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PREMIÈRE PARTIE I

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Table des matières

Le personnel domestique du collège communal de Condé-le-Châtel était sur les dents; on procédait à l’installation et à l’emménagement du nouveau principal, M. Margueritte, qui venait d’être nommé, et comme il n’y avait plus que quatre jours avant le premier lundi d’octobre, cette date fatale qui a fait verser tant de larmes aux mères et aux enfants, il ne fallait pas perdre de temps pour que tout fût prêt.

Comme si ce n’était pas assez des travaux que nécessitait cette installation précipitée, M. Margueritte avait encore compliqué les choses en commandant un déjeuner de gala pour cette journée du mercredi.

En recevant cet ordre, la cusinière avait poussé les hauts cris en levant au ciel ses bras désespérés:

–Et comment le servir, ce déjeuner, quand rien n’est en place. Si encore c’était dans le réfectoire.

M. Margueritte n’avait rien écouté; il attendait sa mère ainsi que l’une de ses tantes, chez laquelle celle-ci demeurait depuis de longues années, à Bezu-Bas, un un gros et riche village à trois lieues de Condé, et il tenait à les fêter en les recevant de son mieux.

C’était donc un remue-ménage général dans les vieux bâtiments du collège,–un ancien couvent de cordeliers qui, tant bien que mal, et plutôt mal que bien, a été transformé en collège, comme le château-féodal des comtes du Perche, qui a donné son nom à la ville, a été transformé en sous-préfecture, en palais de justice, en mairie, en bibliothèque et en musée.

De la cave au grenier, de la cuisine au parloir, des dortoirs aux études, dans les escaliers sonores, dans les longs et sombres corridors, on rencontrait des gens de service, des peintres, des menuisiers, des tapissiers qui allaient et venaient d’un air affairé, car tout devait se faire en même temps, l’installation du nouveau principal et le nettoyage des pièces à l’usage des élèves.

Et au milieu des travailleurs M. Margueritte circulait du matin au soir, un trousseau de clefs à la main, qu’il balançait avec un bruit de tintenelle, annonçant de loin son arrivée.

Le plus souvent c’était seul qu’il parcourait ainsi son collège, donnant à chacun et à chaque chose le coup d’œil du maître, faisant ses observations; mais quelquefois aussi il était accompagné d’une grande et belle jeune fille de dix-huit à dix-neuf ans,–mademoiselle Hélène Margueritte.

Lorsqu’on les voyait ensemble il n’y avait pas besoin de les connaître pour deviner les liens de parenté qui les unissaient, tant ils se ressemblaient.

Le père, haut de stature, souple malgré ses cinquante ans, dispos, bon pied, bon œil, bien bâti, bien découplé, en tout un superbe échantillon du Normand de pur race: pommettes un peu saillantes, nez droit, lèvres charnues, œil bleu, cheveux blonds, teint rosé, charpente osseuse, solide et bien proportionnée. Sur un seul point ce type se démentait: on trouvait en lui trop de raideur, trop de compassé. Mais il y avait là évidemment une déformation due au métier; le professeur avait modifié l’homme; l’éducation, la convention, la volonté, l’habitude avaient enlaidi la nature.

La fille, de taille élancée comme le père; blonde de cheveux avec des reflets dorés; la peau fine et transparente, d’une carnation rosée vraiment admirable; les yeux bleus, mais d’une nuance plus claire que chez le père; le regard franc et droit, mais timide cependant, velouté, pénétrant, lumineux; Ja figure d’un ovale parfait avec le front élevé, le nez droit, les lèvres en arc; très mince de la taille, elle avait un port de tête qui la grandissait encore, mais pourtant sans donner rien de grave à l’expression habituelle de ses traits et de son sourire, qui était la douceur et la candeur.

Quand Hélène venait ainsi rejoindre son père, ce n’était point pour lui parler des choses du collège, dont elle ne s’occupait en rien, mais c’était pour le consulter sur leur installation personnelle et surtout sur celle de sa grand’mère.

Elle la connaissait très peu cette grand’mère, car ayant jusqu’à ce jour habité le nord et l’est de la France, elle n’était que rarement venue à Condé-le-Châtel et à Bezu-Bas, que la bonne femme n’avait jamais quitté; mais elle savait quelles étaient les intentions de son père, et cela suffisait pour qu’elle eût à cœur de veiller à ce qu’elles fussent exactement réalisées.

–Il faut que la brave femme trouve dans la dernière. –partie dé sa vie le repos et le bien-être qui lui ont par malheur si complètement manqué dans la première, avait dit M. Margueritte, et je compte sur toi pour les lui assurer.

