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CHAPITRE II

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La conversation de M. Bulstrode avec sa femme amena sans doute le résultat désiré par M. Vincy ; car, le lendemain de bonne heure, une lettre arriva, que Fred put porter à M. Featherstone comme la preuve réclamée.

Le vieillard gardait le lit ce jour-là, à cause du froid ; Mary n’étant pas au salon, Fred s’empressa de monter au premier et présenta la lettre à son oncle, qui, bien établi dans son lit, n’était pas moins disposé que de coutume à se réjouir de sa sagesse en se moquant de l’humanité. Il mit ses lunettes et contractant sa bouche dont les coins s’affaissèrent, il lut :

Je ne négligerai pas, en cette circonstance, de venir exposer ma conviction… – Pouah ! de quelles belles paroles le bonhomme se sert ! Il est plus éloquent qu’un commissaire-priseur… La conviction que votre fils Frédéric n’a obtenu aucune avance d’argent sur la garantie d’un legs promis par M. Featherstone… – Promis ? Qui a dit que j’aie jamais rien promis ?… Je ne promets rien ; je ferai des codicilles tant que j’en voudrai… – et que, considérant la nature d’un tel procédé, il serait déraisonnable de croire qu’un jeune homme de sens et de caractère l’eût employé… – Ah ! mais le bonhomme ne dit pas que vous soyez un jeune homme de sens et de caractère, remarquez bien cela, monsieur. – Quant à mon rôle dans je ne sais quel récit de cette nature, j’affirme n’avoir jamais rien dit qui pût faire croire que votre fils eût emprunté de l’argent sur la garantie d’aucune propriété devant lui revenir à la mort de Featherstone. – Dieu me bénisse !… « Mort ! Propriété a lui revenir !… » L’avoué Standish n’est rien à côté de Bulstrode. Il voudrait emprunter pour son compte qu’il ne parlerait pas mieux… Eh bien ?…

Ici, M. Featherstone regarda Fred par-dessus ses lunettes et lui remit la lettre d’un geste méprisant.

– Vous ne pensez pas, j’imagine, que Bulstrode puisse me convaincre d’une chose parce qu’il l’écrit en belles phrases, eh ?

Fred rougit.

– Vous demandiez cette lettre, monsieur. Il me semble que la dénégation de M. Bulstrode vaut bien l’affirmation contraire.

– Rien de tout cela. Je n’ai jamais dit que je croyais l’une plutôt que l’autre. Et maintenant qu’attendez-vous ? dit M. Featherstone sèchement, en enfonçant ses mains sous ses couvertures.

– Je n’attends rien, monsieur. – Fred retenait avec peine l’explosion de sa colère. – Je suis venu vous apporter cette lettre. Si vous voulez, je vais vous souhaiter le bonsoir.

– Pas encore, pas encore. Sonnez donc, j’ai besoin de missy.

Un domestique parut au coup de sonnette.

– Dites à missy de venir, s’écria M. Featherstone impatient. Quel besoin avait-elle de s’en aller ?

Il continua sur le même ton après l’entrée de Mary.

– Pourquoi n’êtes-vous pas restée ici tant que je ne vous ai pas dit de sortir ? Il me faut mon gilet ; je vous ai dit de le laisser toujours sur mon lit.

Mary avait les yeux rouges comme si elle avait pleuré, et paraissait frémir de tous ses nerfs. Il était clair que M. Featherstone était, ce matin-là, dans une de ses humeurs les plus hargneuses ; et, en dépit de la perspective du cadeau qui lui était si nécessaire, Fred eût préféré pouvoir se retourner contre le vieux tyran et lui dire que Mary Garth était trop bonne d’être à ses ordres. Lorsqu’elle se leva pour prendre le gilet qui était suspendu à un clou, Fred la rejoignit et lui dit :

– Permettez-moi…

– Apportez-le vous-même, missy, et mettez-le là, dit M. Featherstone. Maintenant, sortez jusqu’à ce que je vous rappelle, ajouta-t-il quand il eut le gilet devant lui.

