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II Le bandit Gallocchio. — Sa naissance, son éducation. Le séminaire.

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Moins tourmentée, au point de vue physique et moral, que la côte occidentale, la côte orientale a produit moins de bandits redoutables. Il en est un cependant qui ne le cède à aucun autre, et dont les aventures pourront vous intéresser. Il s’appelle Antomarchi (Joseph), et fut dès son enfance surnommé Gallocchio, parce que sa voix ressemblait à celle d’un jeune coq. Ce surnom lui est resté.

Il naquit, vers 1805 ou 1806, au village d’Ampriani, que vous apercevez là-haut, et qui fait partie du canton de Moita, comme la plaine d’Aleria. Ce village est bâti au milieu des châtaigniers, des vignes et des arbres fruitiers, et sert de chef-lieu à une toute petite commune de 216 hectares, pour 168 habitants.

Toutes les femmes, chez les Juifs, pouvant aspirer à l’honneur d’être la mère du Messie, c’était pour elles un malheur et une honte de ne pas se marier et de ne point avoir d’enfants. Chez les Corses, à l’époque du banditisme, chaque maison se trouvant ou pouvant se trouver engagée dans des inimitiés, chaque femme tenait à honneur d’être mariée et d’avoir beaucoup d’enfants, de garçons surtout, pour donner des défenseurs à sa famille; et c’est peut-être à cela que songeait Napoléon, quand il répondait à Mme de Staël :

— La femme de France que j’estime le plus, est celle qui a le plus d’enfants.

En outre, ici comme ailleurs, peut-être plus qu’ailleurs, l’homme aime à se voir revivre dans une postérité nombreuse, et ne redoute rien tant que de voir s’éteindre sa famille et son nom. Voilà pourquoi, quand il n’a que des filles, il marie l’aînée avec un de ses proches parents, portant le même nom que lui, afin de se faire illusion à lui-même, et de masquer aux yeux du public la solution de continuité, le point où s’est rompue la chaîne.

La famille Antomarchi avait eu de nombreux enfants ; mais il n’en restait que deux, Gallocchio et un frère plus âgé que lui de quelques années. Elle était d’ailleurs une des plus riches de la contrée, et sa bienfaisance lui avait fait des amis partout. A sept ans, Gallocchio fut placé chez le curé d’Ampriani, qui, les instituteurs publics n’étant pas encore inventés, tenait une école libre très fréquentée. Il enseignait la lecture, l’écriture, le calcul, et donnait des leçons de latin aux plus intelligents. Gallocchio fut de ce nombre, et ne tarda pas à surpasser tous ses condisciples. Son maître l’aimait d’autant plus qu’il annonçait une vocation marquée pour l’état ecclésiastique, et ses parents le voyaient avec plaisir s’engager dans cette voie.

En quittant l’école d’Ampriani, Gallocchio fut envoyé au séminaire d’Ajaccio, pour y étudier la philosophie et la théologie, et se préparer au saint ministère. Il s’y distingua bientôt par son intelligence et ses progrès, son caractère et sa conduite; il s’y fit également aimer de ses condisciples et de ses maîtres. En un mot, il promettait à l’Église de Corse un prêtre du plus rare mérite, quand un malheureux événement vint détruire ses projets d’avenir. Son frère mourut presque subitement; et son père, qui l’avait vu avec plaisir prendre le chemin du séminaire, lui ordonna aussitôt d’en sortir, afin de se marier et d’empêcher ainsi sa race de s’éteindre. Il voulait même que le mariage se fît immédiatement, bien que Gallocchio n’eût encore que dix-sept ans et demi, et se trouvât de la sorte à six mois de l’âge légal.

— Il ne savait donc pas la loi, ce brave homme?

— Beaucoup de gens, en France, connaissent la loi, sont chargés de l’appliquer et de la faire quelquefois, qui ne se gênent pas pour la tourner, l’éluder, la violer même ouvertement. Est-ce que vous n’avez jamais entendu parler de hauts fonctionnaires trompant la douane et l’octroi, la poste et l’enregistrement, allant à la chasse et à la pêche, et ne rougissant pas de manger, en temps prohibé, la truite et le brochet, la perdrix et le lièvre? Chez nous, on ne se gêne pas davantage ; on ne croit encore que médiocrement à la loi et à ses formules. Quand on veut marier ensemble un garçon de quinze ans et une fille de treize, on pratique une double coupure dans les registres de l’état civil ; et, grâce à un acte de notoriété bien en règle, le premier se trouvant avoir dix-neuf ans, et la seconde, seize, le mariage s’accomplit le plus régulièrement du monde.

Un individu se présente dernièrement chez l’ingénieur de Bastia :

— Que désirez-vous, mon brave?

— Une place de cantonnier.

— Cela ne se peut : vous êtes trop âgé. La limite d’âge est quarante-cinq ans, et vous en avez au moins soixante.

— C’est bien, Monsieur. Je reviendrai.

Huit jours plus tard, il revient en effet, porteur d’un acte de notoriété, établissant par A + B qu’il n’a que quarante et un ans sonnés. Que répondre à cela, du moment que la loi et les philosophes admettent le témoignage des hommes comme critérium de la certitude et argument de la vérité?

— Je me suis trompé, dit l’ingénieur : ce n’est pas à quarante-cinq ans, mais à trente-cinq qu’est la limite de l’âge.

— C’est bien. Je reviendrai.

Et il revient encore avec un nouvel acte de notoriété, signé des mêmes témoins et du même juge de paix, certifiant qu’il n’a pas encore trente-trois ans accomplis ! Ces pratiques-là sont honteuses, criminelles, et datent de l’époque génoise; mais elles vont devenant de plus en plus rares, et ne tarderont pas, s’il plaît à Dieu, à disparaître tout à fait.

C’est sans doute sur un procédé de ce genre que comptait le père de Gallocchio pour marier son fils avant l’âge légal ; mais celui-ci, dont la nature droite et éclairée répugnait à tout ce qui sent le mensonge et la fraude, refusa d’y donner les mains, prétextant d’ailleurs que ce n’était pas trop de six mois pour faire avec maturité un choix si redoutable et si peu redouté. En attendant, peut-être vous sera-t-il agréable d’avoir quelques détails sur la manière dont se célèbre, en Corse, le mariage.

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