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I
Naissances.

Table des matières

Les Français disent: «Enfant de rien, homme de rien»; les Espagnols et les Portugais disent: «Fils de quelque chose, hidalgo, fidalgue.» Dictés par le même esprit d’orgueil, non moins impertinents l’un que l’autre, ces deux termes inverses serviront de points de départ à l’histoire de Pierre Rouget et de Georges Desnoires.

Pierre Rouget, l’enfant de rien, , était fils d’une journalière de campagne qui se mourait de misère quand elle lui donna le jour dans une grange.

Georges Desnoires, le fils de quelque chose, était l’unique rejeton de riches seigneurs châtelains qui, ayant longtemps désespéré d’avoir un enfant, accueillirent sa venue par des transports de joie.

Décidément les médecins avaient tort; peut-être dans l’origine avaient-ils eu raison, car il ne fallut rien moins que de violentes émotions pour contrebalancer les effets des émotions trop violentes de la nuit de Saint-Maurin. A Paris, Charles partagea sans réserves tous les périls de son ami Duboscat, dont le crédit fut enfin rétabli sur la plus grande échelle, mais non sans des péripéties et des crises dramatiques qui impressionnèrent profondément Mme Desnoires, surexcitèrent son système nerveux, occasionnèrent une maladie presque mortelle et pour la seconde fois changèrent sa constitution.

Ainsi s’accomplit un miracle si longuement attendu qu’on n’osait plus désormais l’attendre; les braves gens des Terres-Noires dirent alors qu’une bonne action porte toujours sa récompense avec elle, et regardèrent la naissance de M. Georges comme une bénédiction du ciel.

Personne, en revanche, ne s’avisa de regarder comme un bonheur celle de l’autre enfant.

A quoi bon répéter cette banalité: que trop souvent les jugements humains sont sujets à l’erreur? Qui saura jamais dire, avant la fin, si un événement quelconque est heureux ou malheureux?

Bref, ce fut la même nuit, à quelques centaines de pas de distance, que naquirent le malingre Pierre Rouget, le gros et fleuri Georges Desnoires; celui-ci sur la plume, celui-là sur la paille,–l’un par les soins d’un habile médecin qui le déclara bâti à chaux et à sable; l’autre, grâce au zèle charitable d’une pauvre servante de ferme qui le crut destiné à ne point passer les vingt-quatre heures.

Georges reçut la vie dans la plus belle des chambres du château paternel; il fut tout d’abord entouré de la sollicitude la mieux dirigée; il n’était rien qu’on n’eût dès longtemps prévu et préparé. L’appartement était chaud; des tapis, des rideaux, des paravents, devaient garantir la mère et l’enfant des moindres courants d’air.

Les domestiques empressés, adroits et ravis du ravissement de leurs maîtres, qui ne manqueraient pas de les combler de présents, rivalisaient d’efforts et d’intelligence. Mme Desnoires, au bout de peu d’instants, fut en état de recevoir son fils dans ses bras, le contempla, le bénit en remerciant Dieu avec une douce émotion, et enfin, tout heureuse, elle s’endormit du plus paisible sommeil.

La grange où naquit Pierre était humide et mal close. Dans un coin, une misérable chandelle de résine fouettée par les vents coulis fumait en éclairant à peine la journalière et la fille de labour qui, sans la connaître, avait bien voulu lui venir en aide.

A nuit tombée, Jeanneton, entendant des gémissements au bord de la route, s’était approchée; puis, touchée de la position de la pauvre femme, elle prit sur elle de l’installer, tant bien que mal, dans la grange.

–Jésus bon Dieu! dans votre état, où alliez-vous donc de même?

–A l’hospice de Castelyves, ma fille, mais le mal m’a prise à mi-chemin, et je viens de tomber sans force, pensant bien mourir comme mon pauvre mari. Merci de votre peine; vous êtes bonne chrétienne, il paraît.

–Je l’espère bien, dit Jeanneton. Et depuis quand, ma chère âme, avez-vous donc perdu votre mari?

–L’autre semaine. C’était un brave et honnête garçon que mon Pierre, un cœur d’or!. Il n’avait pas regardé à l’argent pour m’épouser, dame!. et nous nous aimions comme il faut, nous consolant, nous encourageant l’un l’autre à penser que le bon Dieu nous enverrait bientôt un enfant pour remplacer ceux qu’il a pris.

–Ah! chère amie! murmura Jeanneton tout émue.

–Nous avions déjà trente écus de côté. Un journalier de campagne ne gagne pas gros, vous savez, mais l’ouvrage ne manquait pas. Il prit la fièvre de marais à l’automne, et. je le soignai bien, allez. je ne ménageai rien!

La voix de la jeune veuve fut étouffée par ses sanglots; puis elle jeta un cri de douleur. Jeanneton n’eut pas le temps d’aller chercher du secours au hameau, tellement que ce fut à miracle qu’elle trouva dans la grange même un reste de chandelle de résine et qu’elle parvint à l’allumer.

L’inexpérience de la fille de peine, la froidure, le défaut de tout ce qui était nécessaire, étaient autant de dangers pour la veuve du journalier Pierre et pour son enfant. Jeanneton fit de son mieux,–amoncela la paille autour de la mère,–emmaillota le petit garçon dans son grossier tablier, et courut enfin à la métairie.

Tout le monde y était couché; les chiens aboyèrent. Les gens des chaumières voisines, éveillés brusquement, crurent qu’il y avait le feu quelque part. Quelques poltrons criaient au voleur. On s’interpellait sans rien entendre. Le métayer commença par traiter Jeanneton de coureuse de nuit. Elle parvint pourtant à s’expliquer. Quelques matrones se levèrent. On courut à la grange où la veuve Pierre, secourue de bon cœur, ne tarda pas à être assez convenablement soignée.

–Jésus Seigneur! s’écria une commère après avoir examiné l’enfant, ça n’a qu’un souffle, ce petit Rouget!

De là le nom de Rouget, justifié, du reste, par la couleur des cheveux du chétif nouveau-né.

Rouget et Noiraud

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