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III

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La tante Tout cha n’était pas ce qu’on appelle une brave femme, ni commode, ni facile, ni aimable; non qu’elle fût foncièrement méchante cependant, mais âpre –au gain, dure au travail, insensible à la peine, elle voulait que tout autour d’elle: gens, bêtes et choses, concourût à son but, qui était de gagner. «C’est à nous tout cha, et puis encore tout cha.» Mère de huit garçons, elle était le seul homme de la famille, et c’était d’une main ferme, souvent même leste dans ses mouvements, qu’elle régentait son mari aussi bien que ses garçons, qui tous tremblaient également devant elle.

En pensant que son neveu, «monsieur le principal», pouvait l’empêcher de gagner sur la vente de ses dindes parce qu’il la privait du concours de sa belle-sœur, elle s’était fâchée, et si la dignité de M. le principal ne lui avait imposé une certaine crainte respectueuse, elle se serait abandonnée à l’un de ses accès de colère où, comme elle le disait elle-même, «tout dansait»; mais, lorsque, après avoir vendu ses dindes, il se trouva que son bénéfice était supérieur à celui qu’elle s’était fixé d’avance, elle revint au collège de belle humeur, et dans les meilleures dispositions pour faire honneur au déjeuner de son neveu. Il avait eu vraiment bonne idée de se faire nommer principal à Condé. Cela serait très commode les jours de marché et de foire, non seulement pour Cocotte et ses poulains, mais encore pour elle; les aubergistes d’aujourd’hui ont si fort augmenté leurs prix qu’il faut être fou pour manger chez eux. Et puis, tout en déjeunant avec le neveu, on pourrait lui vendre à bon prix la provision de bois, de cidre, de beurre, d’œufs, de pommes de terre, dont il allait avoir besoin pour ses élèves. Elle avait tout cha; et dame! ma foi, ce n’est pas un crime, n’est-ce-pas, de gagner avec sa famille, honnêtement sans doute, mais enfin le plus, et le plus souvent qu’on peut.

Lorsqu’elle entra dans la salle à manger et qu’elle vit, sur une table, servie avec un certain luxe de linge et de vaisselle, une grosse truite pour pièce de milieu avec une galantine à un bout et un homard à l’autre, elle gronda son neveu.

–Il ne faut pas de ces prodigalités-là pour moi, dit-elle d’un ton de parfaite naïveté, en femme qui n’admet pas l’idée qu’on puisse vouloir fêter une autre personne qu’elle, ou bien vous me mettrez mal à l’aise pour venir vous demander à déjeuner, d’amitié, les jours de marché; c’est trop.

M. Margueritte ne répondit pas; en réalité, que pouvait-il dire? Que ce déjeuner était pour sa mère. Sans doute cela était vrai. Mais, jusqu’à un certain point, il était aussi pour la tante Tout cha. Ce qu’il avait vu et compris en ces derniers temps à propos des souffrances de sa mère ne pouvait pas empêcher que cela fût.

Lorque après une absence de trente ans, il était revenu dans sa ville natale, il n’avait pas été ramené seulement par l’amour du pays, il l’avait été aussi par le sentiment de la famille.

Pendant trente ans il avait mené la triste existence des fonctionnaires, aujourd’hui là, demain ailleurs, toujours sur les grands chemins, véritable juif-errant de l’Université,–alma parens,–sans lendemain, sans relations suivies, sans amis sur lesquels il pût compter, puisqu’il devait les quitter d’un moment à l’autre. Supportable dans la jeunesse, cette vie nomade lui était devenue intolérable en vieillissant, et surtout du jour où, ayant perdu sa femme, il était resté seul avec sa, fille.

Si depuis près de dix ans il avait attendu sa nomination à Condé, ce n’avait pas été uniquement la situation de principal qu’il avait si patiemment poursuivie; car il eût pu en obtenir ailleurs une autre aussi bonne et même peut-être davantage: ç’avait été celle de principal à Condé, avec tout ce qu’elle allait lui donner: le retour au berceau, la société de ses anciens camarades, la vie de famille, la tranquillité, la sécurité.

Que de projets n’avait-il pas faits, que de variations n’avait-il pas brodées sur ce thème. avec toutes sortes de citations classiques.

Maintenant allait-il renoncer à l’une de ses espérances parce qu’il ne trouvait pas dans sa tante la femme qu’il aurait voulue?

Après tout elle avait des qualités, la tante Tout cha, et c’était à ces qualités qu’il fallait penser, c’étaient elles qu’il fallait voir. Que deviendrait la vie de famille si l’on exigeait la perfection chez ses parents?

Sous l’influence de cette idée, la mauvaise impression que la tante avait produite s’effaça bien vite.

C’était un gai convive que la tante Tout cha, qui mangeait bien quand cela ne lui coûtait rien, qui ne laissait pas son verre plein et qui caquetait joyeusement ses morceaux.

