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V Un nouveau prétendant. — Rupture. — Le makis, Dénonciation. — Retour.

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Les anciens représentaient la Renommée comme une jeune femme ayant cent bouches et cent oreilles, avec de longues ailes garnies d’yeux. Elle est toujours la même : en un clin d’œil, la nouvelle des fiançailles de Louise se répand dans tous les pays voisins. Aussitôt, de toutes les broussailles sortent une multitude de prétendants jusque-là inconnus, exactement comme, dans les forêts, une multitude de chiens, jusque-là muets, donnent de la voix et se précipitent dès que le lièvre est lancé.

Parmi ces prétendants, il en est un, natif de Corte, avocat, et qui aspire aux plus hautes fonctions. Rosola, qui a de l’ambition et de l’orgueil, se voit déjà belle-mère d’un conseiller, d’un président, d’un préfet, de mieux encore peut-être ; elle se voit assaillie de solliciteurs, qui implorent sa protection près de son gendre; elle forme sans cesse les plus beaux rêves et les plus beaux châteaux en Espagne. Mais, au milieu de tout cela, l’image de Gallocchio lui apparaît comme la statue du Commandeur. Il a dit : — Vous avez vendu votre âme au diable! Que va-t-il dire? que va-t-il faire?... Ce qui la rassure, d’une part, c’est sa grande jeunesse et son éducation chrétienne, qui le détourneront des résolutions cruelles; et, de l’autre, l’influence qu’elle s’imagine exercer sur lui. Convaincue donc que les choses ne manqueront pas de se passer comme elle le désire, elle entre en pourparlers avec le nouveau venu, lui donne une parole qu’elle a déjà donnée; et il est décidé que, au mépris des engagements contractés envers Gallocchio, Louise épousera M. l’avocat et sera grande dame. Toutefois, cette femme artificieuse va trouver Gallocchio et lui dit :

— Vous êtes le fiancé de notre fille, et nous savons quels sont vos droits; mais nous savons aussi que vous êtes le plus loyal, le plus généreux des hommes, et que nul sacrifice ne vous est pénible, quand il s’agit de celle que vous aimez... Nous savons d’ailleurs ce que vous valez, ce que vaut votre famille. Mais il se présente pour Louise un parti si avantageux, que nous manquerions à tous nos devoirs en le refusant; et vous ne refuserez pas de nous rendre un engagement qui, après tout, n’est que facultatif.

— Vous n’avez pas besoin de détours : je sais tout. Mais, avant de vous répondre, laissez-moi parler un instant à Louise.

Louise avait appris le matin même la grande nouvelle. Elle savait que le nouveau prétendant était avocat; mais elle ne le connaissait pas.

— Eh bien! moi, je le connais. Voici sur son compte des renseignements certains, que vous ne devez pas ignorer. C’est, en effet, un avocat beau et bon garçon, de trente ans, sans fortune et sans causes. Sa fortune s’est évanouie à Paris. Il ne lui en reste plus rien. N’ayant pas de causes à plaider, il passe son temps à la chasse et au jeu ; et l’on dit qu’il cherche un riche mariage, afin de réparer le délabrement de ses affaires. Que deviendra votre dot dans des mains accoutumées à dissiper sans compter? Je n’en sais rien. Mais que deviendrez vous vous-même dans un milieu auquel vous n’avez pas été préparée, et où l’on ne vous recevrait pas sans votre argent? Quoi qu’il en soit, quelque cruel que soit ce sacrifice pour mon honneur et mon amour, si vous tenez à cette union, je suis prêt à vous rendre votre parole et votre liberté.

— Non seulement je ne tiens pas à cette union, mais je m’y refuse entièrement. Je vous ai donné mon cœur et ma foi, et je ne le regrette pas; je suis votre fiancée, et mon plus vif désir est d’être votre épouse.

— Cela étant, je garde votre parole et mes droits. Je vais revoir vos parents. S’ils persistent dans leur projet, soyez ce soir, à neuf heures, à la fontaine du Figuier; je vous conduis à Campi, chez la sœur de ma mère, où vous serez en sûreté sous tous les rapports.

La loi française sur le mariage s’applique sagement à concilier l’autorité paternelle avec la liberté de l’enfant. Ainsi, avant l’âge de vingt-cinq ans, l’enfant ne peut se marier sans le consentement du père, dont le droit de veto est absolu; mais dès qu’a sonné la vingt-cinquième année, il suffit de trois sommations respectueuses, pour amener à capitulation le père le plus opiniâtre, ou se passer de son consentement,

En Corse nous sommes en France, aussi bien qu’on l’est à Paris; mais, laissant de côté le veto et les sommations, on y tourne souvent la loi par un procédé aussi simple que facile, et à la portée de tout le monde. Ce procédé consiste, pour la fille, à quitter furtivement le toit paternel, et, pour le jeune homme, à la placer, en attendant, dans une maison honnête et sûre, où lui-même n’habite pas : c’est ce qu’on appelle prendre le makis.

