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VII

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Table des matières

Quand Hélène entra en courant dans le cabinet de son père, M. Margueritte était renversé dans son fauteuil.

–Qu’as-tu, papa?

Il balbutia quelques mots incohérents:

–Malaise subit. syncope. ce n’est rien.

Mais elle ne pensa pas ainsi et, s’adressant vivement au domestique qui était entré avec elle.:

–Courez tout de suite chercher le docteur Graux; s’il n’est pas chez lui allez chez M. Evette, enfin ramenez un médecin.

–Ce n’est rien, essaya de dire M. Margueritte.

–Mais il était évident qu’il parlait pour la rassurer et que ce qu’il éprouvait était grave au contraire.

Ses lèvres étaient livides ainsi que ses joues; les veines du cou, gonflées, étaient animées d’une ondulation tumultueuse; il semblait ne pouvoir pas respirer et il faisait des efforts répétés pour aspirer un peu d’air.

Quand il pouvait parler il répétait:

–Ce n’est rien.

Il fallait le secourir, le soulager; que faire?

Elle demanda un verre d’eau; mais quand elle lui mit le verre aux lèvres il parut étouffer, et de ses deux mains il l’écarta lui-même et alors il respira fortement.

Elle courut chercher un flacon de sels qu’elle lui passa sous les narines sans que cela lui fît aucun bien, tout au contraire la gêne de la respiration augmenta.

Elle était éperdue, affolée par son impuissance, par son ignorance.

Les domestiques étaient accourus et chacun donnait son avis, proposant les remèdes les plus extravagants; car si personne ne savait ce qu’avait le malade, par contre chacun savait ce qu’il fallait lui faire; tous parlaient en même temps.

M. Margueritte continuait d’étouffer, et ses lèvres, déjà si pâles, se décoloraient encore, tandis que ses efforts pour respirer redoublaient; tout à coup il laissa tomber sa tête sur sa poitrine et ne respira plus.

Les domestiques, qui le regardaient, se mirent à pousser des cris:

–Il est mort, le pauvre monsieur!

Pour Hélène, elle ne cria point; se jetant à genoux aux pieds de son père, elle se colla la tête contre lui et elle écouta son cœur.

Tout d’abord elle n’entendit rien; mais, ayant fait taire les domestiques, elle écouta de nouveau en tenant sa respiration: elle entendit quelques faibles battements.

Il n’était donc pas mort; c’était une syncope.

Elle demanda de l’eau froide et, trempant le bout de ses doigts dans le verre qu’on lui apporta, elle aspergea le visage de son père de quelques gouttelettes lancées fortement.

A chaque goutte il répondit par une contraction de la face et des secousses de tout le corps; puis lentement il redressa la tête et regarda autour de lui.

Une aspiration plus longue que les autres parut le faire respirer, son étouffement diminua.

–Comment es-tu? demanda-t-elle.

–Ce n’est rien, murmura-t-il; ne t’inquiète pas, mon enfant, cela va aller mieux, je suis mieux.

A ce moment la porte s’ouvrit devant le docteur Graux, qui accourait essoufflé.

En s’avançant vers le malade le médecin ne le quittait pas des yeux, et ce qu’il voyait lui donnait déjà des indices pour comprendre ce qui venait de se passer. Pour un médecin qui connaissait son affaire, et c’était le cas du docteur Graux, le tableau n’était que trop significatif: cette face bouffie, ces yeux brillants, cette peau livide, cette poitrine haletante, cette turgescence des veines du cou, parlaient clairement.

–Qu’on nous laisse seuls, dit-il en s’adressant aux domestiques. Pour vous, mademoiselle, restez, je vous prie.

Et pendant que les domestiques sortaient à regret, il prit le poignet du malade par un geste d’ami plutôt que de médecin, et, sans en avoir l’air, il lui tâta le pouls. Il était petit, misérable, irrégulier, inégal,

–Eh bien, dit-il, qu’est-ce que c’est que cela?

Car c’était sa manière de gronder amicalement ses malades, comme s’ils étaient coupables.

Puis, s’adressant à Hélène, il lui demanda ce qui s’était passé et comment cette crise s’était produite; mais elle ne put le renseigner qu’incomplètement.

Alors il consulta le cœur de son malade.

Pendant ce temps M. Margueritte avait éprouvé un certain apaisement; et comme il commençait à respirer un peu mieux, le médecin en profita pour lui adresser quelques questions.

–Est-ce que cela vous a pris sans cause apparente ou bien avez eu une émotion violente?

–Une colère très vive.

Mais ces quelques paroles parurent le menacer d’une nouvelle crise.

–Ne parlez pas, dit le médecin, cela pourrait provoquer de la dyspnée et peut-être même une syncope, ce qu’il faut éviter. Mademoiselle votre fille répondra pour vous.

Et de nouveau il interrogea Hélène, non plus sur ce qui avait pu se passer ce jour même, mais sur les antécédents de son père.

–Est-ce la première fois que M. votre père a une crise de ce genre?

M. Margueritte fit de la main un signe affirmatif.

–N’a-t-il pas eu des attaques de goutte, de rhumatisme?

–Rhumatisme, dit M. Margueritte.