Il avait coutume, lorsqu’il témoignait quelque faveur à une personne, d’assaisonner son plaisir en se montrant particulièrement désagréable pour une autre, et Mary était toujours là pour lui offrir cet assaisonnement. Il prit lentement un trousseau de clefs dans la poche du gilet et tira lentement aussi une boîte d’étain de dessous ses couvertures.

– Vous vous attendez à ce que je vous donne une petite fortune, eh ? dit-il en le regardant et en s’arrêtant au moment de soulever le couvercle de la boîte.

– Aucunement, monsieur… Vous avez été assez bon, l’autre jour, pour parler de me faire un petit présent, sans quoi je n’aurais certainement pensé à rien de semblable.

Le vieillard, de ses mains aux fortes veines, toucha nombre de billets de banque, les replaçant ensuite les uns sur les autres, tandis que Fred, appuyé au dossier de sa chaise, affectait l’indifférence. Enfin, le vieil avare le fixa encore par-dessus ses lunettes et lui présenta un petit paquet de billets. Il n’y en avait que cinq, ainsi que Fred s’en rendit compte, ne voyant d’ailleurs que l’extrémité des billets dont il ignorait la valeur, mais dont chacun, il est vrai, pouvait valoir cinquante livres. Il les prit en disant :

– Je vous suis très obligé, monsieur.

Et il allait les plier sans paraître s’inquiéter de ce qu’ils valaient. Mais M. Featherstone ne l’entendait pas ainsi.

– Allons, ne croyez-vous pas qu’il vaille la peine de les compter ? Vous prenez l’argent comme un grand seigneur, je suppose que vous le dépensez aussi en grand seigneur.

– Je pensais qu’à cheval donné on ne regarde pas à la bouche, monsieur. Mais je serai très heureux de les compter.

Fred pourtant, après les avoir comptés, se trouva désappointé, car ils avaient le tort de représenter moins que ses espérances ne l’avaient décidé. Et n’est-ce pas l’accord avec ses espérances qui sert de mesure à la satisfaction de l’homme ? Fred fut cruellement déçu lorsqu’il ne se vit entre les mains que cinq billets de vingt livres. Sa bonne éducation sembla lui faire défaut en cette circonstance, et son jeune et frais visage en fut visiblement ému. Toutefois il remercia :

– C’est très beau de votre part, monsieur.

– Je le crois bien, dit M. Featherstone fermant sa cassette et la remettant en place ; puis, d’un geste dégagé, il ôta ses lunettes et, comme si une méditation intérieure l’en eût plus profondément convaincu, il répéta : Je crois bien que c’est beau !

– Je vous assure que je suis très reconnaissant, dit Fred, à qui sa bonne mine avait eu le temps de revenir.

– Et vous devez l’être. Vous espérez tenir un rang dans le monde, et je crois que Pierre Featherstone est le seul qui puisse vous être utile.

Ici les yeux du vieillard étincelèrent d’une étrange satisfaction à la pensée que ce florissant jeune gars se reposait entièrement sur lui et que ce florissant jeune gars était un fou d’agir ainsi.

– Oui, sans doute. Je ne suis pas né avec des chances bien magnifiques. Peu d’hommes ont été aussi étroitement restreints que moi, dit Fred étonné lui-même de sa vertu en considérant la dureté du sort envers lui. Il est vraiment trop fort de n’avoir qu’un cheval de chasse poussif à monter, tandis que des gens, qui n’ont pas la moitié autant de bon sens que vous, jettent n’importe quelles sommes par la fenêtre, et encore en faisant des marchés de dupes.

– Eh bien, vous pourrez vous payer un beau cheval de chasse à présent. Quatre-vingts livres suffisent pour cela, j’imagine, et il vous restera vingt livres pour vous tirer de quelque petit embarras, dit M. Featherstone en ricanant.

– Vous êtes bien bon, monsieur, dit Fred, sentant vivement le contraste qu’il y avait entre son langage et ses sentiments.

– Eh ! je suis un oncle un peu meilleur que votre bel oncle Bulstrode. Vous ne retirerez pas grand’chose de ses spéculations à ce que je crois. J’entends dire qu’il tient votre père dans un filet assez serré, eh ?

– Mon père ne me parle jamais de ses affaires, monsieur.