Ces escapades finissant presque toujours par le mariage, l’opinion publique ne leur est pas trop sévère ; mais elles n’en constituent pas moins une pratique coupable, que je voudrais aussi voir disparaître de mon pays.

En quittant Louise, Gallocchio reprend son entretien avec ses parents.

— C’est vous, dit-il à Rosola, qui avez tout fait : c’est vous qui avez eu l’idée de ce mariage; vous qui l’avez rendu possible par vos démarches; c’est vous qui, malgré moi, vous êtes obstinée à précipiter la cérémonie des fiançailles, contre laquelle vous vous débattez aujourd’hui : c’est donc vous qui avez tout fait, et vous venez aujourd’hui renier votre ouvrage! vous venez étouffer dans mon cœur l’amour et les espérances que vous y avez allumés ! vous venez me proposer de me déshonorer en cédant ma fiancée à un autre! Avez-vous bien réfléchi aux conséquences d’un pareil acte?

— L’engagement des fiançailles n’est pas obligatoire, et nous avons pour nous la loi,

— Si vous avez la loi, moi j’ai les mœurs et l’opinion publique. Louise donc sera ma femme, ou jamais elle n’épousera personne.

La fontaine du Figuier n’étant qu’à cinq minutes du village, Louise s’y trouvait à l’heure dite, et Gallocchio la conduisait chez sa tante, femme estimée de tout le pays.

Qu’avaient à faire les parents de Louise, en s’apercevant de la fuite de leur fille? Ce que font, en pareil cas, les personnes sensées, qui craignent lé scandale : renouer avec Gallocchio, et s’estimer très heureux qu’il n’eût pas changé d’avis. Au lieu d’agir ainsi, Rosola entraîne secrètement à Bastia son mari et ses deux frères; et, tous ensemble, ils déposent au parquet contre Gallocchio une plainte, où il est accusé de rapt, avec violence et menaces de mort. En conséquence, une enquête est ordonnée et un mandat d’arrêt lancé contre lui par provision. La chose avait été si discrètement et si rapidement menée, que personne n’en savait rien.

Cependant, le premier feu tombé, Rosola comprend qu’ils ont fait une calomnie; et que, si Louise déclare qu’elle l’a suivi librement et volontairement, sans menaces et sans violences, tous les signataires de la plainte pourront se trouver dans une triste position. Sachant que Gallocchio est absent ce jour-là, elle part pour Campi avec son mari et ses frères, dit à la tante qu’ils viennent pour renouer le mariage et demandent à voir Louise. Que lui disent-ils? quels reproches, quelles promesses, quelles menaces lui adressent-ils ? Je l’ignore ; mais le fait est qu’ils lui font promettre de s’enfuir, à la première occasion, chez ses oncles, qui la ramèneront à Casavecchia. Le soir même, Gallocchio n’étant pas rentré à la nuit, elle se sauve chez ses oncles, qui habitent un village voisin.

A peine a-t-elle fait trois cents mètres, qu’un bruit de pas retentit; elle voit un homme, qui vient en sens contraire. La peur la prend, ses genoux tremblent ; elle se blottit dans le taillis. Mais l’homme l’a vue et lui dit :

— Ne craignez rien. Si même vous voulez le permettre, je vous accompagnerai jusque chez vous.

A cette voix, elle reconnaît Gallocchio, tombe à genoux et fond en larmes.

— Comment! c’est vous, Louise? Que faites-vous ici? où allez-vous?

La malheureuse lui raconte en pleurant ce qui s’est passé. Il ne lui adresse pas un seul reproche, et la conduit à Matra, chez ses oncles.

— Frères A..., leur dit-il, vous êtes venus, avec son père et sa mère, pour la décider à me quitter : c’est votre affaire et la sienne. Je vous la rends, aussi pure que je l’ai reçue; mais, avant de nous séparer, il faut qu’elle déclare par écrit, et que vous certifiiez sa déclaration, si elle m’a suivi spontanément, ou si je l’y ai forcée par la menace et la violence.

Quand cette déclaration est faite par Louise et certifiée par ses oncles :

— Comment donc se fait-il que vous vous soyez tous entendus pour me calomnier auprès du procureur général, en m’accusant d’un crime affreux, que je n’ai pas commis et dont je suis incapable?... Eh bien ! retenez pour vous-mêmes et dites à votre sœur que, si cette infâme accusation n’est pas immédiatement retirée, elle fera bien de faire provision de vêtements de deuil. — Quant à vous, que j’ai tant aimée, vous avez trompé ma confiance et brisé ma plus chère illusion. Je vous pardonne; mais vous ne deviendrez jamais ma femme, et nul ne sera votre mari.

Et là-dessus il s’en va, jetant à la pauvre fille un regard de pitié, et à ses deux oncles un regard de colère.

Voyage en Corse

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