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Une innovation de grande portée : l’apparition du niveau opératif

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Les termes « opération » et « opératif » apparaissent dans la littérature militaire allemande dès le début du XIXe siècle. Mais ils sont encore employés de façon assez floue, et ni dans les doctrines, ni dans l’organisation, ni dans la chaîne de commandement le niveau opératif n’apparaît clairement, alors que le niveau stratégique (la conduite de la guerre) et le niveau tactique (la conduite de la bataille) sont bien identifiés.

Une exception : les Russes, qui ont à l’Ouest trois groupes d’armées, organisation qui leur permet de varianter les axes d’effort en fonction de la situation (guerre contre l’Autriche seule, contre l’Allemagne et l’Autriche, changement d’axe principal en cours d’opération, etc.). On voit clairement se dessiner les linéaments d’un concept opératif4.

En fait, ailleurs on commença la guerre avec la distinction classique entre le niveau stratégique et le niveau tactique. Mais dès le début des opérations, l’échec de la conduite très décentralisée, pour ne pas dire l’absence de conduite, par le grand état-major allemand et Moltke, des sept armées allemandes engagées à l’Ouest montra que les méthodes qui avaient réussi sous Napoléon (le commandant en chef dirige directement l’ensemble des opérations) ou sous Moltke l’Ancien (le commandant en chef donne des directives, les subordonnés les appliquent en fonction de leur jugement, conformément à l’Auftragstaktik et en vertu de la Preussische Freiheit) ne suffisaient plus. Entre le niveau tactique et le niveau stratégique, un niveau intermédiaire apparaissait, non plus en théorie mais dans la pratique, celui du théâtre, et de l’action combinée et coordonnée de l’ensemble des forces sur ce théâtre : le niveau opératif.

On eut deux contre-épreuves : la conduite très ferme de la bataille sur le front français, à la hauteur de l’ensemble du théâtre du « Nord-Est », tranchant sur le désordre et l’absence de coordination de 1870/71. « La victoire de la Marne a été une victoire du commandement », on connaît la formule5. Et la VIIIe armée allemande, celle qui se battit à l’Est et remporta avec Hindenburg et Ludendorff la victoire de Tannenberg, étant la seule sur ce théâtre, fut bien obligée de se placer au niveau opératif, le grand quartier général étant en outre incapable de lui donner la moindre impulsion6.

A partir de là, Ludendorff maintint résolument le principe opératif à l’Est. Certes, en septembre, la Direction suprême de la guerre (OHL) décida de créer à l’Est une IXe armée, dont le commandement échappait à Hindenburg-Ludendorff, l’OHL prétendant se réserver la coordination des VIIIe et IXe armées, alors que son GQG était toujours à l’Ouest. La sanction immédiate fut une série d’échecs lors de l’offensive allemande en Pologne. Finalement, Hindenburg obtint de commander les deux armées, ainsi que toutes les garnisons et régions militaires limitrophes : ce fut l’établissement d’un échelon de commandement suprême à l’Est, Oberost, qui n’eut pas son équivalent à l’Ouest. Et ce, jusqu’à ce que Hindenburg et Ludendorff remplacent Falkenhayn au grand état-major en août 1916, et mettent en place à partir de ce moment-là une coordination beaucoup plus « opérative » qu’auparavant des armées du front Ouest, d’ailleurs regroupées en « groupes d’armées ». Malgré tout, certains défauts subsistaient dans l’organisation allemande, du fait de la fiction de l’empereur commandant en chef, et de la double subordination des chefs d’état-major des différentes armées, qui relevaient à la fois de leur commandant en chef sur place et du chef de l’état-major général ; et aussi du fait que ni les Autrichiens ni les Bulgares ne furent jamais placés sous commandement unique.

Malgré tout, grâce à la forte personnalité de Ludendorff, le niveau opératif se fit jour clairement. Il permettait d’embrasser de façon coordonnée un théâtre entier, et il permettait aussi d’éloigner les ingérences éventuelles des autorités civiles : il n’était pas possible d’écarter celles-ci totalement pour les grandes options de stratégie générale (rapports avec l’Autriche-Hongrie, avec les Etats-Unis, guerre sous-marine à outrance, conditions des traités de Brest-Litovsk et de Bucarest en 1918, etc.) mais pour la conduite des opérations, le commandement occupait tout l’espace du niveau opératif. Los von Berlin !

On ne revit plus, par exemple, des initiatives comme celles du Kronprinz de Bavière, Ruprecht, qui, en prenant l’offensive trop tôt en août 1914 en Lorraine, contribua largement à l’échec du plan Moltke d’offensive sur Nancy. Mais il est vrai que la VIe armée était bavaroise, que ses arrières étaient le Palatinat, à l’époque bavarois, et que par son offensive le Kronprinz espérait bien prendre des gages pour réaliser les buts de guerre particuliers de la Bavière : rattachement du Reichsland (agrandi en Lorraine) au royaume de Bavière. L’affaire était tellement politique que, pour essayer de calmer le Kronprinz, Moltke lui envoya d’abord l’officier chef du département politique de l’état-major général, et ensuite le colonel Bauer, qui fut pendant toute la guerre l’interface entre l’état-major et les civils7.

Du côté allié, ce fut lent. Cependant, en juin 1915, Joffre regroupa les armées en trois « groupes d’armées » et expliqua à sa façon l’importance désormais du niveau opératif, intermédiaire entre celui de la stratégie et celui de la tactique, en soulignant « l’utilité qu’il y avait à entreprendre des opérations simultanées de plusieurs armées pour empêcher l’ennemi de déplacer ses réserves, et l’obliger d’accepter la bataille avec des moyens limités, là où nous voulions la lui imposer8. »

Mais on alla plus loin. En mars 1918, Foch, que l’on a parfois qualifié de premier SACEUR de l’Histoire, réalisa une unité de commandement des Alliés que Berlin n’obtint jamais pour les Puissances centrales9. Il se plaça très nettement au niveau opératif.

Ce fut donc le point de départ de l’« art opératif », art de commander l’ensemble des forces sur un théâtre, qui fut développé bien sûr en Allemagne mais également repris par les Soviétiques10.

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