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VIII
L’OBSTACLE
ОглавлениеDiane entra.
Jacques était debout, à demi caché derrière une tenture, n’osant pas faire un pas en avant.
Elle alla à lui, et doucement, ayant calmé les âpretés de sa voix:
–Vous ici, Jacques, dit-elle; quelle imprudence!.
Elle ne le repoussait pas. Elle ne le chassait pas, malgré l’imprudence qu’il venait de commettre. Il ne s’avança pas, mais s’agenouillant:
–Diane, dit-il, pardonnez-moi…
–Vous pardonner! fit Diane. Si vous avez été imprudent, n’est-ce point pour me donner une nouvelle preuve d’amour?…
Et la charmeresse, qui jouait avec sa victime, lui tendit la main que le malheureux prit avec une joie folle et couvrit de baisers.
–Au moins, reprit-elle, êtes-vous bien certain de n’avoir pas été vu?…
–Oh! soyez sans crainte! Grâce à cette clef que vous m’aviez confiée jadis, j’ai pu arriver jusqu’au saut-de-loup. Pour plus de sûreté, j’ai traversé à l’endroit le plus périlleux, là où on se croit certain que nul ne peut franchir l’obstacle des broussailles de fer.
–Mais vous êtes blessé! s’écria Diane, qui vit alors que ses mains étaient ensanglantées.
–Qu’importe! Du moins vous savez maintenant que vous n’avez rien à craindre.
–Pauvre ami! reprit Diane en s’asseyant et en l’attirant près d’elle sur un sofa, je ne veux point que vous risquiez ainsi votre vie.
–N’est-elle pas à vous?…
–Oui, je le sais. mais, dites-moi, pourquoi cette folie? Pourquoi cette impatience de me voir?
–Pourquoi? Mais oubliez-vous donc que voici plus de quinze jours que je n’ai eu ce bonheur. quinze jours que je souffre à crier. Ne vous ai-je pas écrit?… Vous ne m’avez pas répondu. A mon tour, je vous demande… pourquoi?…
Diane avait baissé la tête, comme si elle eût été accablée d’une douleur intime et profonde.
–Pourquoi? fit-elle à son tour. Ah! je devine… vous ignorez tout.
–Que voulez-vous dire? Vous vous taisez… Ah! Diane… ma Diane bien-aimée, sachez que je suis fort… que j’ai du courage… Un danger vous menace! je le devinais, je le pressentais. Eh bien, n’hésitez pas, parlez; dites-moi tout, sans hésitation; et je vous le jure, je saurai bien vous défendre.
–Oui, oui, je crois en vous. je sais que vous êtes bon et vaillant. Mais, hélas! ami, il est des périls contre lesquels vous êtes impuissant. il est des obstacles que toute votre énergie ne saurait renverser.
–Ah! tenez, Diane, ne parlez pas ainsi, vous me rendriez fou! Des obstacles invincibles!… en est-il quand on aime sincèrement, quand on est prêt à tout sacrifier pour celle qui est à jamais la maîtresse de votre vie?…
–Jacques
–Oui, vous doutez de moi, Diane! C’est mal. Une fois de plus écoutez-moi bien, comprenez-moi bien. De la vie, du passé, de l’avenir, je ne sais que ceci: je vous aime! non point d’une de ces passions banales sur lesquelles le temps a de l’action… je vous aime si profondément que j’ai compris ce mot d’une reine: que si on lui arrachait le cœur, on y trouverait un nom gravé… Nous sommes liés à jamais… et vous parlez d’obstacles… Dites-moi quels ils sont; je saurai bien les abattre.
Diane releva la tête, et fixant sur lui ses grands yeux dont elle éteignait les colères latentes:
–Si bien, dit-elle lentement, que si nous devions être séparés.
–Ah! ne prononcez pas ce mot… vous me rendriez fou!
–Laissez-moi parler! Si donc une volonté plus forte que la nôtre venait tout à coup s’interposer entre nous?
–Diane!
