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III Du mariage en Corse.

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Table des matières

Pour aller du célibat au mariage, il y a trois étapes chez nous :

La famille, la mairie, l’église; l’abraccio ou fiançailles, l’acte civil, l’acte religieux.

L’abraccio est une cérémonie intime où, en présence des deux familles réunies, se discute la question d’intérêt, s’échangent une promesse de mariage et le baiser des fiançailles. Il n’a légalement aucune valeur; mais, de tout temps, aux yeux de l’opinion publique, il a constitué un engagement tellement sacré, que si le jeune homme, par exemple, vient à mourir entre l’abraccio et le mariage, sa fiancée est considérée comme veuve, et doit se soumettre au deuil le plus rigoureux. La première année, elle ne sort pas de la maison, et se tient vêtue de noir des pieds à la tête; ses cheveux restent entièrement cachés; parfois elle se noircit les dents et les ongles. La seconde année, elle découvre ses cheveux, introduit dans sa toilette quelque objet de couleur, ouvre les volets de sa chambre; et, son deuil s’en allant ainsi pièce à pièce, elle peut enfin se marier.

Manquer aux engagements de l’abraccio est la plus grande injure qu’un des fiancés puisse faire à l’autre; c’est un cas de vendetta des mieux caractérisés ; c’est la porte ouverte à d’incalculables malheurs. On voit des hommes qui comptent pour moins déshonorant d’être abandonnés par leur propre femme, que trahis par leur fiancée. Cela est, comme nous l’avons dit ailleurs, un préjugé absurde : car, enfin, de l’abraccio au mariage, s’il vient à se produire de ces faits qui creusent un abîme entre les familles, s’il vient à se manifester chez l’un ou l’autre des fiancés de ces défauts et de ces vices qui rendent impossible le bonheur conjugal, est-il raisonnable, est-il sensé, quand il n’y a pas nécessité absolue, de se jeter dans cet enfer anticipé?... Ce furent précisément une injure et une erreur de ce genre qui transformèrent notre pieux séminariste en un sanguinaire bandit.

L’acte civil et l’acte religieux se faisant exactement comme en France, il est inutile d’en parler; mais, de la mairie à l’église et de l’église à la maison, il se produit des manifestations originales, qui ne manquent pas de sens et d’intérêt, bien qu’elles fassent parfois rire les étrangers.

Si les fiancés sont du même endroit, les femmes se rendent chez la future, dont elles soignent la toilette, tandis que les hommes vont chercher chez lui le futur et le mènent chez son beau-père, où l’attend une réception triomphale. Pendant que le cortège se rend à la mairie, la foule le regarde en silence; mais, de la mairie à l’église, et de l’église à la maison de l’époux, à chaque porte du parcours, deux femmes sont debout, dont l’une fait manger aux deux mariés et aux gens de la noce une cuillerée de miel ou de bouillie, tandis que l’autre, avec une serviette ouverte, essuie les mentons et les barbes. Et pendant ce temps-là retentissent de tous côtés des bravos et des vivats; de tous les balcons et de toutes les fenêtres, il ne cesse de pleuvoir une véritable grêle de blé, d’orge, de riz, de maïs, etc., emblème de l’abondance que l’on souhaite aux jeunes époux.

Du côté de Cargese, bancs, chaises et fauteuils sont proscrits du festin de noces; tous les convives sans exception doivent s’asseoir sur des sacs pleins de céréales, de légumes et de châtaignes. Il est encore d’usage dans le même pays que toute personne qui visite le jour de sa noce une jeune mariée, lui fasse présent d’un foulard, qu’elle lui attache elle-même sur les épaules : d’où il arrive que celle-ci en porte quelquefois une véritable montagne, sous laquelle sa tête disparaît. Dans la Castaniccia (pays des châtaignes), dans le canton d’Alesani notamment, un homme manquerait à la tradition et à l’usage, si, le jour des noces de sa fille, il ne servait à ses convives vingt-deux mets différents, préparés avec de la farine de châtaignes.

Si les époux ne sont pas du même pays, on attend au samedi pour aller chercher la mariée, une fille ne quittant jamais ses parents que le dimanche, après la messe de paroisse; et chacun monte un de ces petits chevaux ardents et vigoureux que nos makis nourrissent en quantité. Parmi eux, on en choisit un blanc comme la neige, et l’on orne sa tête de rubans, de fleurs et de panaches. On le mène à. la main, et il n’est monté par personne : mais, au retour, il aura l’honneur de porter l’épousée. En sortant du village, la troupe défile lentement sous les yeux des habitants, qui la suivent de leurs acclamations ; et l’usage veut, si le terrain s’y prête, qu’elle leur donne le spectacle d’une course générale.

Au retour, les parents et les amis de la mariée se joignent en nombre égal à ceux qui sont venus la chercher, et ils repartent tous ensemble, tandis que ceux qui restent sont plongés dans la tristesse et le deuil.

Après avoir quelque temps cheminé ensemble, les deux groupes choisissent, pour se séparer, le passage d’un ruisseau. Dès que la jeune femme est vers le milieu du pont, un semblant de combat s’engage, les uns voulant la conduire en avant, les autres la ramener en arrière : de sorte que, tiraillée dans tous les sens, l’infortunée a vu plus d’une fois mettre en lambeaux sa robe blanche; et il n’est pas inouï que, dans cette mêlée pacifique, elle ait pris, sans le vouloir, un bain dans le ruisseau.

Une fois sur la commune du mari, les jeunes gens de l’escorte se mettent en ligne, et, sur un signal donné par l’épouse, s’élancent au triple galop pour s’emparer des clefs de la maison et les rapporter en triomphe. Le vainqueur reçoit en récompense, ici, la jarretière de la mariée; là, un bouquet d’olivier, garni de rubans. Ce prix, que l’on appelle vanto, est un titre d’honneur pour l’homme et le cheval qui l’ont gagné. On se le dispute avec tant d’ardeur, qu’il en est parfois résulté de querelles sanglantes.

A l’entrée du village, se tiennent réunis les jeunes gens qui n’ont pas été invités à la noce, et ne sont pas plus contents pour cela. Dès que le cortège arrive, ils lui crient : Obedienza! Cet acte d’obéissance consiste à sortir le pied droit de l’étrier et à leur donner une dernière fantazia, à la façon des Arabes.

Toutes ces cérémonies accomplies, on arrive enfin devant la maison conjugale. Là, la jeune femme met pied à terre, se tient quelques instants immobile devant la porte fermée; mais bientôt apparaît la mère du marié, ou, à son défaut, la dame la plus âgée de la famille, qui s’avance vers elle, portant d’une main les clefs de la maison, et de l’autre, dans un panier, tous les fruits de Cérès, qu’elle répand sur elle en signe d’abondance, et lui souhaite la bienvenue en criant :

Dio vi dia bona furtuna,

Maschi quattro, femina una!

Ce qui veut dire : Que Dieu vous donne bonne fortune, quatre garçons et une fille!

Cela fait, la nouvelle épouse introduit la clef dans la serrure, ouvre la porte, et prend solennellement possession de son domaine.

Quelques-uns se moquent de ces usages et de ces mœurs ; quant à moi, je leur trouve quelque chose de si naïf et de si chevaleresque en même temps, que je les regretterai sincèrement, si je vis assez pour les voir entièrement disparaître.

Voyage en Corse

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