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VIII

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Il ne se produisit point de nouveaux accès cardiaques ni dans la nuit, ni dans la matinée du lendemain; cependant cette nuit fut mauvaise dans sa première partie.

On avait couché M. Margueritte la tête haute, le torse soutenu par des oreillers; bien qu’il parût accablé par le sommeil, il n’avait pas pu dormir; de temps en temps il s’assoupissait, et Hélène, installée à son chevet, espérait qu’il allait enfin reposer, mais presque aussitôt elle le voyait laisser tomber sa tête en avant et instantanément il s’éveillait avec angoisse.

Le médecin, en venant à dix heures du soir, et apprenant que M. Margueritte avait eu déjà douze ou quinze de ces réveils pénibles, les expliqua à Hélène effrayée.

–Comme la fonction respiratoire est compromise, le jeu naturel des muscles qui servent ordinairement à la respiration ne suffit plus; il faut respirer volontairement au moyen de grandes aspirations; or, les muscles qui agissent dans ces grandes aspirations et développent le thorax sont placés sous l’empire de la volonté qui, bien entendu, ne peut s’exercer que quand on ne dort pas; de là ces réveils subits.

Cependant, vers le matin, il avait pu sommeiller un peu, et Hélène avait donné des ordres pour que ce sommeil ne fût pas troublé; pour la première fois la cloche n’avait point sonné, et les maîtres d’études éveillés par un domestique avaient eux-mêmes éveillé les élèves qui étaient descendus en classe silencieusement, en retard de plus d’un quart d’heure,–ce qu’ils trouvaient très drôle.

Ces quelques heures de repos lui firent grand bien, et quand le médecin arriva le matin de bonne heure pour lui faire sa première visite, il constata une certaine amélioration, surtout dans son état moral, qui, la veille, sous le poids de la dépression psychique, allait jusqu’à l’indifférence complète, comme si la mort l’avait déjà atteint de ce côté.

Non seulement il put répondre aux questions du médecin, mais encore il le questionna lui-même.

A un certain moment, il pria sa fille de sortir et de les laisser seuls durant quelques instants.

Lorsqu’elle se fut retirée.

–Vous vous doutez bien, n’est-ce pas, docteur, demanda-t-il, de la raison qui m’a fait prier ma fille de nous laisser en tête-à-tête? Parlez-moi franchement. 1Où en suis-je? Que dois-je craindre? Que puis-je espérer, si tant est que l’espérance me soit permise?

–Comment! si l’espérance vous est permise! Elle vous est ordonnée: c’est une condition de guérison.

–Parlons sincèrement, je vous en prie. Hier je ne me rendais pas compte de mon état; mais ce matin, bien que ne jouissant pas de toutes mes facultés, je comprends, je sens qu’il est. très grave.

–Mais pas du tout.

–Je le sens.

–Est-ce qu’il faut avoir de pareilles idées! Rien n’est plus mauvais pour vous.

–Débarrassez-m’en, docteur, je ne demande pas mieux, dit M. Margueritte avec un triste sourire; car je vous avoue, sans fausse honte, que je ne peux pas me faire à l’idée de la mort.

Il respira avec difficulté et longuement.

–Mais vous n’avez jamais été menacé de mort, mon cher monsieur, mettez-vous bien cela dans la tête; vous êtes malade, voilà tout, et d’une maladie qu’avec des soins, qu’avec des précautions nous guérirons. facilement.

–Eh bien, docteur, guérissez-moi, je ferai tout ce que vous exigerez; coupez-moi les bras, coupez-moi les jambes, trépanez-moi, je ne me plaindrai pas, mais ne me laissez pas mourir.

Il respira encore, et plus longuement, plus difficilement cette fois.

–Vous vous fatiguez, vous vous agitez, dit le médecin, ce n’est pas faire ce que je demande.

–Laissez-moi une bonne fois vous dire ce que j’ai à vous dire, et ce sera fini. Si vous me voyez me cranponner ainsi à la vie ce n’est pas par lâcheté, mais mourir en ce moment serait trop affreux, ce serait à douter de la justice providentielle. Songez que j’ai travaillé trente ans pour en arriver où j’en suis; que je ne fais que toucher à la terre promise, et vous comprendrez que je voudrais ne pas mourir avant d’être entré dedans. Si j’étais seul je m’abandonnerais au mauvais sort, je n’essayerais pas de lutter, mais j’ai ma fille, docteur.

Il fut obligé de s’arrêter pour respirer, l’air lui manquait, et il ne put le faire qu’en renversant sa tête en arrière, en élevant ses épaules, en ouvrant la bouche largement; tous les muscles de son visage pâle étaient fortements contractés.

Lorsqu’il eut fait entrer un peu d’air dans ses poumons et que son cœur se fut un peu débarrassé du sang qui le noyait, il poursuivit:

–J’ai ma fille, docteur, ma fille que j’aime, que j’aime passionnément, et qui resterait seule, seule avec ma vieille mère si je disparaissais, sans fortune, sans position, en un mot: misérable. Donnez-moi donc quelques années de vie, car je comprends bien après ce que j’ai éprouvé hier et ce que j’éprouve aujourd’hui, qu’il doit y avoir en moi quelque lésion organique profonde, et ce n’est pas une longue existence que je demande maintenant. Hier, en ces derniers temps, quand je faisais mes projets et arrangeais mon avenir,–alors je croyais avoir un avenir,–je calculais sur dix années, quinze, vingt années; mais à cette heure, c’est une année que je demande, c’est quelques mois, le temps de marier ma fille, me les promettez. vous?