–Il est temps que vous sachiez tout. Oui, Jacques, j’ai vu mon père, je lui ai dit que j’aimais, que j’étais aimée. et savez-vous ce qu’il m’a répondu?
–Oh! j’ai peur… j’ai peur!
–Il m’a dit sèchement, brutalement: «Je vous défends de songer à cet homme… j’ai pour vous d’autres desseins… Je veux. vous marier…»
–Il a dit cela! s’écria Jacques. Ah! malheur à lui!
–Jacques, dit gravement Diane, jouant toutes les comédies, vous oubliez que vous parlez de mon père…
–C’est vrai… pardon!… murmura le malheureux. Mais c’est impossible! Il vous écoutera, il sera touché de vos larmes, de vos supplications… C’est votre père, il doit vous aimer…
–Mon père a l’implacable orgueil de sa caste. Je n’y voulais pas croire. Mais j’en ai eu la preuve terrible. et plutôt que de consentir à une mésalliance, il ne reculerait devant rien…
–Voyons! je comprends mal! il n’est pas possible que cette horrible catastrophe tombe ainsi tout à coup sur ma tête… Votre père doit être bon.… alors même que des préjugés absurdes troubleraient momentanément sa conscience, lorsque je lui aurai parlé…
–Vous! Ah! n’y songez pas… ce serait nous perdre à jamais.…
Et elle ajouta à voix basse:
–Vous ignorez donc que mon père est tout-puissant. que sous le gouvernement impérial un homme ne pèse pas dans la main de ceux qui détiennent le pouvoir… Jacques, j’ai dû taire votre nom… car si j’avais eu l’imprudence de le prononcer, déjà vous seriez perdu!…
–Croyez-vous donc que j’aie peur? Si puissants que soient ceux dont vous parlez, il est des barrières que leur omnipotence no saurait franchir…
Diane eut peine à réprimer un sourire. Elle connaissait les scrupules du monde impérial.
–Je m’étonne, reprit Jacques, que vous vous laissiez ébranler par ces craintes… reprenez courage, Diane, je sais que vous m’aimez, que vous aimez le pauvre petit être qui nous doit la vie. L’heure est venue des résolutions décisives. Vous ne voulez pas que je parle à votre père. Peut-être avez-vous raison, ce serait éveiller en lui des colères qui, sans doute, retarderaient la solution que nous attendons. C’est à. vous à plaider notre causé, et, dussiez-vous lui dire toute la vérité!…
–C’est-à-dire, fit Diane se levant brusquement, que vous m’aimez à ce point d’admettre que je me déshonore…
Elle était pâle, et maintenant presque impuissante à se contenir.
Ah! ce qu’elle voulait, c’était que Jacques eût peur, qu’il reculât lâchement devant des périls imaginaires, qu’il parlât d’attente, d’atermoiement… et voilà qu’elle se heurtait à une inébranlable volonté.
Qu’il prît garde!… Elle songeait à Lazare!…
Elle se disait que là–en Jacques–était le véritable obstacle à renverser…
Lui, à ce mot de déshonneur, qu’elle avait jeté d’un accent presque furieux, s’était senti secoué comme par une commotion électrique:
–Que parlez-vous de déshonneur, Diane? reprit il en relevant la tête. Oui, nous avons été imprudents; oui, il y a eu faute commise… Soit! cela est vrai aux yeux du monde!… Mais le monde même ne pardonne-t-il pas à ceux qui réparent cette faute?… Vous êtes ma femme devant Dieu et ma conscience… vous serez ma femme devant les hommes!… Vous m’avez dit: Soyez célèbre, et je serai à vous… Or,–à tort ou à raison–l’indulgence de mes juges m’a permis de vous obéir… Je sais qu’avant un mois mon nom figurera sur la liste des décorations… De plus, je suis presque riche… Eh bien, il est temps d’avouer hautement et franchement notre amour… Diane!… vous serez ma femme, et alors, qui donc oserait jeter sur vous l’ombre même d’un blâme…
Diane sentait la patience lui échapper. Elle eut un mot terrible:
–Sur moi, soit, je l’admets… Mais sur l’homme qui aura épousé les millions des d’Airvault?…
Jacques, livide, recula… Il chancela si fort que peu s’en fallut qu’il ne s’abattît sur le tapis.
