Читать книгу Middlemarch (Édition intégrale) - George Eliot, George Eliot, Manor Books - Страница 23
CHAPITRE V
ОглавлениеLe révérend Camden Farebrother, que Lydgate alla voir le lendemain soir, habitait un vieux presbytère assez vénérable dans ses murs de pierre pour faire un digne pendant à l’église, située vis-à-vis. Le mobilier de la maison était vieux aussi, mais d’une autre époque. Il venait du père et du grand-père de Farebrother. C’étaient des chaises peintes en blanc avec des dorures à festons et des restes de damas de soie rouge portant de longues déchirures ; des portraits gravés de lords chanceliers et de légistes célèbres du dernier siècle se réfléchissant dans un miroir antique ; des petites tables de marqueterie et des sofas ressemblant à d’inconfortables chaises longues ; tout cela se détachant sur la boiserie sombre. Telle était la physionomie du salon dans lequel Lydgate fut introduit et où se trouvaient, pour le recevoir, trois dames également à la mode antique et ayant chacune dans leur personne un caractère de dignité suranné mais naturel : mistress Farebrother, la mère du vicaire, qui n’avait pas encore atteint soixante-dix ans, coiffée et ajustée avec une recherche de propreté minutieuse, encore droite sous ses cheveux blancs, au regard prompt et vif ; miss Noble, sa sœur, petite vieille d’un aspect plus doux et dont le bonnet et le jabot étaient à coup sûr plus usés et plus raccommodés que ceux de mistress Farebrother ; enfin, miss Winifred Farebrother, la sœur aînée du vicaire, de bonne mine comme lui, mais flétrie et soumise comme le sont généralement les femmes qui passent leur vie sans se marier sous le joug ininterrompu de leurs parents. Lydgate ne s’était pas attendu à rencontrer une société si particulière ; sachant seulement que Farebrother était célibataire, il avait pensé le trouver chez lui dans une pièce confortable, entouré de ses livres et de ses collections. Le vicaire lui-même semblait ici un peu différent de ce qu’il était d’ordinaire, comme le sont beaucoup d’hommes, lorsqu’on les voit chez eux pour la première fois après les avoir connus ailleurs. M. Farebrother paraissait chez lui un peu plus doux et silencieux, sa mère tenant la première place dans la conversation, tandis qu’il se contentait de placer çà et là une remarque enjouée et bienveillante. La vieille dame était évidemment habituée à apprendre à ses auditeurs ce qu’ils devaient penser, et à ne regarder aucun sujet comme tout à fait bien traité si elle n’en avait eu la direction.
Elle avait tout le loisir de remplir cette fonction grâce à miss Winifred qui pourvoyait à tous les petits soins journaliers. La petite miss Noble, de son côté, portait au bras un panier minuscule où elle laissait glisser discrètement un morceau de sucre qu’elle avait posé d’abord comme par hasard sur sa soucoupe ; après quoi elle regardait furtivement autour d’elle et revenait à sa tasse de thé avec un faible bruit innocent comme celui d’un timide petit quadrupède. Ne pensez pas de mal de miss Noble, je vous prie ; son panier contenait de petites provisions rognées sur la partie la plus transportable de son ordinaire et destinées à ses petits amis, les enfants des pauvres qu’elle allait visiter le matin quand le temps était beau ; nourrir et gâter toutes les créatures indigentes était pour elle une si vive, une si vraie joie qu’elle se demandait si elle n’était pas adonnée là à quelque vice séducteur. Peut-être se rendait-elle compte que souvent elle était tentée de prendre à ceux qui avaient beaucoup, afin de pouvoir donner à ceux qui n’avaient rien, et peut-être portait-elle dans sa conscience le sentiment de la culpabilité de ce désir réprimé. Il faut être pauvre pour connaître toute la volupté qu’il y a à donner !
Mistress Farebrother souhaita la bienvenue à son hôte avec une politesse aimable autant que correcte. Elle l’avertit qu’on avait rarement besoin chez eux du secours de la médecine. Elle avait, dit-elle, habitué ses enfants à porter de la flanelle et à ne jamais trop manger, ce défaut étant, à son avis, dans les familles, l’origine de tant de visites de médecins ! Lydgate plaida la cause de ceux dont les pères et mères avaient eux-mêmes bien mangé, mais mistress Farebrother trouvait dangereuse cette façon de voir ; il y avait plus de justice que cela dans la nature : le premier criminel venu aurait beau jeu à dire que c’était à ses ancêtres d’être pendus à sa place. Ceux qui, avec de mauvais pères et de mauvaises mères, étaient eux-mêmes mauvais, c’était pour qu’on cela les pendait. Enfin, il était tout à fait inutile, à son avis, de s’appesantir sur ce qu’on ne pouvait savoir.
