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DIANE EST SAUVÉE

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Table des matières

Sous le coup de la terreur que lui avaient inspirée les dernières paroles de Diane, Jacques n’avait plus qu’une pensée:

Son enfant était en danger! Pauvre petite créature!… C’était une fille à laquelle il avait donné le nom de Diane, heureux de cette imprudence qui lui rappelait la bien-aimée de son cœur.

Oui, quand, avec un accent de vérité qui lui avait percé le cœur, la jeune fille, l’héritière des d’Airvault, lui avait dit que ce qu’elle redoutait, c’était qu’on leur enlevât leur enfant, il avait soudainement tout oublié, et les cruelles paroles de sa maîtresse, de celle qu’il appelait sa femme, et les accusations d’avide calcul qu’elle lui avait jetées à la face.

Ceux qui n’ont pas aimé feront ’seuls un crime de cette faiblesse. Pouvait-il supposer que les lèvres qui avaient murmuré tant et de si doux mots d’amour laissassent volontairement échapper des mots injurieux, presque brutaux? que ce cœur, naguère ouvert à toutes les impressions radieuses de la jeunesse et de l’espérance, se fût aussi brusquement refermé comme une tombe vide sur laquelle une pierre se scellerait.

Non, son adoration pour Diane n’avait fait que grandir.

Le plus pressé, c’était de courir d’abord à Noisy-le-Grand.

Quelque hâte que fissent les espions de M. d’Airvault, ils ne pouvaient avoir encore découvert la retraite de l’enfant. A supposer qu’il eût déjà donné des ordres, sans doute ce ne serait que le lendemain qu’on songerait à les exécuter.

Ayant dans son cerveau en feu ce monde de pensées qui se heurtaient, Jacques s’étant encore déchiré les mains aux broussailles de fer, les vêtements en lambeaux, la tête nue sous la pluie qui commençait à tomber, Jacques ne s’était pas aperçu tout d’abord qu’il s’était engagé dans une direction qui l’éloignait de Noisy.

D’ailleurs, dans ce pays, où l’on ne doit le plus souvent compter que sur la lumière du ciel, l’obscurité était telle qu’une erreur était inévitable, surtout dans l’état d’esprit où se trouvait Jacques.

Lorsqu’il s’en aperçut, il y avait déjà une longue demi-heure qu’il marchait, et s’éloignant touj ours de Neuilly-sur-Marne, il se trouvait maintenant à quelques mètres du pont de Bry.

–Après tout, murmura-t-il, peut-être vaut-il mieux qu’il en soit ainsi. Mon devoir est d’agir seul, sans conseil. Si j’étais allé retrouver d’abord le père Ambroise, il m’eût fait subir un interrogatoire; peut-être m’eût-il détourné d’agir avec la promptitude nécessaire. De cette façon, quand je le reverrai, tout sera fait.

Il franchit le pont et se trouva sur la rive gauche de la Marne.

Il n’avait plus maintenant qu’à suivre le chemin de halage. C’était une lieue à peu près qui lui fallait franchir; mais qu’importait la distance! Il était jeune. Il mit les coudes au corps et s’élança en avant.

La Marne grossissait, et sous l’action des crues d’automne, l’eau atteignait presque la crête de la berge. Mais à la lueur vague de la nuit, Jacques pouvait suivre le sentier tracé par les pieds des chevaux; seulement, le sol était détrempé; il glissait et s’irritait de la lenteur forcée qui lui était imposée.

Enfin il dépassa les dernières maisons de Bry et se trouva sur la berge déserte. Le vent froid qui lui fouettait le visage était pour lui comme un aiguillon. Il courait plus fort.

Un instant il lui sembla que, derrière lui, à son pas d’autres pas répondaient. Il s’arrêta. Tout se tut.

–Folie! murmura-t-il, je suis bien seul et n’ai rien à redouter.

Le même bruit se reproduisant, il crut à un effet d’écho. Il n’y prit plus garde.

Et pourtant c’était bien un homme qui courait derrière lui.

Lazare qui, après son rapide entretien avec Diane, était descendu tout droit vers la Marne, avait, on le sait, détaché le premier canot qui s’était présenté à lui et avait abordé.

Là, anxieux, attentif, il s’était dissimulé derrière un pli de terrain, et il avait attendu. Jacques devait passer là: ce n’était point douteux.

Diane ne l’avait-elle pas exactement renseigné sur le lieu où était caché l’enfant?

