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VI
LAZARE

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Table des matières

Pendant les derniers instants de cette scène, Lazare n’avait pas un seul instant détourné ses yeux du visage de Diane.

On eût dit qu’il attendait je ne sais quelle explosion de sentiments autres que ceux que la parole exprimait. Mais lorsque la jeune fille lui eut jeté simplement ce mot: «parlez!» il eut un tressaillement. Une ombre passa sur ce visage qu’un instant avait éclairé un espoir inavoué; et étouffant un soupir qui râlait dans sa vigoureuse poitrine, l’ancien cocher, debout, respectueux maintenant, dit:

–Mademoiselle, vous voyez bien que je ne vous trompais pas. C’est bien vrai: par suite de circonstances que vous ne connaissez pas, que vous ne pouvez pas connaître, vous avez en moi un esclave, et si dévoué que pour vous éviter une douleur, pour vous apporter une joie, cet esclave serait prêt à donner sa vie…

–En vérité, interrompit Diane.

Depuis le moment où elle avait tenu dans ses mains le signe de reconnaissance, tout un monde de pensées s’était élevé en elle. C’était un mélange de curiosité et de crainte d’être instruite.

–Ainsi, reprit-elle, après un silence, vous ne pouvez pas me dire à quoi je dois ce dévouement tout au moins extraordinaire?…

L’homme parut hésiter, puis répondit:

–Madame la marquise m’avait toujours témoigné une grande bienveillance. je suis resté plus de vingt ans à son service. Elle m’a confié la mission de veiller sur vous, et je tiens ma parole, voilà tout.

Il avait débité ces phrases tout d’une traite comme une leçon qu’on récite.

–Passons, dit Diane avec indifférence. Et répondez à une autre question. Pourquoi êtes-vous venu aujourd’hui?

–Parce que vous êtes en danger…

–Qui vous l’a dit?…

–Personne. Je le sais. Mais eussé-je encore douté que les paroles, surprises tout à l’heure, m’auraient prouvé que j’avais vu clair. Vous êtes malheureuse… vous êtes obsédée par un passé qui vous pèse…

Diane était très pâle, combattue entre une attraction inexplicable qui l’entraînait vers cet homme, et la terreur de voir ses secrets livrés à un étranger.

–Paroles en l’air! s’écria-t-elle brusquement. Vous vous êtes trompé!…

–Ce qui veut dire, mademoiselle, que vous croyez n’avoir pas besoin de moi.…

–Je ne dis pas cela…

–Alors pourquoi chercher à m’abuser… Oui, je vous le répète, vous êtes en péril… Comment cela s’est-il fait? Comment avez-vous pu agir sans que je vous aie arrêtée, moi qui veillais sur vous et croyais ne pas vous perdre de vue un seul instant. je ne le sais pas… mais je suis sûr que je réparerai ma sottise…

–C’est-à-dire, maître Lazare, que de votre propre aveu vous m’espionniez…

–Oh! insultez-moi, humiliez-moi… Appelez-moi de tels noms qu’il vous plaira, peu m’importe, je suis prêt à tout. Seulement je veux vous sauver…

–Me sauver. mais de quoi?

–Vous seriez plus franche si vous me demandiez de qui?

Diane eut un tel mouvement de colère qu’elle déchira le mouchoir de dentelle, crispé entre ses doigts.

–De qui?… reprit-elle. A votre tour, savez-vous bien que vous m’insultez…

–Non. Car on n’insulte pas ceux pour qui on est prêt à mourir, s’il le faut. Eh! tenez, il vaut mieux aller droit au but…

Il détacha de ses cheveux le billet qu’il y avait caché’ et le déroulant, le présenta à Diane, tout ouvert.

Elle s’en empara, et dès qu’elle eut jeté les yeux sur l’écriture, elle poussa un cri d’angoisse:

–Ce billet, comment est-il entre vos mains… vous l’avez volé.

–Oui, dit froidement Lazare.

–Et vous savez qui l’a écrit…

–Je le sais…

–Vous savez encore ce qu’il signifie…

–Oui. et je vais vous en donner la preuve…

Il étendit la main, reprit le billet et le lut à mi-voix:

«Ma Diane adorée, disait le billet, avez-vous donc juré de me faire mourir de désespoir!… quoi! trois lettres sans réponse!… Voici quinze jours que je vous attends en vain. Et pourtant je sais que vous n’êtes pas malade. Car, m’étant glissé jusqu’au château, je vous ai vue sortir, ma belle amazone, souriante et admirable!… et pourtant ne m’aviez vous pas promis que nous irions ensemble l’embrasser, elle! la chère petite!