–Comment! si je vous promets des mois, mais je vous promets des années, celles sur lesquelles vous comptiez. *

Et le docteur Graux insista sur cette promesse; mais il n’appartenait point à la catégorie des médecins insinuants qui savent tromper leurs malades; tout au contraire c’était un homme droit et franc, un peu brutal, qui ignorait l’art de mentir. Ce qu’il pensait, il le disait bien; ce qu’il ne pensait point il le disait mal, et d’autant plus mal qu’il s’appliquait.

Malgré l’abondance de sa parole et l’entassement de ses raisonnements, il ne parvint point à convaincre M. Margueritte, qui l’aurait écouté toute la journée, espérant toujours trouver dans un mot nouveau les raisons d’espérer que tout ce qu’il avait dit jusqu’alors ne lui avait point données

Après le départ du médecin il retomba dans son apathie somnolente, mais sans que de nouvelles crises se produisissent.

Pendant plusieurs heures il resta ainsi sans adresser un mot à sa fille et à sa mère, semblant n’avoir d’autre souci que de respirer.

Cependant de temps en temps il attachait sur sa fille des regards désolés qui disaient qu’il avait toute sa connaissance et qu’il ne pensait pas seulement à lui.

Mais, de peur de lui causer une émotion, Hélène n’osait pas l’interroger et lui demander pourquoi il la regardait ainsi avec tant de tendresse, tant de tristesse; d’ailleurs elle ne devinait que trop ce qu’il lui répondrait.

A un certain moment, profitant de ce que sa mère était sortie, il appela sa fille près son lit.

–Viens que je te parle, dit-il, écoute-moi sans m’interrompre et surtout réponds-moi en toute franchise, comme une fille loyale et sincère que tu es.

Elle lui prit la main et tendrement elle la lui embrassa.

–Oui, père.

–J’ai demandé à M. Graux, continua-t-il, ce qu’il pensait de mon état; il m’a répondu toutes sortes de choses pour me rassurer, mais il ne m’a point rassuré; je me sens perdu, ma pauvre enfant.

–Père, s’écria-t-elle.

Mais, d’elle-même, elle se contint, et, malgré son désespoir, elle eut la force d’amener un sourire sur son visage.

–Est-ce que si tu étais en danger, dit-elle, je serais aussi calme, moi, ta fille, qui t’aime tant.

Je t’ai demandé de ne pas m’interrompre, continua-t-il; ce que je dis doit être dit, et si je parle au risque de te désespérer, au risque d’aggraver mon mal, car ce n’est pas sans une cruelle émotion, tu le penses bien, c’est qu’il le faut. Ecoute-moi donc, et quand tu m’auras entendu, réponds-moi. Si tu me vois si malheureux à l’approche de la mort, c’est que je pense à toi, ma chère fille. Sans doute je me disais bien qu’il faudrait te quitter un jour; mais je ne croyais pas que ce serait si tôt, à cinquante ans. Je croyais avoir encore des années devant moi, pour t’aimer et pour te faire la position que je ne t’ai point faite. Oh! j’ai été bien imprudent, j’ai compté sur l’avenir. Enfin le passé est irrémédiable, et j’ai cette consolation au moins que tu ne m’en voudras pas.

–Et de quoi, mon Dieu!

–De n’avoir pas tiré du présent tout ce qui était possible, de sorte que si je ne sors pas de cette crise, tu es sans fortune, sans le sou, dans la misère. Voilà mon angoisse, ma torture.

Il s’arrêta étouffé; mais au bout de quelques instants il poursuivit:

–Je voudrais tant ne pas te laisser seule. Je t’ai parlé de Radou et de ses espérances; mais jamais tu ne m’a répondu franchement à son sujet, et je ne t’ai pas pressée, parce que nous avions du temps devant nous, puisque je ne voulais pas te marier avant que tu eusses atteint ta vingtième année. Mais ce temps nous ne l’avons plus, et maintenant je dois te presser de me faire cette réponse: que penses-tu de Radou? quels sentiments t’inspire-t-il? l’accepterais-tu pour mari?

Elle resta assez longtemps silencieuse, les yeux baissés.

–Eh bien, tu ne réponds pas?

–C’est que je veux te faire la réponse franche et sincère que tu désires, et que je la cherche, car lorsque tu. m’as parlé de M. Radou je n’ai pas pensé à me demander quels sentiments il m’inspirait et si je l’accepterais pour mari; rien ne pressait comme tu viens de le dire et j’attendais que ces sentiments parlassent d’eux-mêmes. ils n’ont pas encore parlé.

–Enfin te déplaît-il?

–Pas du tout; je le trouve très bien.

–Et. c’est tout.

–Mais. oui; au moins il me semble; tu me prends à l’improviste.

–S’il me demandait ta main.

–Père!

Et elle le regarda jusqu’au fond du cœur.

–Réponds-moi, dit-il.

Puis d’une voix adoucie, presque suppliante:

–Je t’en prie, mon enfant.

Elle hésita, et enfin, résolument:

–Je ferais ce que tu voudrais.

Il lui prit la main, et fortement il la lui serra, puis la prenant dans ses bras il l’embrassa.

–Envoie chercher Radou, dit-il.

–Père!

–Je t’en prie, envoie-le chercher.

Séduction

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