Bien que sa grand’mère fût une vieille paysanne de soixante-treize ans, qui avait toute sa vie travaillé à la terre et qui n’avait aucune idée de ce qu’était le bien-être bourgeois, Hélèneavait voulu que la chambre qu’elle lui organisait fût aussi confortable et aussi élégante que celle qu’elle se faisait arranger pour elle-même;–confortable et élégance bien modestes, il est vrai: faïence pour la toilette, merisier pour le meuble, cretonne pour l’étoffe; mais enfin considérables encore pour quelqu’un qui, depuis quarante ans, se débarbouillait à la pompe et n’avait pas de rideaux à sa lucarne.

Si M. Margueritte en avait eu la liberté, il aurait attendu quelques jours encore pour recevoir sa mèra chez lui, car au milieu des embarras de son installation et de la rentrée des classes, il ne trouverait guère le temps ’être à elle comme il l’aurait voulu; mais cette liberté il ne l’avait point eue.

Le lendemain de son arrivée à Condé il avait été à Bezu-Bas pour voir sa mère et lui annoncer son désir de l’avoir désormais avec lui. Et, en route, il avait préparé le discours conforme aux règles de la rhétorique qu’il lui adresserait: exorde qui éveillerait son attention, narration qui exposerait le sujet, confirmation qui prouverait la vérité et la justesse des faits avancés, réfutation qui irait au-devant des objections probables, enfin péroraison qui récapitulerait ce discours en appuyant surtout sur le bonheur de la vie de famille.

Mais, à sa grande surprise, elle ne l’avait point laissé aller jusqu’à la confirmation. Il avait cru qu’il ne pourrait que difficilement la décider à quitter les champs où elle avait toujours vécu: jeune fille auprès de ses parents, mariée auprès de son mari, veuve auprès de son frère, qui l’avait recueillie, et voilà qu’à peine il était arrivé à la fin de sa narration, elle avait accepté son offre avec empressement et avec joie.

–Certainement, mon fils, que je serai heureuse de vivre avec toi et avec ma petite-fille, et je te remercie bien de ta proposition que j’accepte de bon cœur. Si tu n’avais point été si loin d’ici et toujours en changement de pays, il y a longtemps que je t’aurais demandé ça moi-même, le jour précisément où tu as perdu ta défunte femme, et depuis aussi vraiment plus d’une fois.

Chose curieuse, au moins pour lui, les objections à sa proposition étaient venues précisément de celle qui, croyait-il, devait être la dernière à en faire, c’est-à-dire de sa tante, madame Françoise, qui vingt fois, cent fois, avait laissé entendre qu’elle ne gardait sa belle-sœur chez elle que par générosité, par bonté, par amour de la famille et aussi par amitié pour son mari, son brave François, qui était très attaché à sa sœur.

–Croyez-vous que c’est prudent, mon neveu, d’emmener à la ville une personne d’âge qui est habituée aux champs; ça va bien la dérouter; sans compter le deuil que ça fera à mon François, qui est si affectionné à sa sœur pour l’avoir eue depuis si longtemps avec lui. Et puis il y a nos dindes.

Ce mot avait été le trait de lumière qui avait éclairé la situation et avait montré à M. Margueritte ce qu’il n’y avait pas vu: dans cette maison où on la gardait par générosité et par amour de la famille, sa mère était une servante à laquelle on tenait d’autant plus qu’on ne la payait point.

Or, ce devait être un dur métier que celui de servante chez madame Françoise ou plutôt madame Tout cha, comme on l’appelait familièrement, parce qu’elle avait l’habitude, lorsqu’elle promenait quelqu’un aux environs de sa ferme, de dire avec un geste circulaire, la tête haute et le regard orgueilleux: «Vous voyez tout cha, eh bien, c’est à nous tout cha, et puis encore tout cha.»

Comment n’avait-il pas compris, comment n’avait-il pas vu cela plus tôt? Comment n’avait-il pas deviné le sens des demi-mots de sa mère, qui, sans se plaindre jamais franchement et sans lui demander à se retirer près de lui, en avait assez dit cependant pour lui ouvrir les yeux s’ils n’avaient point été aveuglés.

Mais maintenant qu’il voyait et comprenait, il n’était pas homme à abandonner sa mère; il avait parlé en maître.

–Eh bien, alors, je vous mènerai ma sœur le jour de la foire Saint-Michel, avait dit la tante Tout cha.

–J’irai bien à pied, répondit la bonne femme.

–Ça serait du propre, vraiment, que vous partiez de chez nous à pied; je vous conduirai en menant les dindes à la foire. Faut bien que je les vende, puisque vous les abandonnez.

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