– Ma mère est comme notre vieux George III, dit le vicaire ; elle est l’ennemie de la métaphysique.
– Je suis l’ennemie de ce qui est faux, Camden. Je dis, moi, qu’il faut s’assurer de quelques bonnes vérités et tout débrouiller avec cela. Quand j’étais jeune, monsieur Lydgate, on ne discutait jamais le bien et le mal. Nous savions notre catéchisme et cela suffisait ; nous apprenions à connaître notre religion et notre devoir. Toute personne pieuse respectable avait les mêmes opinions. Mais, aujourd’hui, quand bien même vous vous serviriez des propres paroles de votre livre de prières, il y aurait toujours des gens pour vous contredire.
– Cela rend notre époque assez agréable pour ceux qui aiment à conserver et à maintenir une opinion à eux, dit Lydgate.
– Ma mère finit toujours par céder, dit le vicaire malicieusement.
– Non, non. Camden, ne donnez pas à M. Lydgate une fausse idée de moi. Je ne serai jamais assez irrespectueuse envers mes parents pour renoncer aux croyances qu’ils m’ont enseignées. Chacun peut voir quel est le résultat des changements d’opinion. Si vous changez une fois, pourquoi ne changeriez-vous pas vingt autres fois ?
– On peut trouver d’excellentes raisons de changer une fois d’idées, et n’en plus trouver ensuite, dit Lydgate que cette vieille dame si décidée amusait beaucoup.
– Excusez-moi sur ce point. Si vous entrez dans le chapitre des bonnes raisons, je vous dirai qu’elles ne manquent jamais à un homme qui a l’esprit versatile. Mon père n’a jamais changé, lui, et il faisait des sermons moraux et sincères sans recourir aux arguments et aux raisons explicatives, et c’était un excellent homme, il y en a peu de meilleurs. Le jour où vous me trouverez un homme bon dont la nature sera faite d’arguments, je vous ferai faire, moi, un bon dîner en vous donnant à lire un livre de cuisine. Telle est mon opinion, et je crois que tous les estomacs me donneront raison.
– Pour ce qui est du dîner, certainement, ma mère, dit M. Farebrother.
– Le dîner et l’homme, c’est tout un. J’ai près de soixante-dix ans, monsieur Lydgate, et je me fonde sur mon expérience. Il n’est pas probable que j’entre jamais dans les idées nouvelles, bien qu’il y en ait beaucoup ici comme ailleurs. Je dis, moi, qu’elles se sont introduites chez nous en même temps que ces étoffes mélangées qu’on ne peut ni laver ni user jusqu’au bout. Les choses n’étaient pas ainsi dans ma jeunesse : un homme d’Église était un homme d’Église, et un clergyman était presque toujours un gentleman, s’il n’était pas autre chose. Mais, aujourd’hui, il peut ne pas valoir mieux qu’un dissident et prétendre néanmoins enlever la place à mon fils sous prétexte de doctrine. Mais, qui que ce soit qui prétende le supplanter, je suis fière de dire, monsieur Lydgate, que Camden peut rivaliser avec n’importe quel prédicateur du royaume, au moins à mon avis, moi qui suis née et qui ai vécu à Exeter.
– Une mère est toujours impartiale, dit M. Farebrother en souriant. Que pensez-vous que la mère de Tyke dise de son fils ?
– Oh ! pauvre créature ! Ce qu’elle en dit ! répondit mistress Farebrother. Elle se dit la vérité, soyez-en sûr.
– Et quelle est la vérité ? demanda Lydgate. Je suis curieux de la savoir.
– Oh ! aucunement défavorable, dit M. Farebrother. C’est un homme zélé : ni très instruit, ni très sage probablement, puisque je ne m’entends pas avec lui.
– Eh bien, Camden ! interrompit miss Winifred, savez-vous ce que m’ont raconté aujourd’hui Griffin et sa femme ? M. Tyke les a prévenus qu’ils ne recevraient plus de charbon s’ils allaient à vos sermons.
– Oh ! les pauvres créatures ! s’écria miss Noble. Les pauvres créatures ! faisant allusion sans doute à leur double privation de prêches et de charbon.
Mais le vicaire répondit avec calme :
– C’est que ce ne sont pas mes paroissiens, et je ne pense pas que mes sermons vaillent pour eux une bonne provision de charbon.
– Monsieur Lydgate, dit mistress Farebrother qui ne pouvait laisser passer cela, vous ne connaissez pas mon fils ; il se déprécie toujours. Je lui dis, moi, que c’est déprécier le bon Dieu, qui l’a fait naître, et qui l’a fait naître excellent prédicateur.
