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IV L’enclos favori. — Rosola, et Louise. — Propositions de mariage. — Abraccio.

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En quittant, quoique à regret, le séminaire, Gallocchio avait obéi à ses parents; il leur obéissait encore en se décidant au mariage, pour lequel il avait peu de goût, et il était bien résolu à accepter de leur main la femme qu’il leur plairait de lui choisir. Dans l’intervalle, comme six mois sont longs, il se résout à chercher bravement, dans le travail des mains; un remède aux ennuis et aux dangers de l’oisiveté.

Dans quelque position qu’il se trouve, l’homme a des préférences, et se plaît à localiser ses affections : le professeur a dans sa classe un élève qu’il aime mieux, et favorise quelquefois aux dépens des autres; le berger a dans son troupeau un mouton préféré, avec lequel il partage son pain, auquel il choisit les meilleures herbes; la mère elle-même ne tient pas toujours la balance égale entre ses enfants.

Parmi les enclos de sa famille, il en est un qu’affectionnait particulièrement Gallocchio. Voisin du hameau de Casavecchia, cet enclos se trouve dans une situation ravissante, entouré d’arbres fruitiers de toute sorte, et arrosé par des eaux limpides, Chaque jour il y descend à l’aurore, n’en remonte qu’au crépuscule; et c’est toujours là qu’on est sûr de le rencontrer, quand les ordres de son père ne le retiennent pas ailleurs. Aussi, grâce à son intelligence et à son activité, ce petit coin de terre, jusque-là délaissé, se change promptement en un vrai paradis terrestre.

Au hameau de Casavecchia, résidait un certain M. (Ange-Joseph), le plus riche propriétaire du pays. Légèrement ami du farniente, il passait ses journées, comme Tityre, à l’ombre d’un hêtre touffu, bourrant éternellement et débourrant sa pipe, regardant travailler ses Lucquois, contemplant les nuages qui courent dans le ciel, et les vagues sur la mer. C’est un homme qui n’a ni grands défauts ni grandes qualités qui lui soient propres; attendu que, bien qu’il soit deux fois et demie majeur, il est tenu en tutelle, sinon en laisse, par Rosola, son altière et inégale moitié : il ne remue les bras, les jambes et la tête que quand elle a tiré la ficelle.

De cinq ou six enfants qu’ils ont eus, il ne leur reste qu’une fille, appelée Louise. Beauté, conduite, jeunesse, fortune, elle a tout ce qui fait dresser l’oreille et met les prétendants en campagne.

Casavecchia dominant la vallée, et la maison d’Ange-Joseph se trouvant au bout du village, on ne pouvait s’y mettre à la fenêtre sans avoir sous les yeux le merveilleux enclos. Rosola et Louise ont bientôt fait d’apercevoir la transformation qui s’y opère et de distinguer celui dont elle est l’ouvrage : elles passent à leur observatoire les journées entières à le contempler; elles aiment à le voir le matin s’agenouiller auprès d’un olivier, pour offrir à Dieu son travail, greffer ou émonder ses arbres, semer ou arroser ses fleurs, extirper les herbes nuisibles et remuer la terre avec aisance ; elles l’admirent quand, après son modeste repas, il consacre à la lecture le temps que les autres donnent au sommeil, à la pipe et au jeu ; et le soir, dès qu’il est parti, elles pénètrent dans l’enclos, notant ce qu’il a fait dans la journée, ne tarissant pas d’éloges sur la propreté, la régularité et la parfaite entente de ces travaux.

Rosola disait à son mari :

— Quel jeune homme accompli! Quel coup de fortune pour celle qui l’épousera! Voilà le gendre qu’il nous faudrait.

Et le mari de répondre :

— Quel coup de fortune! Voilà le gendre qu’il nous faudrait.

Aux pas imprimés sur le sable des allées et à quelques fleurs disparues, Gallocchio a souvent remarqué qu’en son absence l’enclos est visité par des femmes. Étant donnée la population du village, il ne peut se tromper sur le nom de ces visiteuses ; mais il fait semblant de ne s’apercevoir de rien.

Cependant Rosola, poursuivant son idée, s’est mis sérieusement en tête de le donner pour mari à sa fille. Il faut qu’elle lui parle, l’attire dans sa maison, le mette en rapport avec Louise. Mais, comprenant qu’elle a affaire à forte partie, elle dresse ses batteries en conséquence et s’excite par les obstacles. Un jour donc, elle survient comme par hasard, longe la clôture de l’enclos, et, de sa voix la plus caressante, lui adresse des compliments, auxquels il répond en lui offrant un bouquet de ses plus belles fleurs. Elle s’en va, enchantée du jardinier plus encore que du jardin, convaincue que, la brèche étant ouverte, elle ne tardera pas à pénétrer dans la place.

