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VI

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Depuis un mois la rentrée des classes s’était faite et dans la ville on ne parlait qu’avec éloge du nouveau principal.

Il avait fait la conquête des pères aussi bien que des mères, et, tout en étant au mieux avec la municipalité, il n’était pas mal avec l’évêché, et cela sans aucune bassesse de sa part, sans aucun compromis de conscience ni avec ceux-ci, ni avec ceux-là.

Hélène, elle aussi, avait sa part dans ces éloges, et si sa beauté lui avait valu plus d’une attaque envieuse, la simplicité de sa tenue, l’affabilité de ses manières, la douceur de son regard, l’avaient défendue contre la jalousie et la médisance. Que dire contre elle? On ne trouvait rien.

La vie se présentait pour eux sous l’aspect le plus favorable, et les espérances que M. Margueritte avait caressées en venant à Condé paraissaient devoir se réaliser sûrement.

Le présent disait ce que serait l’avenir.

Les trente années d’épreuves qu’il avait si péniblement traversées étaient oubliées; maintenant, il n’avait qu’à aller droit son chemin, agréablement, certain d’arriver à son but qui était: l’aisance acquise et le bonheur de sa fille assuré.

Cela lui donnait une tranquillité, une sérénité d’humeur qu’il n’avait jamais eues: il n’était plus l’homme barométrique qu’il avait si souvent été en ces dernières années, changeant avec le temps, impressionnable et mobile; maintenant, c’était le sourire aux lèvres qu’il s’endormait et le sourire aux lèvres qu’il s’éveillait; jamais, de mémoire d’élèves et même de professeurs on n’avait rencontré un principal si bon enfant, si facile, si affectueux; il semblait n’avoir d’autre désir que voir des heureux autour de lui.

En le trouvant brave homme, on avait cru tout d’abord qu’on pourrait venir à bout de lui facilement, et on l’avait tâté.

Parmi ceux qui l’avaient ainsi essayé, autant pour voir ce qu’ils pouvaient faire de lui que pour leur ’propre plaisir s’était trouvé un vieux professeur d’humanités, nommé Planchat, qui à l’ancienneté était arrivé à être chargé de la classe de septième.

–Bien méritant, le père Planchat! disaient de lui ses collègues, mais en ajoutant tout bas: l’animal le plus insupportable de la terre.

Méritant, il l’était par le courage avec lequel il avait supporté depuis sa jeunesse une existence de misère et de travail, sans jamais une heure de repos, sans jamais une éclaircie, marié à une femme toujours malade, père de cinq enfants, dont deux étaient infirmes et trois mauvais sujets.

Insupportable, il l’était par son caractère grincheux, toujours mécontent de tout et de tous, toujours inquiet, ne prenant les choses que par le mauvais côté, se fâchant lorsqu’on lui faisait une observation, si douce et si juste qu’elle fût, se tourmentant lorsqu’on lui adressait un compliment et cherchant ce qui pouvait se cacher dessous; avec cela envieux, jaloux, criant sans cesse au passe-droit et à l’injustice, attaquant ses collègues, les minant, colportant sur eux, sur leurs femmes ou leurs enfants tontes les médisances qu’il pouvait ramasser ou toutes les calomnies qu’il inventait et débitait avec une adresse diabolique; enfin, exploitant de toutes les manières la pitié qu’inspirait un homme aussi méritant que lui, aussi malheureux, et en profitant pour faire le bravache, parce qn’il savait qu’on ne voulait pas lui répondre et que si on s’y laissait entraîner, poussé par la colère, on n’allait pas jusqu’au bout.

En voyant les dispositions de son principal, le père Planchat s’était bien promis d’en profiter, non seulement pour démolir ses collègues, mais encore pour dire à quelqu’un qui paraissait d’humeur à ne pas se fâcher, toutes les insolences qui le gonflaient: cela le soulagerait, le vengerait et rétablirait enfin la balance des choses. 1

Tout d’abord, M. Margueritte ne s’était point fâché et doucement il s’était appliqué à ramener le pauvre homme à la modération: il était si malheureux, il fallait bien lui passer quelque chose.

Et il lui en avait passé de toutes les couleurs, de sorte que l’autre s’était montré de plus en plus insupportable, de plus en plus hargneux, de plus en plus insolent; puisqu’on ne se fâchait pas contre lui, c’était lui qui se fâchait.

