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VII Police des bandits. — Guides. — Espions. — Mort d’Ange-Joseph et de ses beaux-frères.

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Venant d’un enfant de dix-sept ans, qui, pour la figure et la taille, ressemble à une fille plutôt qu’à un garçon, cette déclaration et ces menaces sont reçues avec des éclats de rire ; mais la gendarmerie de Moita n’est pas de cet avis, et conseille de se garder avec soin. Elle avait raison.

En homme prudent et habile, Gallocchio commence, à l’exemple des bandits célèbres, par organiser vigoureusement sa police personnelle. Cette police se compose de guides et d’espions.

Les guides étaient pour le bandit comme des gardes du corps, qui éclairaient nuit et jour sa marche, veillaient sur son repos, éventaient les embuscades et les pièges, maintenaient ses rapports avec ses protecteurs et sa famille, lui procuraient des renseignements, des munitions, des vêtements, et autres choses dont il avait besoin.

Des espions, les uns, voisins de la gendarmerie et des familles ennemies, l’œil et l’oreille toujours ouverts, observaient tous leurs mouvements, recueillaient les plus légers bruits, donnaient des avis au bandit, qui par leurs soins était sans cesse au courant de tout ce qui se méditait et se préparait contre lui ; les autres, cultivateurs ou bergers, surveillaient la campagne, et, à la moindre apparence suspecte, avertissaient au moyen de signaux convenus : ces signaux consistaient, le jour, en un nombre déterminé de coups de sifflet ou de fusil, différemment espacés; la nuit, en des feux allumés sur les hauteurs, qui, se reproduisant de bergerie en bergerie, de montagne en montagne, allaient avertir le bandit partout où il se trouvait.

Ces fonctions n’étaient pas sans péril, soit de la part de la gendarmerie, dont elles entravaient les opérations, soit de la part du bandit, naturellement soupçonneux et défiant; d’autre part, elles étaient désintéressées et gratuites, peu lucratives par conséquent. Et cependant on se les disputait, tant était grande l’influence du bandit sur les imaginations. On a vu des fonctionnaires publics et même des gendarmes accepter le rôle d’espions. Cela semble monstrueux ; mais on le comprendra, si l’on veut bien se souvenir que la vendetta commençait presque toujours par être un acte de défense, et que l’opinion publique, en allant au bandit, n’entendait pas applaudir à l’effusion du sang, mais protester contre la partialité des tribunaux et les erreurs de la justice.

Peu de jours après la déclaration de guerre, un vent violent s’élevait tout à coup, soufflant par tourbillons, faisant un bruit affreux, soulevant des nuages de poussière, qui aveuglaient les hommes et les animaux. Convaincu que, par un temps pareil, il ne rencontrera personne, Gallocchio en profite pour descendre de sa retraite, et s’achemine vers Casavecchia, où il arrive à la nuit close.

La maison de Rosola est un peu écartée des autres, et les fenêtres des chambres à coucher donnent sur la campagne. En face de ces chambres et à moindre hauteur, existe une espèce de séchoir, ombragé par quelques arbres touffus, dont les branches reposent sur le toit. La tourmente et le bruit durant encore, Gallocchio se glisse jusque-là, sans être ni vu ni entendu, s’élève et se met à cheval sur le séchoir, en se dissimulant entre les branches, arme son fusil et attend.

Les soirées sont courtes à la campagne, et l’on s’y couche de bonne heure. Les chambres donc ne tardent pas à s’éclairer. Ange-Joseph ne peut tarder lui-même à ouvrir les fenêtres, pour fermer ou arrêter les volets. Dans son impatience, Gallocchio lance sur les carreaux une poignée de graviers, dont il a rempli sa poche :

— Hâte-toi de fermer, lui crie Rosola déjà couchée, sans quoi la tempête va briser tous nos carreaux.

L’infortuné obéit, ouvre, reçoit une balle dans la tête : il est mort.

La maison et tout le village sont aussitôt sur pied. Après avoir donné quelque temps aux gémissements et aux plaintes, on se met à la recherche de l’assassin, dont le nom est dans toutes les bouches; on n’ose toutefois, à cause de l’obscurité profonde, s’éloigner du hameau, de peur de quelque accident. Gallocchio l’avait prévu : après avoir, pour dépister les recherches, tiré un coup de fusil dans une direction opposée, il fait une courbe et se dirige vers le village de Matra, afin de surprendre au point du jour les frères de Rosola, avant que la nouvelle de la mort d’Ange-Joseph leur arrive. De Casavecchia à Matra, la distance est assez longue; mais il n’est rien comme une passion violente pour donner des jambes et des forces.