– Eh bien, il fait en cela preuve de bon sens. Mais d’autres les ont devinées sans qu’il leur en parle. Il n’aura jamais grand’chose à vous laisser. Qu’on le fasse maire de Middlemarch tant qu’on voudra ; mais vous avez beau être le fils aîné, s’il meurt sans testament, vous n’aurez pas grand’chose.

Fred pensa que M. Featherstone n’avait jamais été aussi désagréable. Il est vrai qu’il ne lui avait jamais donné autant d’argent à la fois.

– Détruirai-je cette lettre de Bulstrode, monsieur ? demanda Fred se levant avec la lettre comme pour la jeter au feu.

– Eh ! je n’en ai que faire. Elle ne vaut pas un sou pour moi.

Fred jeta la lettre au feu. Il avait hâte de sortir de cette chambre, mais il était un peu honteux vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis de son oncle de se sauver tout de suite après avoir empoché l’argent. À cet instant, l’intendant des fermes arriva pour parler affaires à son maître, et Fred, à son grand soulagement, fut congédié, avec injonction de revenir bientôt.

Il ne lui tardait pas seulement de se débarrasser de son oncle, mais aussi d’aller trouver Mary Garth. Elle était assise à sa place ordinaire, près du foyer, un ouvrage de couture entre les mains et un livre ouvert sur la petite table à côté d’elle. Ses yeux n’étaient plus rouges et elle semblait avoir recouvré tout son empire sur elle-même.

– M’a-t-on demandée là-haut ? dit-elle se levant à moitié lorsque Fred entra.

– Non, on m’a congédié parce que Simmons est monté.

Mary se rassit et reprit son ouvrage. Elle le traitait certainement avec plus de froideur que de coutume. Elle ne savait pas combien tout à l’heure l’affection de Fred s’était indignée pour elle.

– Resterais-je un instant, Mary ? je ne vous gêne point ?

– Asseyez-vous, je vous prie. Vous me gênerez moins que M. John Waule qui était ici hier, et il s’est assis sans m’en demander la permission.

– Pauvre garçon ! Je le crois amoureux de vous.

– Je ne m’en suis pas aperçue. C’est une des choses les plus insupportables pour une jeune fille, qu’il faille toujours supposer quelque histoire d’amour, si un homme se montre aimable avec elle et qu’elle lui en soit reconnaissante. Je pensais être, pour ma part, à l’abri de tout cela. Comment aurais-je la stupide vanité de croire que tous ceux qui m’approchent sont amoureux de moi ?

Malgré elle, sa voix devint tremblante et amère en achevant ces mots.

– Le diable emporte John Waule ! Je ne voulais pas vous fâcher. Je ne savais pas que vous eussiez aucune raison de lui être reconnaissante. J’oubliais le grand service que c’est à vos yeux, de moucher seulement une chandelle pour vous.

Fred aussi avait sa fierté et ne voulait pas laisser voir qu’il savait ce qui avait provoqué cet éclat de Mary.

– Oh ! je ne suis pas fâchée, si ce n’est contre les façons du monde. J’aime qu’on me parle comme à quelqu’un qui a le sens commun. Il me semble souvent que je pourrais en comprendre un peu plus que tout ce que je m’entends dire, même par les jeunes gens qui ont été au collège.

Mary s’était calmée et, tout en parlant, elle s’efforçait de réprimer un joyeux éclat de rire qui faisait plaisir à entendre.

– Je ne me blesse pas de ce que vous soyez si gaie à mes dépens ce matin, dit Fred. Je vous ai trouvée si triste quand je vous ai vue là-haut tout à l’heure. C’est une indignité que vous restiez ici pour être malmenée de cette façon.

– Oh ! j’ai relativement une vie facile. J’ai essayé d’être institutrice et je ne suis pas faite pour cela, j’ai l’esprit trop indépendant. N’importe quelle tâche pénible vaut mieux, je trouve, que de faire une chose pour laquelle on est payé et qu’on ne fait pourtant jamais bien. Ici, je m’acquitte de mes devoirs aussi bien que qui que ce soit et peut-être même mieux que certaines personnes… que Rosy par exemple, bien qu’elle soit précisément comme une de ces belles créatures qu’on voit emprisonnées avec des ogres dans les contes de fées.

