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IX Bande Théodore. — Rôle de Gallocchio. — Départ pour la Grèce. — Retour.

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Ces événements se passaient en 1820 et en 1821, à l’époque où Théodore faisait à la gendarmerie la guerre que nous avons racontée, et occupait en Corse toutes les imaginations et toutes les langues.

Gallocchio fut le premier qui, à la vue des traités d’extradition qui fermaient la Sardaigne, proposa d’organiser le banditisme, de réunir en faisceau les forces qui se dépensaient isolément dans les rencontres avec la gendarmerie. Bien que sa réputation et son influence fussent assez grandes pour lui permettre d’aspirer au premier rôle, au moins dans la Corse orientale, il n’en eut pas un seul instant la pensée. Il proposa d’abord son idée aux bandits influents de Corte, de Casaconi, du Fiumorbo et autres contrées voisines; puis, cette première idée acceptée, il offrit de s’aboucher avec Théodore, de se joindre à sa bande et de le choisir pour chef.

Théodore l’accueillit avec une considération particulière, lui montra toujours beaucoup de confiance et d’égards, et lui donna sa voix pour l’élection du chef suprême : ce qui prouve que, dans son estime, il le mettait au-dessus de tous ses compagnons.

Du reste, au lieu d’exciter les passions du chef et des soldats, Gallocchio jouait parmi eux le rôle de modérateur, éclairant les esprits par la raison, calmant les cœurs par la douceur. S’il ne put empêcher tous les crimes, il eut la satisfaction d’en adoucir et d’en prévenir plus d’un. Cela ne veut pas dire que, dans les circonstances graves, sa modération nuisît à sa résolution. Où Théodore n’était pas, c’était lui qui commandait. Nul ne montra jamais plus de courage et d’énergie, unis à plus de prudence et de sagesse. En outre, il avait la confiance de tous ; et pas un, sans excepter Théodore, n’était peut-être plus sincèrement aimé que lui.

A la création des voltigeurs corses, qui amena la dissolution des grandes bandes, il se réfugia en Sardaigne, puis en Italie, et enfin en Grèce, où il prit du service contre les Turcs. Par quels actes de courage il se distingua, je ne sais; mais il est probable qu’il fit bravement son devoir, puisqu’en très peu de temps il fut élevé au grade de capitaine, et certainement il serait parvenu beaucoup. plus haut, si un malheureux événement ne fût venu le rappeler en Corse et le rejeter dans les sanglantes aventures.

On était en 1827. Gallochio avait un jeune frère de huit ou neuf ans, qui faisait la consolation de ses vieux parents. Profitant de son absence, les Cesario. le tuèrent pour venger la mort de trois des leurs; ce qui était contraire aux lois du banditisme, qui défendent de frapper les enfants et les femmes. Promptement informé de ce fait, Gallocchio renonce à son avenir, donne sa démission, gagne l’Italie, et se fait porter sur la plage d’Aleria par un bateau napolitain.

Sans s’amuser à contempler les beautés de cette nature connue, il s’enfonce aussitôt dans un épais makis, loin des chemins battus, et prend la direction d’Ampriani, son pays natal. La nuit le surprend sur la rive droite du Tavignano. Malgré la connaissance qu’il a des lieux, il juge bon de ne pas tenter dans l’obscurité le passage du fleuve ; il fait halte en cet endroit, pour se délasser du mal de mer et des fatigues de la route. Réfugié sous un rocher saillant, il venait de faire sa prière du soir et de réciter le chapelet, selon son invariable habitude, quand il aperçoit tout à coup une lumière, qui brille à peu de distance. La curiosité, le désir d’apprendre des nouvelles et d’avoir des renseignements, le poussent à se rapprocher de ce point : il se trouve en présence d’un des Cesario. Mais, au moment de faire feu sur lui, il s’aperçoit qu’il est blessé. Poursuivi en effet par les gendarmes pour l’assassinat de l’enfant, il avait reçu le soir même une balle dans le bras, perdait beaucoup de sang et souffrait des douleurs horribles. Oubliant alors ses griefs et sa colère, Gallocchio s’approche de lui, parvient à extraire la balle, le panse avec son mouchoir, arrête l’hémorragie et dit :

— Tu es incapable de combattre. Quand tu seras guéri, nous nous retrouverons et réglerons nos comptes.

Le lendemain avant le jour, il reprend le chemin du village, et rencontre un autre de ses cousins, qui habite aussi le makis. Étonné de le voir, celui-ci ne perd pas contenance. Deux coups de feu partent en même temps, mais avec tant de précipitation, qu’aucun des adversaires n’est atteint. Ils se jettent alors l’un sur l’autre, le poignard à la main. Le combat fut long et opiniâtre. Gallocchio reçut à la main gauche une blessure sans gravité; l’autre fut frappé au cœur d’un coup de stylet, qui lui donna la mort.

Quant à celui dont il avait pansé la blessure, lorsqu’il fut complètement guéri, il eut aussi à régler ses comptes avec le terrible créancier de sa famille. Malgré toute son adresse et son courage, il ne fut pas plus heureux que les autres, et paya comme eux la dette du sang.

De cette superbe famille des Cesario, cinq avaient péri; les deux autres auraient probablement eu le même sort, s’ils ne se fussent trouvés en prison pour le meurtre de l’enfant. De ces deux-là, l’un fut condamné et mourut en prison ; le second fut acquitté, rentra au pays après la mort de Gallocchio, et survécut, seul des sept frères, à cette terrible inimitié.

On s’étonne qu’avec son heureux climat, la richesse de son sol, sa vaste superficie, la Corse, malgré la prodigieuse fécondité des mariages, en soit encore réduite à une population de 260,000 âmes. A ce phénomène il y a trois causes principales, qui agissent séparément et ont leur influence particulière.

La première et la plus puissante est évidemment la pratique de la vendetta. Comment en douter, lorsque, durant de longs siècles, on voit le pays mis à sang par trois, quatre et jusqu’à sept et huit cents bandits, dont plusieurs, comme Gallocchio, Garrocchi et tant d’autres, n’ont pas tué chacun moins de quinze à vingt personnes? Donnez aux bandits la moyenne ordinaire de la vie, ce qui est excessif; portez-les au nombre de 400, pendant seulement 300 ans, ce qui est encore au-dessous de la vérité; faites tuer par chacun seulement six personnes : vous verrez que le nombre des victimes est presque triple de la population de l’île.

La seconde, c’est la tendance générale qui emporte en France et ailleurs notre jeunesse. Les uns embrassent la carrière des armes, meurent sous les drapeaux, se marient sur le continent; ou, s’ils rentrent au pays natal, ce n’est qu’à l’époque de la retraite, et souvent ils meurent dans le célibat. Les autres courent après de petits emplois, qu’ils n’obtiennent qu’avec peine, perdent facilement, et qui leur enlèvent parfois toute idée ou tout moyen de retour.

La troisième, c’est ce maintien déguisé du droit d’aînesse, qui, pour conserver sur une seule tête la fortune de la famille, condamne au célibat les cadets et les filles.

Toutefois, il est vrai de le dire, une grande amélioration s’est manifestée depuis la suppression du banditisme. Ainsi, la Corse, qui, pour la population totale, n’était qu’au quatre-vingt-quatrième rang des départements français, tandis qu’elle est au sixième pour la superficie, se trouve aujourd’hui au vingt-quatrième pour l’accroissement total, et au premier pour l’accroissement spécifique : ce qui permet d’espérer que nous ne tarderons pas à nous relever de notre infériorité numérique.

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