Des deux frères, le plus jeune se trouvait malheureusement déjà dans une de leurs vignes. Avec un de ses neveux, jeune enfant de onze à douze ans, il ramassait des raisins et des fruits. L’apercevoir, bondir comme un tigre et le coucher en joue, est pour le bandit une seule et même chose.

— A genoux, misérable! s’écrie-t-il. Fais ton acte de contrition, car tu vas rendre à Dieu compte de tes calomnies et de tes parjures.

Ne pouvant ni fuir ni saisir son fusil, le malheureux se met à genoux, étend ses bras en croix; il est frappé dans la poitrine : la balle avait traversé le poumon gauche.

Le petit enfant s’était aussi mis à genoux, et faisait sa prière en pleurant.

— Relève-toi et ne crains rien, lui dit Gallocchio : tu n’es point coupable des crimes de ton père et de ton oncle; mais que cet exemple t’apprenne à respecter la justice et la vérité, et à ne pas persécuter l’innocent.

Se détournant à ces mots, il se précipite vers Matra, pour consommer sa vengeance. L’autre frère A... se promenait tranquillement sur la place publique, discutant avec quelques personnes sur le coup de fusil qui venait de se faire entendre. A la vue de Gallocchio, il comprend, et s’élance vers sa maison. Il est trop tard! Au moment où il touche la porte, une balle lancée d’une main sûre lui casse le bras droit et lui traverse le corps. Heureusement, la blessure n’était pas mortelle : il eut la chance d’en revenir.

Cette triple et sanglante exécution, accomplie en quelques instants par la main d’un enfant, produisit dans toute la contrée une immense sensation, et fut bientôt connue du cap Corse à Bonifacio. Mais comme, d’après les bruits qui circulaient, le meurtrier avait été provoqué, poussé à bout par les injustes persécutions de ses ennemis, et que, dans ce cas, les préjugés lui donnaient raison, il vit les sympathies publiques se déclarer en sa faveur. Si donc plusieurs le blâmaient, beaucoup d’autres le plaignaient, quelques-uns l’approuvaient hautement, très peu avaient le courage de le déclarer criminel.

Du reste, ses trois persécuteurs morts, il déclara et fit afficher dans toutes les communes voisines que, la vendetta ne s’attaquant point aux femmes, il n’en voulait plus à personne : les parents et les amis de ses victimes pouvaient aller désormais et circuler librement ; il ne ferait plus de mal à qui que ce fût, et ne reprendrait les armes que quand il y serait forcé par le besoin, le droit et le devoir de la conservation personnelle. Copie de cette déclaration fut affichée à la porte des églises, des mairies et des casernes, et adressée au procureur général.

Le mariage de Louise tomba naturellement à l’eau, l’avocat de Corte ne se souciant pas d’entrer en lutte avec Gallocchio, et d’épouser une querelle qui débutait avec une pareille violence. Quant à Rosola, doublement outrée de cette rupture et de la mort des siens, au lieu de se frapper la poitrine, en disant : Mea culpa, mea maxima culpa! elle ne songeait qu’à la vengeance, soudoyait des assassins, organisait contre lui une coalition des deux familles; mais, cette tentative n’ayant eu d’autre résultat que de faire périr quelques nouvelles victimes, elle tomba sur une idée originale qui répondait à tous les besoins.

Fiancée au bandit, promise à l’avocat, repoussée par l’un et par l’autre; plainte pour son malheur, blâmée pour sa faiblesse ; privée de ses soutiens naturels, Louise était dans une situation pénible. Sa mère fait donc le tour de l’horizon, et conçoit le projet de la marier avec un homme capable, par lui-même et par les siens, de les protéger efficacement et de venger leurs morts. Sans doute, l’idée est heureuse; mais où le trouver, ce jeune homme assez hardi pour entrer en lutte avec Gallocchio, assez courageux et assez fort pour le vaincre?... A force de chercher autour d’elle, elle finit par découvrir, au milieu même de ses ennemis, un certain Cesario, grand et robuste gaillard, cousin germain du bandit, qui a six frères, non moins forts et braves l’un que l’autre. Comme il a très peu de fortune, il s’estimera heureux d’être son gendre ; et ce choix aura l’énorme avantage de diviser et d’affaiblir le parti de ses ennemis.

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