–Diane! Diane! murmura-t-il… Est-ce bien vous qui avez parlé!…
–Eh! non, ce n’est pas moi! dit brusquement Diane… Ces mots qui vous blessent, c’est le monde qui les prononcera… on excusera la fière Diane d’avoir commis une faute… on ne pardonnera pas à Jacques Darneval d’avoir spéculé sur l’imprudence d’une millionnaire…
Elle était féroce, maintenant. Elle voulait qu’il la hait; qu’il la méprisât, mais qu’il partît pour jamais. C’était moins périlleux que d’en appeler à Lazare…
Lui, stupide, ne pouvant pas deviner qu’il y eut tant d’infamie dans l’âme de celle qu’il aimait… oh! oui, qu’il aimait tant!… sanglotait comme un enfant; est-ce qu’il songeait à avoir de la colère contre elle!… Non… pour un peu, il se fût accusé… D’ailleurs, il ne comprenait pas… Tout cela lui semblait un horrible cauchemar.
–Non, je ne crains rien, dit-il tout bas. Un cri d’honneur et de probité répondrait à ces accusations infâmes. Puis, n’êtes-vous pas là pour me défendre? Voyons, Diane, cherchons ensemble. Vous me dites que votre père s’oppose à une union qu’il considérerait comme une mésalliance. C’est là qu’il faut diriger nos efforts… Grâce à mes relations, je puis, moi aussi, obtenir de puissantes protections. Il se peut que, dans son monde même, votre père Lrouve des personnages importants qui m’appuient auprès de .lui; vous voyez, je ne désespère pas. car je vous aime, et je sais que rien ne peut ni ne doit nous séparer… Ne le croyez-vous pas comme moi, Diane?
Elle eut un léger haussement d’épaules; mais il ne remarquait rien.
–Ainsi, reprit-elle, vous êtes décidé à la lutte?…
–Certes, et plus que jamais. D’ailleurs, je le répète, notre séparation est impossible. Et à moins que vous-même ne me chassiez…
Il avait redressé le front et la regardait en face, comme si soudain il eût voulu l’interroger.
Et devant ce regard profond, empreint d’une énergie virile, Diane fut lâche. Elle n’avait qu’un mot à dire pour écraser à jamais cet espoir qui s’obstinait à ne pas mourir. Elle eut peur et n’osa pas le prononcer.
–Eh! qui parle de vous chasser? dit-elle.
–Ah! je savais bien que vous, du moins vous étiez touj ours la même, ma Diane bien-aimée! Eh bien, nous lutterons ensemble. Oui, je le comprends; il faut être prudent; nous attendrons, nous étudierons soigneusement la situation. Vous agirez auprès de votre père; moi, de mon côté, je me concilierai des auxiliaires. Ah! je le sens, toutes ces craintes sont vaines. D’ailleurs, Diane, comment se pourrait-il faire que tu ne fusses pas ma femme?…
Il s’était approché d’elle, et, ayant passé un bras autour de sa taille, il fixait sur ses yeux son regard étincelant d’amour.
Elle réfléchissait. Décidément, elle avait mal engagé la lutte. Elle était vaincue. Jacques s’obstinait à ne rien voir, à ne rien deviner.
Mais soudain une pensée habile, criminelle, traversa son cerveau.
Oui, Jacques était un de ces adversaires avec lesquels il fallait user de ruse. Le repousser brutalement, c’était s’exposer à un effrayant scandale.
Tandis que… Allons, le hasard la servait bien…
Et pendant qu’elle méditait ainsi, elle s’était doucement appuyée au bras de Jacques, qui croyait sentir ce cœur battre d’amour… Fou! triple fou!…
–Mais, dit-elle tout à coup d’une voix presque indifférente, j’ai oublié de vous demander ceci: vous êtes venu si brusquement! Pourquoi ne m’avez-vous pas avertie comme à l’ordinaire, par un billet glissé sous le collier de Braco?
