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IX

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Table des matières

Au bout d’une heure à peu près, Radou arriva, et Hélène, qui s’était placée à la fenêtre de la chambre de son père pour le guetter, le vit entrer dans la cour: il était bien ganté, correct dans sa tenue comme à l’ordinaire, et il marchait sans se presser, ayant soin de regarder où il posait ses pieds sur le sol mouillé de peur de se crotter.

Sans rien dire, elle sortit vivement de la chambre pour aller au-devant de lui, car elle voulait l’entretenir en particulier avant qu’il vît son père et lui adresser certaines recommandations.

On avait introduit Radou dans le salon, et, comme elle entra rapidement, elle le surprit devant la glace où il se regardait en arrageant pour le mieux les mèches frisées de ses cheveux.

Cela ne le troubla pas; il se retourna parfaitement calme.

–J’aurais demandé à voir monsieur votre père si je n’avais craint d’être importun, dit-il. Je suis heureux qu’il ait pensé à me faire appeler. Comment est-il?

–Très mal.

–Ah! mon Dieu!

–C’est pour cela que j’ai voulu vous voir, afin des vous prévenir, et que, par un mouvement de surprise ou d’émotion, vous ne l’inquiétiez pas. C’est, avant tout, la tranquillité que le médecin a recommandée.

–Mais que dit le médecin?

–Il trouve l’état très grave.

–Vous l’avez vu en particulier?

–Oui.

–Alors il vous a parlé en toute franchise?

–Je le pense.

–Vous savez, mademoiselle, quels sentiments d’estime affectueuse j’ai voués à monsieur votre père. Ne voyez donc dans mon insistance qu’un intérêt.–il chercha son épithète,–douloureux, un intérêt de cœur. Cet état n’est pas désespéré, n’est-ce-pas?

–Oh! non.

–C’est une maladie de cœur?

–Une attaque asystolique.

–Ah!

–Vous connaissez cette maladie?

–Grave, en effet, très grave.

–Mais qui n’est pas fatalement mortelle, n’est-ce-pas?

Dans son angoisse, c’était elle maintenant qui interrogeait: puisque Radou connaissait cette maladie, il allait lui dire ce que le docteur Graux lui avait peut-être caché.

–Sans doute, répondit Radou; au moins je ne crois pas. Vous savez, je n’ai pas étudié la médecine on ne peut parler que de ce qu’on sait.

Si Hélène avait été en ce moment capable d’observation, elle aurait remarqué que si Radou ne parlait pas, ce n’était point parce qu’il ne savait pas, mais plutôt au contraire parce qu’il savait.

Ce n’était pas Radou qu’elle regardait, c’était son père qu’elle avait devant les yeux; c’était à lui qu’elle pensait; c’était pour lui qu’elle était descendue, afin de préparer autant que possible ce qui allait se dire dans cet entretien, qu’elle eût certainement empêché, si elle avait osé assumer une pareille responsabilité.

Certes, la chose était délicate et difficile; mais les circonstances étaient telles qu’elle ne devait avoir égard qu’au but à atteindre et non aux moyens à employer. Ce n’était pas quand la vie de son père était en jeu qu’elle pouvait se laisser arrêter par quoi que ce fût; lui avant tout, lui seul.

–Puisque vous connaissez cette terrible maladie, dit-elle résolument et en regardant Radou en face, vous savez aussi, n’est-ce pas, qu’il faut éviter au malade toute cause de contrariété et d’émotion? C’est pour cela que je suis venue au-devant de vous.

Il la regarda comme s’il ne la comprenait pas.

Voyant qu’il ne lui venait pas en aide, elle continua:

–Pour vous demander, pour vous prier de ne pas contrarier mon père, de ne pas discuter avec lui, et lors même qu’il vous ferait quelque proposition... qui ne vous conviendrait pas, de répondre conformément à son désir.

–Mais, mademoiselle...

–C’est un caprice de malade qu’il s’agit de satisfaire, c’est une contrariété qu’il s’agit d’éviter, cela seulement et rien autre chose; sans cela, soyez certain que je ne me permettrais pas de vous adresser une pareille prière.

Ce fut lui, à son tour, qui l’examina, cherchant évidemment à comprendre ce qu’il y avait sous ces paroles et tout ce qu’il y avait.

Ne le devinant pas, il le demanda:

–Et quelle proposition monsieur votre père veut-il donc m’adresser? dit-il.

–Il vous l’expliquera lui-même, puisqu’il vous a fait appeler pour cela. Quelle qu’elle soit, ce que je vous demande, c’est de ne pas vous inquiéter de cette proposition elle-même, mais de votre réponse, qui ne vous engagera qu’envers un malade.

Puis, jugeant qu’elle en avait assez dit et incapable d’ailleurs d’en dire davantage, elle pria Radou de la suivre.

–Mon père pourrait s’inquiéter de mon absence. Elle entra la première dans la chambre.

–M. Radou.

M. Margueritte tendit la main au jeune professeur.

–Merci de votre empressement, mon ami, dit-il.

Depuis que M. Margueritte était alité, sa mère s’était installée près de lui, ou plutôt dans un coin de la chambre, se faisant toute petite, aussi peu gênante que possible, et elle restait là, silencieuse, attendant que sa petite-fille lui demandât quelque chose, car elle n’osait rien faire d’elle-même ni rien proposer, de peur d’être une cause d’embarras, alors qu’elle eût voulu être une aide, de même qu’elle n’osait ni marcher, ni se moucher.

Quand Hélène vit Radou assis auprès du lit de son père, elle alla à sa grand-mère.

–Venez prendre l’air, grand’maman, dit-elle, cela vous fera du bien; il ne faut pas rester ainsi enfermée.