– Rosy ! s’écria Fred d’un ton qui témoignait à un haut degré du scepticisme de ses sentiments fraternels.

– Allons, Fred ! Vous n’avez pas le droit d’être sévère.

– Entendez-vous par là quelque chose de particulier en ce moment ?

– Non, je veux dire tout en général, comme toujours.

– Oh ! que je suis paresseux et extravagant. Eh bien, c’est vrai, je ne suis pas fait pour être pauvre, et, riche, je n’aurais pas été un mauvais diable.

– Vous auriez fait votre devoir dans la situation où il n’a pas plu à Dieu de vous placer ? dit Mary en riant.

– J’en conviens. Je ne suis pas plus fait pour être pasteur que vous pour être institutrice. Comment n’avez-vous pas un peu de sympathie pour ce point commun entre nous, Mary ?

– Je n’ai jamais dit que vous dussiez être pasteur. Il y a bien d’autres professions. Mais je trouve déplorable que vous ne songiez pas à choisir une carrière et à travailler en conséquence.

– Je le ferais bien si…

Fred s’arrêta et alla s’appuyer à la cheminée.

– Si vous étiez sûr de ne pas avoir de fortune ?

– Je n’ai pas dit cela. Décidément vous me cherchez querelle. C’est mal à vous de vous laisser influencer par les bavardages que l’on fait de moi.

– Comment puis-je vouloir me quereller avec vous ? Ce serait me quereller avec tous mes nouveaux livres, dit Mary montrant le volume qui était sur la table. Si méchant que vous soyez pour les autres, vous êtes bon pour moi.

– Parce que je vous aime mieux que n’importe qui. Mais je sais que vous me méprisez.

– Oui, un peu, dit Mary avec un bon sourire.

– Vous réservez votre admiration pour un de ces garçons phénomènes qui ont sur toutes choses de sages opinions.

– Oui, à coup sûr.

Mary cousait rapidement et semblait maîtresse de la situation d’une façon tout à fait provocante.

La conversation avait pris un mauvais tour pour Fred Vincy, qui ne faisait que s’enfoncer plus profondément dans son embarras.

– Il n’y a pas de chances pour qu’une femme s’éprenne de quelqu’un qu’elle a toujours connu, du plus loin qu’elle puisse se souvenir. Chez les hommes, c’est différent. Mais pour une jeune fille, c’est toujours quelque nouveau visage qui la séduit !

– Voyons un peu, dit Mary rapprochant en cœur les coins de sa bouche. Cherchons des exemples : Il y a Juliette qui confirme ce que vous dites. D’autre part, Ophélie avait dû longtemps connaître Hamlet ; et Brenda Troil avait connu Mordaunt Merton depuis son enfance ; il est vrai que ce devait être un bien estimable jeune homme. Waverley était nouveau pour Flora Mac-Ivor, mais elle n’était pas amoureuse de lui. Nous avons encore Olivia et Sophie Primrose, et Corinne, qui se sont éprises d’étrangers, si l’on veut. En somme mes exemples se balancent.

Mary leva sur Fred un regard plein de malice et ce regard lui fut très doux, bien que les yeux de la jeune fille ne fussent que de claires fenêtres où l’on voyait une réflexion prête à éclater de rire. Fred était sûrement un garçon aimant, et, durant son passage de l’enfance à l’âge d’homme, il était devenu amoureux de son ancienne compagne de jeu, en dépit de la haute éducation qu’il avait reçue et qui avait exalté ses idées sur le rang et la fortune.

– Quand un homme n’est pas aimé, à quoi lui sert-il de dire qu’il pourrait être meilleur et capable de tout ? S’il était sûr d’être aimé, à la bonne heure ! dit Fred.

– En effet, il ne lui est pas de la plus petite utilité dans le monde de dire qu’il pourrait être meilleur : Pourrait, saurait, voudrait, ce sont là de tristes auxiliaires.

– Je ne vois pas, d’ailleurs, quelles raisons un homme aurait d’être bon, s’il ne se sent pas tendrement aimé.

– Il me semble que la bonté pourrait lui venir d’abord.

– Vous croyez cela, Mary. Ce n’est pas pour leur bonté que les femmes aiment les hommes.