– Maintenant, je n’ai plus qu’à emmener M. Lydgate dans mon cabinet, ma mère, dit le vicaire en riant. – J’ai promis de vous faire voir ma collection, ajouta-t-il en s’adressant à Lydgate. Voulez-vous bien ?
Les trois dames protestèrent. M. Lydgate ne pouvait se retirer sans avoir accepté une seconde tasse de thé. Pourquoi Camden était-il si pressé de l’emmener dans sa retraite ? Il n’y trouverait que de la vermine conservée, des tiroirs pleins de grosses mouches bleues et de papillons de nuit, et pas de tapis par terre. M. Lydgate voudrait-il excuser tout cela ? Pourquoi pas une partie de cartes, de grabuge, par exemple ? Cela vaudrait infiniment mieux. En résumé, il apparaissait clairement qu’un vicaire pouvait être adoré de tous les membres féminins de sa famille comme le roi des hommes et des prédicateurs et néanmoins dépendre, jusqu’à un certain point, de leur direction. Lydgate, avec la présomption habituelle d’un jeune célibataire, s’étonna que M. Farebrother ne s’en fût pas mieux affranchi.
– Ma mère n’est pas habituée à ce que je reçoive des visiteurs prenant quelque intérêt à mes manies, dit le vicaire ouvrant la porte de son cabinet, dont une courte pipe de porcelaine et une tabatière constituaient à peu près tout le confort.
– Les hommes de votre profession ne fument pas en général, dit-il. – Lydgate sourit et fit de la tête un geste négatif. Ni ceux de la mienne non plus, en général. Vous verrez que cette pipe me sera reprochée par Bulstrode et compagnie. Ils ne savent pas combien le diable serait content si j’y renonçais.
– Je comprends. Vous êtes d’humeur excitable et vous avez besoin d’un calmant. Moi qui suis plus lourd, j’en deviendrais paresseux. Je tomberais dans l’indolence et j’y resterais cloué avec toutes mes forces.
– Oui, tandis que vous voulez les consacrer au travail. Je suis d’une dizaine ou d’une douzaine d’années plus vieux que vous, et j’en suis arrivé à un compromis avec moi-même. Je ménage une ou deux de mes faiblesses de peur qu’elles ne deviennent sans cela trop exigeantes. Regardez, continua le vicaire en ouvrant différents petits tiroirs, je crois que j’ai fait une étude complète de l’entomologie du district. Je m’occupe à la fois de la faune et de la flore ; mais j’ai bien réussi du moins avec mes insectes. Nous sommes singulièrement riches en orthoptères. Je ne sais pas si… Ah ! vous vous êtes emparé de ce bocal ; c’est cela que vous regardez au lieu de mes tiroirs. Vous ne vous intéressez pas sérieusement à tout cela, n’est-ce pas ?
– Non, surtout pas à côté de cet adorable monstre acéphale. Je n’ai jamais eu le temps d’étudier beaucoup l’histoire naturelle. L’étude de la structure humaine a été pour moi une source d’intérêt et de vif plaisir, et c’est bien ce qui se rapporte le plus directement à ma profession. En dehors de cela ; je n’ai point de manies, mais, là, j’ai un véritable océan où je puis nager.
– Ah ! vous êtes un heureux mortel, dit M. Farebrother tournant sur ses talons et se mettant en devoir de bourrer sa pipe. Vous ne savez pas ce que c’est que d’avoir besoin de tabac d’Église. Mauvaises corrections des anciens textes, petits articles Sur une Variété de l’Aphis brassicæ, avec la signature bien connue de Philomicron pour le Twaddler’s Magazine ; ou encore un traité savant sur l’entomologie du Pentateuque comprenant tous les insectes qui n’y sont pas mentionnés, mais que les Israélites ont dû rencontrer dans le désert. Ajoutez à cela une monographie de la fourmi chez Salomon, montrant l’harmonie qui existe entre le Livre des Proverbes et les résultats des recherches modernes. Vous ne craignez pas ma fumée, n’est-ce pas ?