–Je veux bien, ma fille, dit la vieille femme, qui était très embarrassée, ne sachant si elle devait sortir ou rester; d’une part, désirant ne pas quitter son fils; de l’autre, se demandant comment on devait se conduire en pareille circonstance, ce qu’elle ignorait et ce qui la rendait malheureuse.

Suivant sa petite-fille et marchant comme sur des œufs, penchée en avant et les bras étendus, elle sortit.

Pendant ce temps Radou avait examiné M. Margueritte attentivement, à fond, sans parler.

–Si je vous ai fait appeler dans l’état où je suis, dit M, Margueritte, vous comprenez, n’est-ce-pas, que c’est parce que je me sens perdu.

–Eh quoi, cher monsieur!...

M. Margueritte leva la main pour dire qu’il désirait n’être pas interrompu:

–Le docteur Graux dit,–au moins il me dit à moi, –qu’il me guérira. Je ne le crois pas; le coup qui m’a frappé a été trop rude; la lésion que je dois avoir au cœur est trop grave. Voyez mon étouffement, ma respiration haletante, qui rend ma parole si difficile, si pénible. A cela, ajoutez ce que vous ne voyez pas: le refroidissement des extrémités, la tendance à la syncope, qui est telle que je crois que je vais m’évanouir à chaque instant, et vous comprendrez,–il fut obligé de faire une longue pause pour respirer,–vous comprendrez que je ne peux pas conserver d’illusions, si douces qu’elles me seraient. Je suis perdu.

Radou qui, la première fois, s’était fortement récrié contre cette idée, protesta à nouveau avec beaucoup plus d’énergie encore; c’était impossible; il fallait croire le docteur Graux; l’étouffement s’expliquait facilement; enfin tout ce que peut dire un homme qui ne veut pas croire, et il n’y avait qu’à regarder, qu’à écouter Radou pour se convaincre que précisément il était cet homme.

Bien que M. Margueritte ne fût pas en état de voir ce qui se passait autour de lui, il fit cependant cette remarque, mais il se l’expliqua:

–C’est la sympathie, c’est l’amitié que vous avez pour moi, dit-il, qui protestent en vous contre cette pensée que je suis perdu; vous êtes comme ma pauvre fille, qui ne veut pas admettre l’idée que je vais mourir. Cela me touche vivement, croyez-le, mon ami, et cet accord entre vous et elle m’est doux; mais malheureusement ce n’est pas ce que nous espérons, ce que nous voulons qui se réalise dans un cas comme le mien, et si je vous dis que je suis perdu, ce n’est pas pour vous émouvoir ni pour me plaindre, c’est parce que je le sens. Venons donc au fait pour lequel je vous ai envoyé chercher.

–Cela ne va-t-il pas vous fatiguer? demanda Radou; nous pourrions peut-être attendre.

M. Margueritte le regarda.

–Vous savez que je suis tout à vous, continua Radou, et quand vous voudrez; ainsi.

–Alors tout de suite. Lors de votre arrivée à Condé et quand nous avons traité la question du mariage, je vous ai demandé, d’attendre pour décider cette question. Nous avions à ce moment du temps devant nous. Au moins je le pensais. Aujourd’hui, ce temps me manque. Demain, dans quelques jours peut-être, je ne serai plus là. Avant d’abandonner ma pauvre fille je voudrais avoir assuré sa vie.

L’émotion lui coupa la parole, et un étouffement se produisit.

–Je vais appeler, s’écria Radou en s’empressant de se lever.

Mais de la main M. Margueritte lui fit signe d’attendre; puis, après quelques instants, il poursuivit:

–Je voudrais avoir assuré sa vie, et c’est pour cela que je vous demande si vos intentions sont toujours les mêmes.

–Mais...

–Il y avait des raisons, continua M. Margueritte, pour différer ce mariage; maintenant, il y en a pour le hâter; vous les voyez sans qu’il soit besoin que je les explique. Avant que vous me répondiez, je n’ajouterai qu’un mot pour vous faire connaître ma position: si nous avions attendu deux ans, j’aurais pu donner à ma fille une certaine dot et vous verser chaque année une somme qui l’aurait complétée; aujourd’hui, Hélène n’aura rien en se mariant, ni plus tard, car je ne laisse rien.

Il avait fait des efforts pour arriver jusque-là; il se tut, épuisé, haletant.

Radou resta assez longtemps sans répondre, embarrassé, hésitant.

–Certainement, dit-il enfin, les yeux baissés, je ressens aujourd’hui pour mademoiselle Hélène les mêmes sentiments que j’éprouvais il y a un mois, il y a trois mois. Vous ne pouvez pas supposer que j’aie changé. Mais si je vous disais que je suis prêt à la prendre pour femme, ce serait reconnaître que je partage vos craintes; tandis qu’au contraire je suis convaincu qu’elles n’ont aucun fondement, aucun, aucun. Je ne peux pas, vraiment, assumer une pareille responsabilité. Ce serait me faire le complice de la maladie. Voyons, franchement, si je vous répondais: «Je suis prêt,» ne croiriez-vous pas plus fermement encore que vous êtes perdu. Tandis que cette réponse que je diffère, que je remets à la semaine prochaine, à un mois, vous prouve par cela même qu’elle est différée, que vous n’êtes pas en danger, mais pas du tout, pas du tout.

M. Margueritte le regardait stupéfait, se demandant s’il n’était pas sous l’influence d’une hallucination, s’il entendait réellement des vraies paroles, si Radou était réellement devant ses yeux. Etait-ce possible? Et de sa main droite il tâtait, il serrait sa main gauche.

Pendant ce temps, Radou s’était levé et il avait regardé sa montre:

–Voici l’heure de la classe, dit-il, demain je reviendrai vous voir, et si vous le voulez nous reprendrons cet entretien. A demain!

Séduction

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