Braco! Jacques avait tout oublié!
Mais Diane s’était rappelé, elle, qu’il y avait là un nouvel et puissant argument.
–Eh bien, dit-elle, vous ne répondez pas!
–C’est que, c’est affreux, cela! Je ne vous ai pas dit! Braco a été tué… et le billet que je vous envoyais lui a été volé.
Elle se dégagea brusquement de l’étreinte de Jacques. Et, de plus en plus comédienne, sachant mettre à son front, à ses yeux, les affres de la terreur:
–Volé! dites-vous. Mais par qui?
–Je l’ignore…
–Qui donc a pu frapper l’animal? Qui! ah! je devine tout. Mon père, irrité de ma résistance, me surveille, me fait épier… et c’est lui, oui, c’est lui qui s’est emparé de ce billet.
Jacques était devenu horriblement pâle. La vraisemblance de cette explication l’épouvantait.
–Ah! nous sommes perdus, mon Jacques. Oui, si je parlais la première, si même je disais toute la vérité, en choisissant l’heure propice, il serait encore possible d’espérer le succès… Mais voici que mon père a des armes entre les mains! C’est le désespoir pour nous!
Puis, se frappant le front:
–Mais que disait ce billet? Voyons. Jacques, souviens-toi… J’ai peur de te questionner… tu me parlais d’amour… mais ne disais-tu rien de plus?… Ne parlais-tu pas… de lui?
Parbleu, elle était sûre de ne pas se tromper, puisqu’elle avait lu le billet entre-les mains de Lazare.
Aussi Jacques se sentit-il tout à coup frappé en plein cœur.
Mais oui, il parlait de l’enfant!… Qu’en disait-il d’ailleurs? il ne s’en souvenait plus. Comment l’avait-il désigné? Avait-il fait mention de Noisy-le-Grand où il était caché? Il ne pouvait ni affirmer ni nier. Les interrogatoires pressants de Diane-tombaient sur son cerveau comme autant de coups de massue et l’étourdissaient.
Et elle ajoutait:
–Mais vous n’avez donc rien compris? Quand je vous parlais de craintes, est-ce que c’était pour moi? Est-ce que c’était pour vous? C’était pour lui, pour lui seul, le cher bien-aimé! Car je ne vous ai pas tout dit. Quelques minutes avant votre arrivée, mon père, avec lequel j’avais eu une discussion violente, s’est écrié:
«–Sachez-le bien, j’ai le moyen de vous contraindre à m’obéir!»
–Eh bien, ce moyen, le voilà! il se sera emparé du billet, il sait tout, il enlèvera l’enfant, il le tuera!. Jacques! Jacques! Ah! cette fois, vous m’avez bien perdue!
–Non, pas encore! s’écria le jeune homme, se redressant avec énergie; mais, d’abord, il faut sauver l’enfant.
–Oui, oui, allez, Jacques! Pour Dieu! ne perdez pas une minute! Car s’il arrivait malheur à cette chère créature, j’en mourrais.
–Adieu, Diane. Ne craignez rien.
–Et quand vous l’aurez mis en sûreté, croyez-moi, quittez momentanément le pays. Ne m’écrivez pas, attendez une lettre de moi. Vous jurez de m’obéir?
–Je le jure! Ah! Diane! quand donc vous nommerai-j e ma femme?
–Bientôt! Espérez, Jacques.
Elle ouvrit une petite porte donnant sur le parc.
Jacques la serra encore une fois dans ses bras et il s’élança dehors.
Diane resta un moment immobile. Puis faisant un geste de résolution:
–Allons, dit-elle, il le faut.
Elle rentra dans l’autre pièce. Lazare l’attendait.
–Eh bien? lui demanda-t-il.
–J’ai besoin de vous, répondit-elle.
Et elle se mit à lui parler à voix basse.