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VI Hésitations. — Le bon curé. — Vaines démarches. — La guerre.

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Table des matières

Quand un homme est né bon, et que sa bonne nature a été développée par une solide éducation chrétienne, il n’est point pour cela impeccable sans doute, mais il ne devient pas mauvais tout d’un coup; ce n’est qu’après de violents combats qu’il succombe et se décide à brûler ce qu’il a adoré, pour adorer ce qu’il a brûlé.

Ainsi en est-il de Gallocchio. Malgré ses justes sujets de plainte, malgré l’acharnement de ses ennemis à le perdre, malgré le droit de vendetta que lui reconnaît l’opinion, il est comme César au bord du Rubicon : il hésite à s’engager dans la voie sanglante du crime. Pour couper court à ces hésitations, il fait ce qu’il est toujours bon de faire dans les circonstances graves : il va demander conseil à un homme sage et expérimenté. Cet homme est son ancien maître, le curé d’Ampriani.

— Mon enfant, dit cet excellent homme, vos ennemis sont très coupables à votre égard; mais vous n’êtes pas innocent envers eux. Si vous vous plaignez d’un parjure et d’une calomnie, n’ont-ils pas à vous reprocher l’enlèvement et le déshonneur de leur fille?

— Je ne l’ai pas enlevée ; elle m’a volontairement suivi.

— Qui lui a proposé de fuir? qui lui en a fourni les moyens? N’est-ce pas vous? Il y a donc eu enlèvement, et vous êtes le ravisseur.

— Ces actes sont autorisés par l’usage et les mœurs; ils se produisent tous les jours chez nous.

— L’usage et les mœurs ne sauraient autoriser ce que Dieu défend. Or il est écrit : Tes père et mère honoreras. Et pensez-vous qu’une fille honore son père et sa mère en leur désobéissant et se déshonorant elle-même? Que prouve d’ailleurs la multiplicité des crimes ? Est-ce que le vol et l’assassinat deviendraient légitimes, parce qu’il y aurait beaucoup de Voleurs et d’assassins?

— Louise étant ma fiancée, j’avais sur elle des droits incontestables.

— D’après nos préjugés, oui; non, d’après la vérité et la justice. Au mariage seul sont attachés les droits dont vous parlez. Or le mariage est un sacrement, que ni le père de famille ni le maire de la commune, mais le prêtre seul a le pouvoir d’administrer : dans la famille, règlement des questions d’intérêt et autres, aboutissant à une promesse de mariage; à la mairie, acte civil, donnant à cette promesse la force d’un contrat solennel, assurant la position légale des contractants et de leurs enfants; à l’église, bénédiction nuptiale, légitimant au nom de Dieu l’union des deux époux, et leur donnant le droit de cohabiter ensemble. Voilà la vérité. Les fiançailles n’ont pu vous conférer d’autres droits que ceux résultant d’une promesse respectable sans doute, mais pouvant être révoquée sans crime.

— Alors, que dois-je faire, à votre avis?

— Reprendre les relations interrompues ; épouser Louise, à laquelle vous devez une réparation, et qui, par le fait, n’est point coupable envers vous.

— A la rigueur, je me déciderais à épouser Louise; mais devenir le gendre de ses parents, c’est un supplice et une honte que je ne saurais plus accepter à aucun prix.

— Eh bien! alors, il faut offrir la paix, renoncer à vos prétendus droits, à condition que la plainte sera retirée et que les poursuites cesseront.

— La paix!... Rosola dira que j’ai peur, et n’en que plus implacable.

— Pourquoi ne pas aller au procureur général, d’accusé vous faire accusateur, déposer une plainte en calomnie?

— Oui; mais on commencera par me mettre en prison, en attendant que la cause soit instruite. Et qui sait, d’ailleurs, les trésors de mensonges, de parjures et de faux témoignages qu’elle a en réserve contre moi?

— Cela étant, plutôt que de tuer ou d’être tué, je gagnerais la Sardaigne ou la France. Avec votre fortune, vous pourriez vivre honorablement partout.

— Fuir! ce serait me reconnaître coupable et combler les vœux de mes ennemis; ce serait me livrer à la risée publique. Je resterai donc en Corse, inoffensif, si on me laisse tranquille, mais rendant guerre pour guerre à mes persécuteurs; et, comme j’ai tout fait pour éviter la lutte, ce ne sera pas sur moi, je l’espère, que retombera la responsabilité du sang répandu.

Pour ne laisser aucune démarche sans la tenter, le digne prêtre va trouver Rosola et lui propose la paix. Cette femme emportée refuse tout accommodement, déclare qu’elle poursuivra jusqu’à la fin Gallocchio, et que, si elle n’a pas le plaisir de l’envoyer à l’échafaud, elle espère du moins l’envoyer au bagne.

Le prêtre va ensuite au procureur général, et lui raconte l’infâme calomnie dont Gallocchio est victime. Mais le procureur a déjà été prévenu ; on lui a fait croire que la déclaration signée de Louise et de ses oncles leur a été arrachée par la menace d’un coup de fusil.

N’ayant plus aucun moyen d’échapper à cette situation cruelle, Gallocchio se cachait dans la montagne, pour en attendre le dénouement. Les gendarmes ne mettaient pas grande ardeur à le poursuivre : on eût dit qu’il leur faisait peine de mettre à exécution le mandat d’arrêt, quand une nuit, conduits par Rosola elle-même, qui est parvenue à découvrir sa retraite, ils enveloppent sa caverne. Si elle n’eût eu une double issue, il était infailliblement perdu. Irrité de cette trahison, il lui déclare dès le lendemain une guerre à mort, dans la personne de son mari et de ses frères. Et voilà comment, par des circonstances fatales, une nature d’élite subit une transformation funeste; comment celui qui devait être un des meilleurs prêtres de la Corse, en devient un des plus terribles bandits.

Voyage en Corse

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