Cependant il tardait bien à paraître.

Lazare était bien certain qu’il n’avait pas pris le même chemin que lui, puisqu’il n’avait pas rencontré le père Ambroise: il fallait patienter.

Enfin il entendit le bruit monotone d’un pas qui se hâtait.

C’était Jacques:

Et alors la poursuite commença. Lazare s’efforçait d’étouffer le bruit de ses pas. Il y parvenait mal, mais on sait que Jacques ne se préoccupait plus du bruit entendu.

Il venait de prendre à travers champs un sentier qui le conduisait droit à Noisy-le-Grand.

Cette fois, il connaissait si bien sa route qu’il ne craignait plus de s’égarer.

Lazare–plus prudent maintenant–marchait-pieds nus.

Que voulait-il donc? Avait-il reçu mission de frapper Jacques?

Mais alors, pourquoi hésiter, attendre? Est-ce que ce lieu, n’était pas plus propice que tout autre pour un assassinat?.

Sans doute, il n’était pas temps encore.

Jacques parvint au village.

Là, à travers l’ombre, il vit la silhouette blanchâtre du clocher.

Derrière l’abside, un sentier contournait le village, se rapprochant de la rivière.

La demeure vers laquelle il se rendait se trouvait sur le bord d’une sorte de marais de joncs.

Site admirable de solitude, ainsi qu’on en voit jusqu’à Gournay.

C’était juste en face de l’écluse.

Jacques se dirigea droit vers une petite maison, à– rez-de-chaussée seulement, sorte de masure faite de moellons et de bois.

Puis il s’arrêta devant la porte.

Le cœur lui battait bien fort. Il redoutait un nouveau malheur.

Mais avec un geste de résolution, il frappa.

Doucement d’abord. Il savait que l’enfant était là. Il dormait sans doute. Il avait peur de l’éveiller brusquement.

Pas de lumière à l’intérieur. La pluie claquait sur le toit.

On n’entendit pas tout d’abord. Il dut heurter une seconde fois, disant:

–Ouvrez, mère Mathurine, c’est moi. Jacques.

Certes, la pauvre femme à laquelle il s’adressait’ devait avoir grand’peur.

N’était-ce point quelque rôdeur de nuit qui frappait? Et elle était seule avec les deux enfants, le sien et Diane, son mari, ouvrier de l’écluse, y ayant été retenu pendant la nuit.

Mais ayant sans doute reconnu la voix qui l’appelait, elle se leva et s’approcha de la porte.

Là, elle questionna, s’efforçant d’affermir sa voix.

Jacques répéta son nom.

Alors, rassurée, ayant allumé une chandelle, elle fit jouer la barre de bois qui barricadait la porte.

Jacques s’élança à l’intérieur.

–Diane est là? s’écria-t-il.

–Si elle est là! je le crois bien. Cher petit ange, voyez, elle dort de toute sa force.

Disant .cela, elle approchait la lumière d’un petit berceau: du drap bien blanc émergeait une tête gracieuse et charmante, embéguinée d’un bonnet à rubans bleus d’où s’échappaient de mutines mèches blondes.

Elle était bien jolie, la petite Diane, et bonne dormeuse aussi; car, de ses petits poings fermés, elle pressait ses yeux comme si elle eût voulu les clore plus solidement.

–Mère Mathurine, lui dit Jacques, ne craignez rien et ne vous étonnez point de ce que je vais vous dire. Je viens chercher Diane, je l’emporte!.

La femme recula en laissant échapper un cri de surprise, effrayée.

–Me reprendre Dianette, mon bon monsieur! Oh! vous voulez rire, bien sûr! Vous ne ferez pas cela, moi qui l’aime tant!

–Mère Mathurine, interrompit Jacques. Je suis forcé d’agirpar des motifs graves et que je ne puis vous expliquer. Je sais combien vous êtes bonne, quel dévouement vous avez témoigné à ma chère petite Diane. Je sais aussi que je vous fais de la peine; mais je ne puis vous laisser l’enfant plus longtemps.

La nourrice était tombée sur une chaise et pleurait.

Emu de la douleur muette de la pauvre Mathurine, il s’était penché vers elle et lui avait pris la main.

–J’ai encore un grand service à vous demander, lui dit-il à voix basse.

–Oh! vous savez bien que vous pouvez compter sur moi.