Chaque jour ç’avait été une scène nouvelle, tantôt pour ceci, tantôt pour cela, pour rien, pour le plaisir.

Peu à peu cependant M. Margueritte s’était senti moins patient; bientôt ç’avait été avec moins de douceur qu’il lui avait répondu, et enfin il en était arrivé à ne pas pouvoir le voir entrer dans son cabinet: encore quelque plainte, quelque méchanceté, quelque dénonciation hypocrite, quelque calomnie; cela ne finirait donc jamais. La bonté n’exclut pas l’emportement, et ce sont quelquefois les gens les meilleurs qui se laissent aller le plus facilement à la colère; c’était le cas de M. Margueritte, qui n’était pas toujours maître de son premier mouvement.

De tous ses collègues du collège, il n’y en avait qu’un que le père Planchat n’avait pas encore attaqué: Radou.

–Qu’est-ce que Radou a donc pu faire au père Planchat? se demandait-on.

Cela ne pouvait pas durer, et si le vieux professeur de septième avait épargné son jeune collègue, ce n’était ni par sympathie, ni parce que celui-ci lui avait fait quelque chose, mais tout simplemeut parce qu’il voulait préparer son attaque et ne risquer un bon coup qu’avec chance qu’il portât.

Un soir de novembre, en sortant de classe, il était entré dans le cabinet de M. Margueritte, qui, commençant à le bien connaître, n’avait auguré rien de bon de son air souriant, car c’était une remarque que tout le monde avait faite que Planchat ne souriait que quand il avait préparé ou réussi quelque méchanceté bien noire.

–Je suis occupé, dit M. Margueritte, espérant échapper à la scène qu’il prévoyait.

Mais déjà le père Planchat avait refermé la porte et, s’avançant hardiment:

–Je n’ai que quelques mots à vous dire; ils sont importants.

–Si c’est encore une plainte, je ne veux rien écouter, dit M. Margueritte que la colère gagnait en voyant la façon dont le père Planchat prétendait s’imposer.

–Ce n’est pas une plainte, d’ailleurs je ne me plains jamais, monsieur le principal, ni de rien, ni de personne, ceux qui vous ont dit que je me plaignais m’ont calomnié, ce qui ne m’étonne pas après tout, j’y suis habitué,–ce n’est donc pas une plainte, c’est un avis que je me permets de vous adresser, si vous le permettez, un avis dicté par l’estime que je professe pour vous. et pour votre famille.

–Alors, au fait, je vous prie; je vous l’ai dit, je suis occupé.

–S’il est un de mes collègues qui m’inspire une extrême sympathie, c’est à coup sûr M. Radou; charmant jeune homme vraiment, et, ce qui vaux mieux, tout plein de mérite, un trésor pour notre collège. Eh bien! Radou.

Depuis que le père Planchat avait commencé son discours, M. Margueritte faisait des efforts évidents pour se contenir: de ses deux mains crispées, il serrait les bras de son fauteuil sur lequel il se tournait et retournait en frappant des pieds; il se mordait les lèvres; sa face s’était bouffie, son front s’était empourpré, ses narines s’étaient dilatées, ses lèvres étaient livides, sa poitrine haletait, et cependant le vieux professeur penché en avant, souriant en dodelinant de la tête, allait toujours, accompagnant ses paroles d’un mouvement de ses deux mains qu’il levait et abaissait en même temps en les portant tantôt à droite tantôt à gauche, comme Polichinelle.

Tout à coup M. Margueritte se leva brusquement.

–Eh bien, Radou, s’écria-t-il, je ne veux pas que vous m’en parliez, ni de lui, ni de personne, vous m’entendez, je ne veux pas.

–Mais. monsieur le principal.

–J’ai tout fait pour vous ménager et vous avez abusé de ces ménagements pour venir me débiter des calomnies; ce serait lâcheté de ma part de les écouter plus longtemps. Sortez donc.

–Mais je n’ai rien dit.

–Sortez ou je vous mets moi-même à la porte.

Le père Planchat avait hésité un moment, puis il s’était décidé à sortir en courbant le dos.

Alors M. Margueritte s’était rassis, mais en se laissant aller sur son fauteuil: une faiblesse venait de le prendre comme s’il se trouvait mal. Cependant, après un instant d’attente, il avait eu la force d’étendre le bras et de sonner.

Un domestique entra.

–Allez chercher ma fille, dit-il, qu’elle vienne tout de suite.

Séduction

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