– C’est possible ; mais, lorsqu’elles les aiment, elles ne les trouvent jamais méchants.

– Ce n’est pas très gentil de me dire que je suis méchant.

– Je n’ai pas dit cela du tout.

– Je ne serai jamais bon à rien, Mary, si vous ne voulez pas me dire que vous m’aimez, si vous ne me promettez pas de devenir ma femme, quand je serai en état de me marier, bien entendu.

– Je ne vous épouserais pas, alors même que je vous aimerais. Je ne puis certainement pas vous promettre de vous épouser.

– Mais c’est très mal, Mary. Si vous m’aimez vous devez pouvoir m’engager votre promesse.

– Au contraire ! je ne trouverais pas bien de vous épouser, même si je vous aimais.

– Vous voulez dire que je suis maintenant sans moyens d’entretenir une femme. Oui, sans doute, je n’ai que vingt-trois ans.

– Sur ce dernier point vous changerez. Mais je ne suis pas aussi certaine des autres changements. Mon père dit qu’un paresseux n’a pas le droit de vivre, encore moins de se marier.

– Ainsi il ne me reste qu’à me faire sauter la cervelle ?

– Non, tout bien réfléchi, je crois que vous feriez mieux de passer votre examen. J’ai entendu dire à M. Farebrother que c’était honteusement facile.

– Tout cela est bel et bien. Pour lui, tout est facile. Ce n’est pas que l’intelligence ait rien à y faire. Je suis dix fois plus intelligent que beaucoup de ceux qui le passent.

– Grand Dieu ! dit Mary incapable de réprimer une observation sarcastique. Cela explique les pasteurs comme M. Crowse. Mais cela prouve peut-être seulement que vous êtes dix fois plus paresseux que les autres.

– Eh bien, si je le passais, vous ne voudriez pourtant pas me voir entrer dans l’Église ?

– Il ne s’agit pas de ce que je puis désirer pour vous. Vous avez une conscience, je suppose. Mais voici M. Lydgate, il faut que j’aille prévenir mon oncle.

– Mary, dit Fred, saisissant sa main au moment où elle se levait, si vous ne voulez pas me donner quelque encouragement, je deviendrai pire au lieu de devenir meilleur.

– Je ne vous donnerai pas d’encouragement, dit Mary en rougissant. Vos amis le blâmeraient, comme les miens. Mon père trouverait honteux que je m’engage à un homme qui fait des dettes et ne veut pas travailler.

Fred, offensé, laissa aller sa main. Elle alla vers la porte ; mais, se retournant, elle dit :

– Fred, vous avez toujours été bon et généreux pour moi. Je ne suis pas ingrate. Mais ne me parlez plus jamais ainsi.

– Très bien, dit Fred d’un ton blessé en prenant son chapeau et sa cravache, le visage rougissant et pâlissant tour à tour.

Comme d’autres jeunes gens paresseux et fainéants, il était absolument épris d’une jeune fille simple et sans fortune. Mais, avec la perspective des terres de M. Featherstone à l’arrière-plan, et la conviction que Mary, quoi qu’elle pût dire, se souciait de lui quand même, Fred n’était pas complètement désespéré.

Quand il fut rentré, il donna quatre des billets de vingt livres à sa mère, la priant de les lui garder.

– Je ne veux pas dépenser cet argent-là, mère. Je veux l’employer à payer une dette. Ainsi tenez-le bien à l’abri de mes doigts.

– Dieu vous bénisse, mon chéri ! dit sa mère.

Elle raffolait de son fils aîné et de sa fille cadette, âgée de six ans, que d’autres regardaient comme ses deux plus méchants enfants. L’œil d’une mère n’est pas toujours aveugle dans sa partialité ; n’est-ce pas elle qui peut le mieux juger lequel de ses enfants est tendre et plein d’amour filial ? Et Fred aimait certainement beaucoup sa mère. Peut-être était-ce son affection pour une autre femme qui le rendait si anxieux de mettre les cent livres de son oncle à l’abri de sa prodigalité ordinaire ; car le créancier auquel il devait cent soixante livres avait en sa possession une garantie plus solide encore, sous forme d’un billet signé par le père de Mary.

Middlemarch (Édition intégrale)

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