» Je crains de devenir fou. vite, bien vite, un mot, un seul, ou je ne sais pas ce que me conseillera la douleur. N’oubliez pas que nous sommes à jamais l’un à l’autre et que nulle force humaine ne peut briser le lien qui nous unit. J’espère et j’attends, aimant ma douleur même qui me vient de vous!…»

–Et cela est signé Jacques, acheva Lazare. Voulez-vous que je vous explique tout ce que renferme cette lettre?

–Oui, je le veux, fit Diane d’une voix étranglée.

–Eh bien! écoutez-moi patiemment. Il y a environ quinze mois, vous avez rencontré–je ne sais où, dans une exposition d’amateurs–un peintre, un jeune homme, qui s’appelle Jacques Darneval. Pourquoi il vous plut? comment vous l’avez aimé? je ne cherche pas à le comprendre. Il y a des fatalités! On ne commande pas à l’amour; on le subit et parfois on en meurt…

Il avait prononcé ces derniers mots d’une voix sourde, à peine perceptible.

Diane n’avait pas fait un geste de protestation. D’un signe de tête, elle engagea Lazare à continuer:

–Je vais droit au fait… Aussi bien je n’entends point vous adresser de reproches. Vous ne m’en reconnaîtriez pas le droit… Après la mort de votre mère, votre père vous envoya dans cette villa, où vous êtes restée seule pendant près de deux mois. L’ennui, l’isolement sont de mauvais conseillers… Jacques Darneval vint habiter le pays… et il devint votre amant.

–Et si je vous disais que vous mentez?

–Je vous rappellerais cette lettre qui répond à votre démenti… Oui, vous avez aimé cet homme, vous vous êtes donnée à lui. enfin,–car il faut que je vous dise tout–il y a trois mois que vous êtes devenue mère!…

–Ah! cela… cela n’est pas vrai!

–«Ne m’avez-vous pas promis que nous irions ensemble l’embrasser, elle, la chère petite!» Voilà ce que cet homme a écrit. Stupide et lâche qu’il était! Comme si cette lettre ne pouvait pas tomber entre d’autres mains que les miennes! C’est une trahison. j’espère qu’il la paiera cher…

–Mais encore une fois… je vous dis que…

–Je vous dis, moi, que c’est la vérité, que cet enfant existe… Je sais enfin que l’enfant est caché à Noisy-le-Grand… Dites-moi donc maintenant que j’ai menti…

Diane, malgré sa hardiesse presque cynique paraissait frappée en plein cœur… Hagarde, elle s’était affaissée sur un sofa… et là, ayant au front des gouttes de sueur, elle se taisait, regardant devant elle comme ceux qui ne voient plus rien, sinon leur pensée dressée comme un spectre.

Lazare s’était rapproché d’elle. Il lui parlait de haut, comme si ses paroles eussent dû tomber plus lourdement sur son cerveau.

–Ainsi, par une imprudence, par une folie, vous qu’attend un avenir magnifique et radieux, vous vous êtes perdue!… mais que serait-ce, si vous aimiez cet homme! Ah! si vous me disiez, malgré mon père, malgré ma famille, malgré tous, je veux devenir la femme de Jacques Darneval, je ne discuterais pas. Vous commanderiez et j’obéirais. et par quelque moyen que ce fût–môme par des crimes–j’aplanirais les obstacles. Oui, malgré tous, je vous ferais heureuse… mais, écoutez-moi bien, Diane.

Sa voix avait pris une solennité singulière. Détail bizarre, il ne disait plus «mademoiselle» et l’orgueilleuse fille des d’Airvault ne semblait pas avoir entendu:

–Diane, cet homme que vous avez aimé, vous le haïssez maintenant. C’est un boulet de fer rivé à votre existence et dont vous cherchez en vain à briser la chaîne… Diane! cet homme est pour vous pire qu’un ennemi… Répondez-moi… n’est-ce point là la vérité!