Lydgate fut plus surpris de la franchise de ce discours que de sa signification même : le vicaire ne se sentait donc pas tout à fait dans sa vraie vocation. L’arrangement soigné des tiroirs et des rayons, et l’étagère remplie de volumes illustrés et coûteux sur l’histoire naturelle, ramenèrent sa pensée aux bénéfices de jeu du vicaire et à leur destination probable. Mais il commençait à souhaiter que toute la conduite de M. Farebrother pût s’expliquer dans le sens le plus favorable. La franchise du vicaire n’était pas une de ces franchises désagréables provenant d’une mauvaise conscience, et cherchant à prévenir le jugement d’autrui ; c’était simplement chez lui la satisfaction de son désir de tout faire dans la vie avec aussi peu de prétentions et de faux semblants que possible. Il sentit apparemment que la liberté de son langage pouvait sembler un peu trop familière, car il ajouta bientôt :
– Je ne vous ai pas encore dit que j’avais un avantage sur vous, monsieur Lydgate, et que je vous connais mieux que vous ne me connaissez. Vous vous rappelez bien Trawley, qui a partagé quelque temps votre appartement à Paris ? J’étais en correspondance avec lui et il m’a beaucoup parlé de vous. Quand vous êtes arrivé ici, je n’étais pas bien sûr que vous fussiez le même Lydgate, et j’ai été très heureux de pouvoir le constater. Mais je n’oublie pas que vous n’avez pas eu sur mes antécédents de renseignements analogues.
– Et qu’est devenu Trawley ? demanda Lydgate ; je l’ai absolument perdu de vue. Il était très ardent pour tous les systèmes de socialisme des Français, et il parlait d’aller, au milieu des forêts vierges, fonder une colonie pythagoricienne. Y est-il allé ?
– Du tout. Il exerce la médecine dans quelque bain allemand et il a épousé une riche cliente.
– Alors mes idées se trouvent justifiées, dit Lydgate avec un petit rire dédaigneux. Il soutenait que la profession médicale ne pouvait être qu’un vaste système de blagues. Je disais, moi, que la faute en était aux hommes, aux hommes qui s’abaissent à la farce et aux mensonges. C’est au centre de l’édifice médical qu’il faudrait établir un foyer désinfectant.
– L’œuvre serait autrement difficile à réaliser que la fondation d’une communauté pythagoricienne. Vous n’avez pas seulement contre vous le vieil Adam qui se trouve encore en vous-même, mais tous les descendants de cet Adam originel qui forment la société autour de vous. La connaissance que j’ai acquise de bien des difficultés, je l’ai payée de douze ou treize années que j’ai vécu de plus que vous. Mais… M. Farebrother s’arrêta un instant, puis reprit : Vous voilà encore absorbé dans la contemplation de ce bocal ; nous pourrons faire un échange ; et vous avez l’air de tenir tant à ce monstre que j’ai bien envie de vous en demander un gros prix, et, par-dessus le marché, de vous faire passer en revue tous mes tiroirs, toutes mes nouvelles espèces de plantes et d’insectes ?
Tout en parlant, le vicaire se promenait la pipe à la bouche, puis revenait se pencher avec un tendre intérêt sur ses tiroirs.
– Ce serait une bonne leçon de discipline, savez-vous, pour un jeune médecin, forcé de plaire à ses malades de Middlemarch ? C’est là un apprentissage nécessaire, ne l’oubliez pas. Non, vous prendrez le monstre et vous me donnerez ce que vous voudrez.
– Ne croyez-vous pas que, si les hommes estiment trop haut la nécessité de complaire à la bêtise de chacun, ils arrivent à se faire mépriser des fous mêmes dont ils recherchent les suffrages ? dit Lydgate en regardant d’un œil distrait les insectes rangés en bel ordre, avec leurs noms inscrits en admirables caractères. Le moyen le plus simple est de faire sentir sa valeur, de façon que les gens soient forcés de compter avec vous, que vous les flattiez ou non.
– J’admets bien cela. Mais il faut alors être bien sûr de sa valeur et rester tout à fait indépendant. Il y a peu d’hommes qui le puissent ; ou bien vous quittez la partie et vous devenez inutile, ou bien vous portez le harnais et vous tirez votre charge du côté où vous poussent vos compagnons de joug. – Mais regardez donc la finesse de ces orthoptères !
Et Lydgate, au grand amusement du vicaire, fut bien obligé d’accorder quelque attention aux collections.
– À propos de ce que vous disiez tout à l’heure sur ceux qui portent le harnais, commença Lydgate lorsqu’ils se furent assis, je me suis bien promis de n’en porter que le moins possible. C’est pourquoi j’ai résolu de ne rien tenter à Londres, au moins pas d’ici à quelques années. Tout ce que j’y ai vu de charlatanisme creux, pendant que j’y étudiais, m’a déplu. En province, les gens ont moins de prétention à la science et heurtent moins notre amour-propre. On n’y fait pas tant de mauvais sang et on peut suivre son chemin plus tranquillement.