M. Margueritte l’ayant à sa gauche, avec sa mère à sa droite et sa fille en face de lui, se trouvait l’homme le plus heureux du monde. Ses yeux émus allaient de sa mère à sa fille, et de sa fille à sa mère, et quand ce mouvement s’arrêtait sur la vaisselle de sa table ou sur l’ameublement de la salle à manger, il éprouvait un sentiment de bonheur complet.

Enfin il était donc chez lui, et autour de lui il avait ceux qu’il aimait.

–Quel malheur que mon oncle ne soit pas venu avec vous, dit-il tout à coup.

–Et qui est-ce qui aurait gardé la maison? demanda la tante; mais je vous enverrai vos cousins quelquefois si vous voulez.

–Comment, si je veux!

Il eût été vraiment heureux de les avoir à sa table, ces huit cousins.

C’était une des qualités de la tante Toutcha de ne pas oublier les affaires pour le plaisir. Si sensible qu’elle fût au déjeuner de son neveu, le meilleur qu’elle eût fait de sa vie, elle ne pensait qu’à son bois, son beurre, ses œufs, en guettant l’occasion d’introduire à propos son offre amicale.

–Quel bon déjeuner vous nous donnez, dit-elle, on n’en ferait pas un pareil chez Mgr Guillemittes.

–Vous trouvez, dit M. Margueritte, enchanté. Et toi, maman?

–C’est trop bon, dit la vieille femme, qui n’était pas comme sa belle-sœur, sensible à la gourmandise.

–Il n’y qu’une chose qui n’est pas fameuse, continua la tante Tout cha, revenant à son sujet, c’est le cidre: faible, pas de corps, pas même de couleur. Qui est-ce qui vous vend ça?

–Un fermier de Saint-Réau, qui le vendait à mon prédécesseur.

–Saint-Réau, mauvais cru. Je ne dis pas que ce fernier ne soit pas un honnête homme, quoique son cidre, –elle but une gorgée et claqua de la langue,–quoique son cidre me fasse l’effet d’être drogué; mais quand même il ne le droguerait pas, il ne pourra jamais vous fournir rien de bon. Si vous voulez, je vous ferai votre provision moi, mon neveu. Vous savez que Bezu-Bas est le premier cru de la contrée, et puis ça serait en famille, au cours du jour bien entendu. C’est important, le bon cidre pour des jeunes gens: ça leur fait l’estomac; et puis, quand on boit quelque chose de bonne qualité, on mange moins.

–C’est entendu, ma tante, j’accepte avec reconnaissance.

–C’est comme pour votre provision de bois, je vous la ferai si vous voulez. Vous les chauffez, n’est-ce pas, ces jeunes gens?

–Sans doute.

–Eh bien, vous savez mieux que moi qu’il y a bois et bois: celui de Bezu-Bas, qui ne pousse pas dans des terres humides, est sec et dur; ça résiste au feu et ça chauffe.

–J’accepte votre bois, ma tante.

–Et des pommes de terre, il vous en faut aussi, hein?

–Et une grosse provision.

–Vous savez, vous qui êtes un savant, qu’il n’y en a pas de meilleures qu’à Bezu-Bas, farineuses, sucrées, nourrissantes; un boisseau de mes pommes de terre en vaut deux de partout ailleurs.

Après les pommes de terre vinrent les œufs, le beurre, le lait, «du bon lait pur sans une goutte d’eau pour ces pauvres enfants», les noix, le fromage, les haricots; elle émit même l’idée que son neveu aurait intérêt à lui acheter le blé nécessaire à la nourriture des élèves, il Ile ferait moudre, il donnerait la farine au boulanger; ce a serait très économique.

Cependant, si bien disposé que fût M. Margueritte à tout accepter, il repoussa cette idée et elle eut la déillicatesse de ne pas insister; il faut savoir se contenter, n’est-ce pas?

Elle ne lui en voulut pas de ce refus, et même elle trouva des paroles aimables pour le complimenter, elle pqui n’avait jamais que bousculé les gens.

Pour madame Margueritte, elle ne parlait pas, mais elle s’oubliait de temps en temps à regarder son fils avec une curiosité émue, comme si elle se disait: «Est-ce qpossible? Est-ce bien mon enfant que je retrouve dans

le principal?»

Et lui, voyant ce regard et en comprenant l’expression, sentait son cœur se remplir de joie en même temps que d’orgueil: sa famille était fière de lui; alors, se comparant à ce qu’il avait été et à ce qu’il était maintenant, mesurant le chemin parcouru depuis le jour où il était entré dans ce collège petit écolier boursier, fils d’un pauvre veuve, jusqu’à ce moment où il y rentrait MM. le principal, il était fier de lui aussi.

On était au dessert: il quitta la table en disant qu’on continuât, qu’il allait bientôt revenir.

Ce bientôt se prolongea assez longtemps; mais enfin la porte se rouvrit, et il apparut en grande tenue, dans son costume de principal: robe noire, avec bandes jaunes moirées, ceinture jaune, épitoge jaune avec hermine, et toque jaune à bande de velours noir.

Les deux compagnardes restèrent interdites, le contemplant avec admiration.

–O mon fils! dit madame Margueritte, que tu es beau!

Il avait voulu se montrer dans sa gloire.

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