit pleurer Pierre Rouget, qui prenait en ce moment congé de sa mère.

–Vous êtes au service de bourreaux, vous! dit-il ensuite avec fureur. Ce chien qu’on me tue valait mieux que tous vos Desnoires ensemble!

–Va-t’en, ingrat!… Va-t’en! s’écria Pierrette indignée, tu ne seras jamais qu’un sans cœur!

Plus affligé de la mort de son chien que des violents reproches de sa mère, Rouget prit le chemin de Castelyves, mais ce ne fut point sans passer par le moulin au père Tégot.

Rouget et Noiraud

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