–Voici. Il se peut que demain, dans quelques jours, on vienne à vous. Qui? Je ne le sais pas. Mais qui que ce soit qui vous interroge, tenez-vous en défiance. On vous dira que vous avez reçu un enfant… Ceci, vous ne pouvez pas le nier, puisque vos voisins vous ont vu avec elle. Mais ce qu’on vous demandera, c’est le nom de celui qui vous l’avait confié. Ceci, je vous supplie de ne pas le dire.

La pauvre femme se laissa facilement convaincre.

Elle promit, elle jura le silence. Elle remit à Jacques la pièce officielle qui portait d’ailleurs l’inscription ordinaire:

Née de père et mère inconnus.

Puis, pleurant toujours, elle enveloppa la petite encore endormie dans un manteau bien chaud, murmurant:

–Chère mignonne, je ne pensais pas qu’on dût si tôt nous séparer!. et un temps pareil!. elle sera malade! ajoutait-elle en écoutant la pluie qui tombait touj ours.

Jacques, impatient, envahi par une inquiétude grandissante, l’invitait à se hâter.

Enfin, l’enfant qui ne s’était pas éveillée fut placée sur ses bras.

La mère Mathurine l’embrassa encore une fois, mettant tout son bon cœur dans ce baiser.

Puis elle ouvrit la porte… et Jacques sortit.

C’était le moment où la rafale se déchaînait plus violente.

Jacques hésita un instant. N’était-ce point risquer la vie de l’enfant que de l’exposer à cette tempête. Mais il le fallait! Ici, il lui semblait qu’à tout instant le danger allait surgir…

D’ailleurs il était décidé maintenant. Il irait chez le père Ambroise. Là, jusqu’au lendemain, l’enfant serait réchauffée, soignée. Neigette la bercerait.

Il reprit rapidement le chemin de la berge…

A travers la buée de pluie, il aperçut la lumière qui brillait à la maison du passeur, et de loin il lança dans l’air le cri d’appel:

–Passeur! père Ambroise!

Mais, à ce moment, il lui sembla que le ciel s’écroulait sur sa tête.

Un coup lourd, mat, écrasant, s’était abattu sur son crâne…

Et il tomba, sans un cri, sans un râle…

Lazare se pencha vers lui, saisit l’enfant, qu’il enveloppa dans son manteau.

–Allons! murmura-t-il, ma Diane n’a rien à craindrè. Tué le loup, le louveteau n’est pas à redouter.

Et il s’élança dans la nuit, où il disparut.

Le père Ambroise appelait toujours, courant à travers les ténèbres, affolé.

Tout à coup son pied heurta un corps étendu.

Le vieillard s’agenouilla, et, haletant, épouvanté, promena ses mains sur la poitrine, sur le visage.

Oh! il n’hésita pas! il ne douta pas!

Jacques! c’était Jacques! et le malheureux sentait à ses mains la sensation du sang chaud.

Il ne cria pas, il ne chancela pas…

Si on avait pu le voir dans la nuit, on eût été épouvanté de sa pâleur.

Mais, robuste, réunissant, dans un effort suprême, toutes ses énergies, il saisit le jeune homme à bras-le-corps et le chargea sur ses épaules.

L’ouragan faisait rage, comme s’il eût voulu le renverser.

Lui, ferme, droit, marcha, sans faiblir, sur la déclivité glissante de la berge.

Il atteignit le bachot, et là, restant debout, ayant le corps lourd qui lui faisait plier les reins, il dirigea le bateau avec une seule rame…

Il atteignit la rive.

Neigette l’attendait. Il passa devant elle, courant.

Puis étant parvenu à sa cabane, il déposa le corps sur le sol, et, de haut, ayant rempli sa tâche, mais ne pouvant plus résister, il tomba sur le plancher les bras en avant, criant:

–Mon fils! mon enfant! on me l’a tué!…

Braco hurlait sinistrement.

–Eh bien, Lazare?

–J’ai obéi…

–Jacques?

–Est mort!

–L’enfant?

–Jamais il ne reparaîtra…

–C’est bien.

Et la belle Diane, la virginale créature, s’approcha d’une table et écrivit:

«Monsieur le marquis,

Je suis prête à vous obéir; dites à M. de Planay que vous tiendrez votre parole.»

Elle sonna; un laquais parut.

–Portez ce billet à mon père, dit-elle.

Et se tournant vers Lazare, elle lui tendit la main en lui disant: Merci!

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

La haute canaille

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