–Eh bien, oui! s’écria tout à coup Diane avec une explosion de colère. Je ne sais qui vous êtes ni de quel droit vous me parlez. Mais j’ai besoin de crier ma douleur, ma rage! Oui, j’ai été folle! Oui, j’ai obéi à je ne sais quelle exaltation maladive qui m’a perdue. Mais aujourd’hui. aujourd’hui les angoisses que je ressens sont un terrible châtiment.

Lazare se pencha vers elle:

–Vous le haïssez, n’est-ce pas?

–Si je le hais!. je fais plus, ce que j’éprouve pour lui, c’est du mépris! c’est du dégoût! Ah! le misérable! Comme il m’a abusée, par sa voix douce, par ses paroles harmonieuses!… il m’a volé mon honneur! car c’est un vol; oui! Est-ce qu’il ne devait pas comprendre, alors même que je lui disais–moi aussi

–que je l’aimais, est-ce qu’il ne devait pas deviner qu’une fille comme moi! ne pouvait pas aimer un homme comme lui! Est-ce que je suis pétrie de la boue qui lui a donné naissance!… Un enfant! Ah! j’ai un enfant! s’écria-t-elle en éclatant d’un rire aigu, effrayant! Comme je le maudis, comme je le hais!.

Elle marchait maintenant, avec une agitation furieuse.

.–Et cet homme prétend avoir des droits sur moi! Il me poursuit, il m’obsède… Est-ce que par hasard je suis son bien, sa chose? Est-ce que je lui appartiens?

–Pourquoi ne l’avez-vous pas chassé?

–Pourquoi? Le sais-je moi-même? Ou plutôt, à vous, je veux avouer ce que je me tais à moi-même. Cet homme me fait peur… et savez-vous pourquoi? Parce que c’est un de ces niais qui s’enorgueillissent du titre d’honnête homme. Son amour, car il m’aime follement, m’épouvante. Le chasser! mais alors ce sera du désespoir, des cris insensés! Il me compromettra, il me perdra!…

–Et il empêchera votre mariage avec M. de Planay!

–Quoi! cela aussi, vous le savez…

–Je vous le répète, je sais tout!… mais, dites-moi, dans toute la franchise de votre conscience, ce mariage, le voulez-vous réellement?

Diane réfléchit un moment, puis elle dit:

–Oui, je le veux.

–Savez-vous bien qui est ce comte de Planay?

–Certes, je le sais.

–Un homme sans foi, sans délicatesse et sans honneur… presque ruiné…

–Eh! que m’importe! Ce que je veux, c’est son nom qui m’ouvrira toutes larges les portes de la grande vie. Il est ruiné; que me fait cela? ne suis-je pas riche, moi…

Et avec une sorte d’affolement cynique, livrant toutes les bassesses de son âme, Diane d’Airvault continuait:

–Il est sans honneur. Tant mieux. Car ce que je cherche dans le mariage, est-ce que c’est l’amour? Non, c’est la liberté, c’est surtout le droit d’agir à ma guise. Oh! si vous saviez quels rêves hantent mon cerveau.

Elle saisit la main de Lazare et s’écria, les yeux étincelants:

–Est-ce que tout n’est pas possible? Est-ce qu’une Espagnole n’est pas montée sur le trône de France?.

Et comme l’ancien cocher, presque terrifié, reculant d’un pas:

–Ah! vous ne pouvez comprendre cela, vous dont les désirs sont étouffés dans le cercle étroit des jouissances possibles! Moi, je connais ma force, je sais que, si je le veux, je puis monter si haut, si haut, que tous soient devant moi comme des esclaves rampant à genoux. Oui, je veux être comtesse de Planay. et quand j’aurai franchi ce premier échelon, alors je me souviendrai de la devise de notre famille: Tout par moy! et j’agirai.

Puis soudain, lançant dans l’air un geste de suprême menace:

–Mais cet homme! cet homme!.

–Voulez-vous qu’il meure?

Lazare-avait prononcé ces mots froidement. C’était une offre de meurtre nettement formulée, sans forfanterie, mais sans faiblesse. On devinait que sur un signe cet homme était prêt à tuer.

Diane avait relevé la tête et le regardait en face, en plein front.

–Aussi, dit-elle à voix basse, dévoué jusque-là…

–Oui, répondit Lazare.

Il y eut un long silence. Diane réfléchissait. Etait-ce donc un reste de pitié qui s’élevait du fond de son âme pour celui qu’elle avait aimé?