– Oui, très bien, vous avez pris un bon élan, vous avez choisi votre vraie profession, le travail pour lequel vous étiez le plus fait. Il y a des hommes qui se trompent dans leur choix et qui s’en repentent trop tard. Mais ne soyez pas trop sûr de pouvoir garder toujours votre indépendance.
– Contre les liens de famille, voulez-vous dire ?
– Non, pas tout à fait cela. Sans doute ils rendent bien des choses plus difficiles. Mais une bonne épouse, une bonne femme, pas mondaine, peut réellement aider un homme en maintes circonstances, et contribuer à lui assurer son indépendance. Il y a un de mes paroissiens, par exemple, un excellent homme plein de mérite, qui, sans sa femme, ne serait peut-être pas arrivé au point où il en est aujourd’hui. Connaissez-vous les Garth ? Je ne crois pas que ce fussent des clients de Peacock ?
– Non ; mais il y a une miss Garth chez le vieux Featherstone à Lowick.
– C’est leur fille, une fille accomplie.
– Très calme et réservée. Je l’ai à peine remarquée.
– Elle vous a remarqué, pourtant, elle, soyez-en sûr.
– Je ne comprends pas, dit Lydgate.
Il ne pouvait guère répondre : « Naturellement ! »
– Oh ! elle fait attention à tout le monde. Je l’ai préparée à sa confirmation ; c’était mon élève favorite.
M. Farebrother aspira en silence quelques bouffées de sa pipe. Lydgate ne tenait pas à en savoir plus long sur les Garth. Enfin le vicaire posa sa pipe, étendit ses jambes, et tournant avec un sourire des yeux brillants vers son visiteur, reprit :
– Mais nous autres, citoyens de Middlemarch, nous ne sommes pas si paisibles que vous le croyez. Nous avons nos intrigues et nos partis. Moi, par exemple, je suis un homme de parti et Bulstrode aussi en est un. Si vous votez pour moi, vous offenserez Bulstrode.
– Qu’y a-t-il donc contre Bulstrode ?
– Je n’ai pas dit qu’il y eût rien contre lui, si ce n’est cela. Si vous votez contre lui, vous vous en ferez un ennemi.
– Je ne vois pas que j’aie à m’en inquiéter, dit Lydgate avec un certain orgueil, mais je lui crois de bonnes idées sur les hôpitaux, et il dépense largement pour les œuvres d’utilité publique. Il pourrait m’être d’un grand secours pour l’accomplissement de mes desseins. – Quant à ses idées religieuses – eh bien ! – comme dit Voltaire, on peut détruire tout un troupeau de moutons par des incantations, pourvu qu’on les administre avec une certaine dose d’arsenic. Je cherche l’homme qui apporte l’arsenic et je me soucie peu de ses incantations.
– D’accord. Mais alors il ne faut pas que vous offensiez votre homme à arsenic. – Moi, vous ne m’offenserez pas, vous savez, dit Farebrother sans aucune affectation. Je ne fais pas de ma propre convenance un devoir pour les autres. Je suis opposé à Bulstrode en bien des choses. Je n’aime pas le parti auquel il appartient ; c’est un parti ignorant, étroit, où l’on fait plus pour tourmenter ses voisins que pour les rendre meilleurs ; avec leur système à la fois mondain et religieux, ils forment une espèce de clique qui regarde l’humanité comme une carcasse condamnée, ayant charge de les nourrir pour qu’ils puissent eux-mêmes aller au ciel. Mais, ajouta-t-il en souriant, je ne dis pas que le nouvel hôpital de Bulstrode soit une mauvaise chose. Et quant à son désir de me mettre à la porte de l’ancien, eh bien, s’il me croit un personnage malfaisant, il ne fait que me retourner le compliment. Je ne suis pas un pasteur modèle, je suis seulement un pis aller passable.
Lydgate n’était pas convaincu que le vicaire se trompât dans le jugement qu’il portait de lui-même. Un pasteur modèle comme un médecin modèle, ne doit-il pas trouver sa profession la plus belle de toutes ?
– Quelle raison Bulstrode allègue-t-il donc pour vous évincer ?
– Il dit que je n’enseigne pas ses doctrines à lui, ce qu’il appelle la religion spirituelle. Il dit encore que je n’ai guère de temps à donner. Les deux raisons sont bonnes ; cependant je saurais bien trouver du temps pour mon emploi, si je le voulais, et je serais très heureux de gagner les quarante livres. Voilà le plus clair de l’affaire. Mais laissons cela ; ce que je voulais vous dire seulement, c’est que, s’il vous convient de voter pour votre homme à arsenic, je n’en serai pas blessé le moins du monde. Maintenant, parlez-moi de ce que vous avez fait à Paris.