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Il descendit l’escalier comme si le feu le poursuivait.

Vraiment il l’avait échappé belle; après la fille, le père.

Une gaillarde, la fille.

Un Normand madré, le père.

Mais il n’y a pas que les Normands qui sont ma drés; les Lorrains le sont aussi et, quand il le faut, ils savent compter.

Sans doute ç’avait été dur de répondre de cette façon ambiguë et de se dérober de cette manière; mais comment faire autrement?

Il ne pouvait pas dire oui, car il était un honnête homme.

Quand il avait manifesté l’intention d’épouser Hélène, il comptait sur une dot immédiate et, pour plus tard, sur une certaine fortune à recueillir par héritage; mais puisqu’il n’y avait ni dot, ni héritage, il n’épousait pas.

La femme était belle et désirable, cela était certain; douée de qualités sérieuses, il le croyait, mais après? Ce n’est pas avec de la beauté, avec de la tendresse, avec de la bonté qu’on entre en ménage; si cela est quelque chose comme appoint, il faut en plus un capital sérieux.

Il ne pouvait pas raisonnablement épouser une femme sans le sou, si belle qu’elle fût.

Il ne voulait pas d’une existence semblable à celle du père Planchat: à cette seule pensée tout en lui se révoltait.

Sans doute il était pénible de renoncer à cette belle fille; mais après tout il y en avait d’autres; et quand on était fait comme lui, il n’y avait pas à s’inquiéter d’un mariage manqué ni d’une belle fille perdue.

Réfléchissant ainsi, il avait fait trois ou quatre fois le tour de la cour, s’applaudissant de la façon dont il avait esquivé cette situation véritablement embarrassante.

Si, comme cela paraissait probable, M. Margueritte succombait à cette maladie, tout était fini; plus de mariage.

Si, au contraire, il réchappait, le mariage pouvait se renouer et produire alors les avantages matériels sur lesquels il avait été en droit de compter, lorsqu’il l’avait engagé.

Et l’heure ayant sonné, il était entré en classe, satisfait de lui et dans les meilleures dispositions.

«Nous avons vu dans la dernière leçon que pour les composés binaires oxygénés il y a deux cas à distinguer: 1o le composé est basique ou neutre; 2o il est acide.»

Puis ayant remarqué deux élèves qui bavardaient, il s’était interrompu:

–Je vous prie de ne pas me distraire par votre inattention; je viens de voir notre cher principal, il est au plus mal; je suis sorti de chez lui profondément ému, et j’ai besoin de tout mon sang-froid pour pouvoir vous faire ma leçon. Je dis donc que, dans le premier cas, le nom du composé se forme de la manière suivante...

Aussitôt qu’elle l’avait vu sortir, Hélène était rentrée près de son père.

Elle l’avait trouvé dans un état de complète prostration, la tête inclinée sur l’épaule gauche, la lèvre inférieure pendante, les bras inertes.

–Cela t’a fatigué.

Pas de réponse.

Mais au bout de quelques minutes terriblement longues pour elle et pendant lesquelles elle s’était anxieusement demandé ce qu’il fallait craindre, il s’était un peu redressé pour la regarder.

Quelle expression désespérée dans ses yeux et sur son visage!

Tout à coup, elle avait vu des larmes couler sur ses joues, et, levant la main, il la lui avait tendue.

–Ah! ma pauvre fille! ma pauvre fille!

–Mais qu’as-tu, père? Qu’as-tu? Es-tu plus mal?

Il secoua la tête.

–C’était ma dernière espérance; elle me manque. Il n’est pas l’homme que j’avais cru.

–Eh bien! père, il ne faut pas te désespérer pour cela; il n’y avait pas d’engagement entre M. Radou et moi. Je ne l’aimais pas et je n’avais accepté ce mariage que pour ne pas te peiner. Dans ces conditions, il vaut donc mieux qu’il ne se fasse pas. Pour moi, je t’assure que je n’en suis pas du tout fâchée, pas même désappointée.

–Mais tu vas rester seule, sans rien, sans la moindre ressource.

Depuis la veille, elle avait à chaque instant et de toutes les manières combattu cette idée, trouvant toujours quelque raison nouvelle pour la repousser et pour prouver à son père qu’il n’était pas aussi malade qu’il le croyait.

Mais cette persistance à revenir sans cesse à la même crainte ne montrait que trop qu’elle ne l’avait pas convaincu; mieux valait donc recourir à un autre moyen.

–Jamais je n’admettrai, dit-elle, que je vais rester seule; mais quand, par impossible, cela arriverait; quand, tu serais tué,–je ne dis pas par cette maladie, mais par un accident quelconque que nous ne pouvons pas prévoir,–serais-je donc perdue pour cela? Et cette crainte de me laisser seule, qui te torture, serait-elle, en se réalisant, aussi terrible que ta tendresse l’imagine?