–Lazare, dit-elle, on ne peut exiger un dévouement saris borne, que lorsqu’on sait à quel titre ce dévouement vous est offert.

–Que voulez-vous dire?

–Vous veillez sur moi, dites-vous. Vous êtes prêt à me défendre, même par les moyens les plus violents. Mais qui me prouve qu’un jour, lassé de votre dévouement, vous ne me trahirez pas?

–Moi!

–Qui me prouve qu’entraîné par ce dévouement jusqu’à des actes punissables par la loi, vous ne reculerez pas devant le châtiment. ou peut-être voudrez-vous entraîner avec vous celle qui vous aura poussé à votre perte.

–Ah! pour Dieu, taisez-vous! pas un mot de plus!

–Si fait, je parlerai. Oui, j’ai peur de vous; oui, je me défie. parce que je ne sais pas qui vous êtes… et pourquoi vous vous arrogez le droit de me défendre.

Maintenant, Lazare, à son tour, était devenu horriblement pâle, et l’émotion qu’il ressentait était si violente qu’il chancelait, prêt à tomber.

–Parlez, vous dis-je, reprit Diane, sinon!…

–Sinon?…

–Sinon j’appelle mes gens et je vous fais jeter dehors!

–Vous! vous! vous feriez cela?

–Et pourquoi non? Est-ce que je vous connais! Sais-je seulement comment vous vous êtes introduit ici. Parlerez-vous?

–Mais je ne peux pas! gémissait le misérable. Car si, après m’avoir entendu, vous alliez me chasser!… Oh! c’est alors que tout serait irréparable. puisque dans une heure je serais mort…

–Peu m’importe! Je ne confie pas mon sort à un inconnu… Décidez-vous! je suis prête à appeler.

Et Diane, cette fois, posa sa main sur le cordon de la sonnette.

Alors Lazare s’élança vers elle, et, râlant plutôt que parlant, il s’écria avec une horrible angoisse:

–Non! ne sonne pas, n’appelle pas, ne me chasse pas!…

–Encore une fois, qui êtes-vous?…

–Ne l’as-tu donc pas deviné? Pourquoi me contrains-tu à cet aveu qui me brûle les lèvres?…

–Qui êtes-vous?

–Mais n’as-tu pas compris pourquoi je haïssais, pourquoi j’avais frappé le marquis d’Airvault?

–Une dernière fois, qui êtes-vous?…

–Eh bien!… non!… ne sonne pas!… Diane, je suis… je suis ton père!…

Et le malheureux, écrasé, s’abattit aux pieds de la jeune fille.

Elle eut aux lèvres un indescriptible sourire. Certes, elle avait dès longtemps deviné. Mais il lui plaisait que cet homme jetât cet aveu dans cet élan de honte, d’accablement, d’humilité.

Il restait à genoux, la tête baissée, les mains au tapis, n’osant pas lever la tête.

–Ainsi, dit-elle, vous, le cocher, le palefrenier, vous avez été l’amant de ma mère!…

Elle dit cela sans rougir, sans dégoût. On eût dit qu’elle-prît plaisir à souffleter la morte.

Lazare, d’un signe de tête, sans la regarder, avoua…

–C’est bien vrai?

–Je puis vous en donner la preuve…

–Et je suis votre fille!

–Le marquis n’a jamais eu d’enfant. Au moment où vous êtes née, il voyageait: c’était du temps de Louis-Philippe…

–Donc, il sait qu’il n’est pas mon père?

–Il n’a jamais prononcé un seul mot qui le prouvât; mais il vous hait…

–Dites-moi tout… je veux tout savoir… sans doute la marquise d’Airvault a été victime de votre violence…

L’homme frissonna.