Et Hélène compléta le renseignement de son père en disant ce qu’elle savait.

–Très bien, dit le médecin,

Et se donnant un air rassuré:

–Cela ne sera rien, rien du tout; dans quelques jours nous serons rétabli.

L’angoisse d’Hélène avait été si intense qu’en entendant ce mot ses nerfs se détendirent, et ses yeux se mouillèrent.

–Mais il nous faut des soins, des soins sévères, continua le médecin, un repos et un calme absolus, l’éloignement de toute émotion. Pour commencer, nous allons nous mettre au lit et je vous prescrirai le traitement qui sera très simple: régime lacté, digitale, café à petite dose En nous conformant à cela, tout ira bien.

Et il veilla à ce qu’on montât le malade dans sa chambre sur une chaise, sans secousses violentes; puis il le coucha avec les même précautions.

Cependant, si grandes que fussent ces précautions, M. Margueritte eut une nouvelle crise d’étouffement qui fut suivie d’une syncope.

Mais cette fois Hélène n’éprouva pas la même angoisse. Le médecin était là pour faire le nécessaire, et puis il avait dit que ce ne serait rien. Son père ne pouvait pas être en danger, lui qui, quelques heures auparavant, était si bien portant, si vaillant.

Enfin cette crise se calma comme s’était calmée la première.

–C’est la fatigue de la mise au lit, dit le docteur Graux; maintenant que le repos va être complet, il n’y aura plus rien à craindre.

Il sembla à Hélène que c’était à son père que le médecin adressait ces paroles et non à elle.

–Je reviendrai dans la soirée, dit le médecin.

Et il fit un signe à Hélène en se cachant de M. Margueritte: «Accompagnez-moi, j’ai à vous parler.»

Quoiqu’elle eût vu et compris ce signe, elle ne bougea pas lorsque M. Graux sortit, car le suivre c’était sûrement inquiéter son père.

Mais le médecin n’avait pas descendu deux marches qu’elle courut à la porte:

–J’ai oublié de demander à M. Graux comment il fallait faire l’infusion de feuilles de digitale, dit-elle.

Et elle sortit. Comme le médecin arrivait au rez-de-chaussée, elle le rejoignit:

–Vous avez quelque chose à me dire? demanda-t-elle.

Il lui prit la main:

–Vous êtes une fille courageuse, n’est-ce pas, mon enfant? demanda-t-il.

Elle frissonna de la tête aux pieds et sa respiration s’arrêta:

–Mon Dieu! murmura-t-elle.

–C’est grave, continua le médecin, très grave.

Elle chancela et, défaillante, elle s’appuya le dos à la muraille, le médecin la soutint.

–Eh bien, eh bien, dit-il, allez-vous vous trouver mal? Vous n’êtes donc pas une fille vaillante.

–Je ne sais pas, murmura-t-elle, vous disiez qu’il n’y avait rien à craindre.

–Il fallait rassurer votre pauvre père.

–Mais il n’est perdu? s’écria-t-elle avec un sanglot.

–Perdu sûrement, non sans doute, nous pouvons le sauver.

Et, voyant le désespoir de cette fille, il ajouta:

–J’espère le sauver. mais enfin l’état est grave, très grave.

Elle resta un moment anéantie, écrasée par ce coup qui s’abattait sur elle si brusquement; puis peu à peu elle releva les épaules et redressa la tête.

–Mon devoir, continua le médecin, était de vous prévenir.

–Mais qu’a-t-il? demanda-t-elle d’une voix qui s’affermissait.

–Une attaque asystolique.

–Asystolique? dit-elle.

–C’est-à-dire une maladie de cœur dans lequel cet organe se contracte insuffisamment et ne se débarrasse pas par conséquent du sang qui l’étouffe.

–Et c’est grave?

–Très grave.

–Mais il n’avait jamais été malade.

–Il l’était depuis longtemps sans le savoir; l’accès cardiaque nous révèle son état.

Elle hésita quelques secondes:

–Mais cette maladie est guérissable, n’est-ce pas?

–Oui. quelquefois. Au moins on peut vivre avec.

–Il vivra; nous le soignerons; nous le sauverons. Vous me demandiez si je suis une fille vaillante; je ne sais pas si je l’étais, mais je vous promets que je le serai. Jusqu’à ce jour je n’ai eu qu’à me laisser vivre, mon père voulait, décidait, travaillait pour moi. Maintenant c’est à moi de décider et travailler pour lui. Je le ferai.

–Bon courage, mon enfant; quand vous aurez besoin de moi, je suis à vous; remontez près de lui, et surtout du calme.

Elle remonta. Mais au moment d’entrer dans la chambre elle s’arrêta: elle étouffait, les larmes emplissaient ses yeux.

Du calme, avait dit le médecin. Il fallait qu’elle fût calme elle-même et que son père ne pût pas surprendre son angoisse.

Elle s’essuya les yeux et à plusieurs reprisés elle respira fortement, puis elle entra, le sourire sur les lèvres.

–C’était bien simple ce qu’avait à me recommander M. Graux, dit-elle en s’approchant du lit de son père; mais, tu sais, il est un peu bavard, et quand il explique il n’a jamais fini.

Séduction

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