Depuis ce temps, plusieurs fois la semaine, elle descend vers lui au moment du repas, lui apportant de ces petites friandises qui ne déplaisent à personne. Persuadé que tant de politesses ont un but, Gallocchio se met sur ses gardes, se montre d’autant plus réservé qu’elle se fait plus familière. Piquée au vif, elle recourt à des moyens plus énergiques.

Elle possède aux environs un vaste enclos, où se promènent jour et nuit des bœufs, des chevaux et des ânes. Ils ont de l’herbe en abondance, des eaux pures, de frais ombrages, peu de travail et pleine liberté; mais, hélas! sans être précisément de grands criminels, ils n’ont pas une idée bien nette du droit de propriété, et ne sont pas insensibles à l’attrait du fruit défendu.

Or, certain jour, poussés par le diable et leur propre malice, peut-être aussi par les secrets conseils de leur maîtresse, ils forcent la clôture, et s’installent sans façon dans le champ d’un voisin peu ami d’Ange-Joseph. Si cet homme survient, il y a là évidemment ample matière à querelle. Rosola court donc vers Gallocchio et le supplie, lui qui est vigoureux et leste, de faire rentrer dans le devoir les délinquants. Un quart d’heure plus tard, tout était rentré dans l’ordre, et Gallocchio avait à lutter contre Rosola et son mari, qui, ne sachant comment lui témoigner leur gratitude, lui offraient un excellent dîner. Mais la gourmandise n’eut pas sur lui plus de prise que la vanité : la séductrice en fut encore pour ses efforts perdus.

— Mon cher Joseph, lui disait-elle le surlendemain, vous faites ici des choses merveilleuses; mais, par malheur, il n’y a personne pour les apprécier et les admirer comme elles le méritent.

— Ce que je fais, c’est pour m’amuser et me distraire, et non pour me faire admirer.

— Ce qui n’empêche pas que, si vous aviez près de vous une femme jeune et charmante, l’existence vous serait bien plus agréable.

— N’ai-je pas mes parents?... Si vous saviez comme je suis heureux quand ils sont contents de moi!

— Sans doute; mais, à votre âge, sans cesser d’aimer ses parents, on a besoin d’une affection plus nourrissante et plus vive. Vos camarades sont presque tous mariés; ne voulez-vous pas faire comme eux?

— Il le faut, puisque mes parents l’ordonnent ; mais je ne puis, je l’avoue, penser au mariage sans une espèce de frisson.

— Et pourquoi? Est-il rien de plus doux que de Conduire à l’autel une jeune fille accomplie, et de passer sa vie près d’elle?

— Et si cette jeune fille accomplie la veille se trouve tout autre le lendemain; ou si moi-même je manifeste des goûts, des tendances et des défauts que l’on ne me soupçonnait pas, que deviendra, je vous prie, le bonheur commun dont vous parlez?

— Assurément; mais, pour échapper à ce péril, il suffit de savoir choisir... Voulez-vous me confier vos intérêts? Je sais pour vous un parti des plus convenables, et qui plaira à vos parents.

— Vraiment?

— Oui; et de plus, ce que la jeune fille était la veille, la jeune femme le sera le lendemain et jusqu’à la fin de sa vie... Je la connais comme moi-même, car elle n’est autre que ma propre fille.

Sans étonner Gallocchio, cette conclusion ne laisse pas que de l’émouvoir. Louise, au point de vue de la fortune, est un très bon parti; sa famille est considérée ; elle-même est très bien de sa personne : mais, tout en se montrant reconnaissant, il déclare ne pas pouvoir répondre avant d’avoir consulté ses parents. Consultés le soir même, ceux-ci accueillent ces ouvertures, s’abouchent avec Rosala, et il est décidé que le mariage se fera dans le délai légal.

Impatiente de sa nature, Rosala voulait immédiatement s’engager en faisant les fiançailles. Gallocchio n’était pas de cet avis. Pourquoi se lier même conditionnellement, disait-il, quand il faut attendre quatre mois pour que le mariage soit possible? n’est-il pas plus prudent, à tous les points de vue, de garder jusqu’au bout sa liberté, et de ne faire l’abraccio que la veille du mariage?

— Per la Madona! mon cher Joseph, vous poussez trop loin la prévoyance et la crainte. Avez-vous peur que, après vous avoir donné notre parole, nous la reprenions, pour la donner à un autre? Que vous nous connaissez mal ! Un prince viendrait après vous demander Louise, qu’il s’en retournerait bredouille. Nous ferons l’abraccio samedi prochain.

— Vous le voulez? qu’il soit fait selon votre parole ; mais souvenez-vous qu’à partir de ce jour, vous aurez engagé votre âme au diable, c’est-à-dire que Louise sera ma femme, ou ne sera celle de personne.

Les fiançailles se firent en effet, et les deux jeunes gens s’abandonnèrent à leur amour avec cette effusion naturelle aux cœurs purs et innocents.

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