–Hélas!

–Ce qui serait affreux, ce serait le désespoir moral, ce serait de ne plus te voir, ce serait d’être privée de cette tendresse qui depuis mon enfance m’a rendue si heureuse.

Malgré l’effort d’énergie qu’elle faisait pour se contenir et ne pas ’succomber à l’émotion, elle ne fut pas maîtresse, en évoquant cette catastrophe qu’elle disait impossible, mais qu’elle sentait si menaçante, de régler sa voix, qui trembla et qui, à un certain moment, se brisa dans sa gorge contractée. Mais presque aussitôt, se raidissant désespérément, elle continua:

–Je veux dire qu’en dehors de mon chagrin tout ne serait pas perdu: je ne suis plus une enfant; je ne suis pas infirme; je ne suis pas incapable de travailler, incapable de gagner ma vie. Ce que tu m’as appris me servirait à quelque chose; j’en sais assez pour donner des leçons; j’ai mes diplômes; tu vois bien que je ne mourrais pas de faim.

–A dix-neuf ans! Ah! ma pauvre fille, quel remords de n’avoir rien fait pour toi!

–Tu as tout fait, puisque tu m’as mise à même de pouvoir faire. Quand il le faudra je serai forte et courageuse, je te le promets, je te le jure!

Et lui prenant la main, elle la lui baisa comme pour sceller ce serment, que le danger suspendu au-dessus de son père et qu’elle voyait prêt à s’abattre rendait si solennel.

–Tant de beauté! dit-il, suivant évidemment sa pensée intérieure bien plus qu’il ne répondait à ce qu’elle avait dit:

Il s’établit un moment de silence, et pendant quelques instants il resta penché en avant, s’efforçant de faire entrer un peu d’air dans sa poitrine, car l’étouffement augmentait sensiblement, en même temps que la pâleur de sa face et que l’anxiété du regard.

–Partout où se portent mes yeux, dit-il, je ne vois que dangers pour toi. Ah! j’étais trop fier de ta beauté. Et ta pauvre grand’mère que deviendrait-elle?

–Mais ne serais-je pas là?

–Oui, n’est-ce pas, tu me remplacerais.

–Oh! je te le jure.

La porte s’ouvrit, le docteur Graux entra.

–Eh bien, dit-il après avoir examiné son malade, je vois avec plaisir que nous allons mieux.

–Vous trouvez, docteur?

–C’est évident.

–Moi, je ne me sens pas mieux; au coutraire, j’étouffe, il me semble qu’à chaque instant je vais me trouver mal.

–Eh bien, quand cela arriverait, il ne faut pas vous en inquiéter.

Mais avec Hélène, qui l’accompagna, il ne garda pas cette assurance.

–Cela ne va pas, dit-il, le cœur ne se calme pas; monsieur votre père a donc éprouvé des émotions, des contrariétés?

–Oui.

–Il faut empêcher cela à tout prix.

–Je l’ai tenté, je n’ai pas pu.

–Si nous avons de nouvelles syncopes, je ne réponds de rien.

–Ne peut-on pas les prévenir?

Il secoua la tête.

–Si elles se présentent, dit Hélène tremblante, que faudra-t-il faire?

–Espérons qu’il ne s’en présentera pas.

–Mais s’il en survient une?

Il hésita un moment.

–Vous m’enverrez chercher.

Hélène n’en écouta pas davantage, et elle remonta vivement, ayant hâte d’être auprès de son père, pleine de craintes, voulant être là, quoiqu’elle ne sût pas ce qu’elle pourrait faire si une syncope survenait.

La soirée se passa sans complications nouvelles; cependant l’état général parut s’aggraver.

La nuit aussi fut extrêmement pénible pour le pauvre malade, accablé par le sommeil, et qui se réveillait à moitié étouffé aussitôt qu’il s’endormait.

Installée près de lui, contre lui, Hélène ne le quittait pas des yeux. Vers le matin elle le vit se renverser sur ses oreillers et laisser aller sa tête comme il l’avait fait plusieurs fois déjà en s’endormant.

Cependant ce n’était pas le même mouvement.

Effrayée, elle voulut lui soutenir la tête: il ne bougea pas.

–Père! s’écria-t-elle, père!.

Elle lui mit la main sur le cœur, mais elle ne le trouva pas. Elle écouta, se collant l’oreille sur sa poitrine. Elle n’entendit rien.

–Père, réponds-moi!

Puis, instantanément, le sentiment de l’horrible vérité l’étreignant:

–Père, dis-moi adieu.

Il était mort. Et cet adieu qu’elle lui demandait, il n’avait pas pu le lui donner.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

Séduction

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