–Oh! non! ne dites pas cela!… c’était une nuit… je l’avais conduite au bal… elle était si belle!… moi, je l’adorais… d’en bas, comme on adore les étoiles… Que s’était-il passé à ce bal?… je ne l’ai jamais su… Elle était remontée dans sa voiture, seule. elle était irritée, je l’avais deviné… nous revînmes à l’hôtel… Oh! mais, assez, assez, je ne puis plus!…

–Encore une fois, je veux tout savoir… sinon je ne vous crois pas…

–Et il faut que vous me croyiez!… tant pis!… Au moment où la marquise descendait, s’appuyant au bras de son valet de pied, elle se tourna vers moi: «Lazare, me dit-elle, accompagnez-moi… j’ai à vous parler… » Je tremblais, je croyais qu’elle allait me chasser… J’arrivai dans son appartement, frémissant… Il y a vingt ans de cela! et j’ai cinquante ans aujourd’hui!… La douleur n’avait pas encore courbé mes épaules et ridé mon front. Que me dit-elle? Je ne sais plus… je ne me souviens plus. Ah! si fait! je l’entendis qui murmurait: «Amour pour amour, j’aime autant celui d’une brute!» J’aurais dû m’enfuir… j’aurais dû reculer, épouvanté, devant ce mépris qui me rabaissait au rang du plus vil des hommes. Je fus lâche… je restai…

Lazare, les mains sur le visage, sanglotait maintenant.

–Ah! si vous saviez, Diane, quelles épouvantables tortures j’ai subies…Ce mépris, toujours, toujours me frappant à la face… Est-ce que la femme m’appartenait? non pas…. J’étais devant elle moins qu’un chien… j’étais une brute… et pourtant que d’efforts je tentai… J’étais ignorant… Je voulus tout savoir… j’appris tout! de l’être inconscient et brutal, cet amour –le mien–fit un homme, intelligent de la souffrance, de l’humiliation, de la honte! Ah! oui, j’ai effroyablement souffert… j’étais un jouet qu’elle frappait du pied à le briser. Eh bien! que m’importait? J’aimais, j’adorais, je n’avais le courage ni de la tuer ni de me tuer… Vous êtes née! alors j’ai tout subi avec une joie âpre, sauvage! Que m’importait mon état de valet… que m’importait les angoisses de la honte! Je vous regardais… et, chose atroce!… on vous avait appris à me mépriser. Jamais je n’ai surpris un de vos regards sans qu’il fût chargé de dédain pour le laquais! Voilà ma vie pendant dix ans!… Un jour, le marquis vous frappa. je le châtiai… Il me jeta dehors! C’était une délivrance… La marquise avait compris que jusqu’à la mort, par delà la mort, je serais, je resterais le chien dévoué qu’on fouaille et qui revient toujours, plus humble, plus soumis. Et maintenant que vous savez tout, Diane, dites!. quand je vous dis que je mourrais, que je tuerais pour vous, me croirez-vous?…

Il avait dit cela à mi-voix, comme s’il eût eu peur d’entendre le son de sa propre voix. Diane, le même sourire aux lèvres, savourant ces infamies qui étaient celles de sa mère, ne l’avait pas interrompu.

Quand il se tut:

–Ce secret, dit-elle, jurez-vous de le cacher au plus profond de votre conscience et de le taire, fût-ce à l’heure de la mort?…

–Oh! oui, je le jure!… Est-ce qu’il ne me torture pas le cœur depuis vingt ans?…

A ce moment, trois coups légers, frappés contre la cloison de la bibliothèque, firent tressaillir la jeune fille.

–Qu’est cela? demanda Lazare.

Diane eut un haussement d’épaules.

–J’ai commis naguère l’enfantillage de confier à ce Jacques une clef du parc. Il aura pénétré jusqu’ici sans être aperçu, et m’avertit de sa présence…

–N’y allez pas, dit Lazare.

Et il tira à demi de sa poitrine un long couteau.

–Non! non! fit Diane du même ton… Je le verrai, je lui parlerai… Il le faut…

–Prenez garde!… Ne vous compromettez pas…

–Ne craignez rien… Vous, attendez-moi là. et, après que j’aurai éconduit cet homme, je vous dirai ce que je veux… Vous m’obéirez?

–Oui… quoi que vous ordonniez…

Elle se pencha et appuya sa main sur les lèvres du misérable. Elle comprenait qu’il était utile de payer ce dévouement…

Lazare eut un frisson, comme si tout son corps eût été parcouru par une étincelle électrique…

Mais quand il releva la tête, la jeune fille avait disparu, et il entendit le bruit d’un verrou qui glissait dans sa gâche.

–Oui, je t’obéirai, murmura-t-il. A tout prix, je te veux heureuse… à tout prix, je veux que, quels que soient tes rêves, tu puisses les réaliser…

Et il resta à genoux, les yeux fixés sur la porte par laquelle Diane avait passé.

La haute canaille

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