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I
LE MESSAGER

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Table des matières

Les bords de la Marne.–célébrés par les canotiers et les amateurs de solitude–n’ont certes rien à envier à ceux de la Seine. Et cependant combien ils sont moins connus! Les compagnies de chemin de fer ont dédaigné ses méandres–peut-être trop fertiles en travaux d’art nécessaires. Les trains traversent la rivière ici et là; mais pour atteindre la Marne, le Parisien doit prendre tantôt cette gare, tantôt cette autre.

On dirait que c’est par hasard qu’on la rencontre, et les lignes ferrées ont hâte de la quitter.

Aussi est-elle recherchée par tous ceux qui ont horreur du faux parisianisme d’Asnières, des matelotes frelatées d’Argenteuil, des mirlitonades de Saint-Cloud.

Par exemple, entre Nogent-sur-Marne en aval, et Gournay en amont, pas un panache de fume ne vient mêler ses vapeurs aux nuages du ciel; pas un coup de sifflet, déchirant les poumons de la locomotive, ne vient jeter sa note discordante à travers les chants des oiseaux. A quelques lieues de Paris, c’est la campagne, la vraie, avec ses grandes placidités de l’aurore et du crépuscule, avec ses murmures reposants, avec ses larges espaces de terre et de ciel.

Entre Neuilly–où se trouvent la jetée du canal et l’écluse–et Nogent, les deux rives, solitaires, encadrées, à gauche par des bouquets d’arbres séculaires, à droite par un coteau verdoyant, ont un cachet tout spécial de calme méditatif qui donnait un charme singulier à certain soir de novembre186., à l’heure où commence ce récit.

Il était environ six heures et demie.

La journée avait été claire, si bien que le crépuscule blanchissait encore de ces lueurs qui font au front de l’automne une couronne de clarté aurorale.

De Gournay à Nogent, le calme le plus profond régnait.

Le chemin de halage se déroulait, blanc et sinueux, comme un ruban d’argent courant à travers les dernières verdures des rives.

Et à quelque point qu’on regardât, pas un être vivant ne paraissait. Sur la rivière pas un chaland, sur la berge pas un cheval au pas lourd, tirant à poitrail tendu le long cordage du halage.

Cependant, tout à coup, non loin de l’écluse de Neuilly, dans l’axe du clocher roman, un point noir apparut sur la rive.

Cela était petit, mais allait vite, vite, sans hésitation, évidemment vers un but connu et pressé.

Mais, à tout dire, cela n’était ni un touriste en rupture de ban parisien, ni un artiste jaloux de saisir sur le vif un effet crépusculaire, ni un amoureux rêvant aux premières étoiles qui commençaient à scintiller.

Pour ne faire point languir plus longtemps nos lecteurs, disons-leur que ce passant, cet impatient, ce hâtif se pressait de ses quatre pattes noires, à bouts blancs, et que, pour gouvernail, il avait en poupe un superbe panache noir qu’il agitait avec énergie, comme pour se lancer en avant en s’appuyant sur l’air ambiant.

C’était un chien.

A quelle race appartenait-il? voilà ce que les érudits amateurs de cynégétique eussent été impuissants à décider d’un seul coup.

On connaît la légende de l’animal né de l’union incestueuse d’une carpe et d’un lapin. Celui-ci avait la tête de l’épagneul, le corps du chien de montagne, les pattes du terre-neuve; ce qui prouvait une série génératrice des plus bizarres.

Mais la tête était grosse et les dents solides.

Les pattes, vigoureuses, battaient la terre avec des «plouf!» sonores.

Tout cela était musclé, bâti–comme on dit–à chaux et à sable.

Or, la bête–que nul conducteur n’accompagnait –et qui pourtant n’avait rien à redouter de l’autorité publique, le collier qu’elle portait au cou prouvant qu’elle n’était pas en état de vagabondage, arpentait rapidement le terrain.

Il est telle allure qui prouve que l’on vient de quelque part et qu’on va quelque part. Ce n’est pas celle du flâneur, ce n’est pas celle du fuyard.

Notre chien–en animal soucieux sans doute de remplir une mission de confiance–ne se fût pas arrêté, fût-ce même pour ramasser un empire–ou un os. Les quelques tas d’ordures gisants sur la berge le laissaient indifférent: les odeurs di femina qui traînaient sur la route titillaient en vain ses nerfs olfactifs, et pas un instant il n’avait stoppé, pour lever une patte confraternelle sur les traces laissées au chemin.

C’était un beau chien, et pour-savoir s’il était bon, il eût suffi de regarder ses yeux, ronds, noirs, clairs, profonds; c’était, à n’en pas douter, la bête intelligente et fidèle, dévouée à l’ami, dangereuse à l’ennemi.

Ce n’était point sans doute la première fois qu’il suivait cette route, vers le même but déterminé d’avance. Devant les sentiers de traverse, il passait sans tourner la tête, allant de son pas régulier, la gueule légèrement entr’ouverte et laissant apercevoir un magnifique chiffon rouge, peut-être un peu desséché par la marche, mais qu’il ne songeait pas à aller humecter dans la Marne, tant il avait hâte probablement d’arriver là où évidemment quelqu’un–ayant autorité sur lui–l’avait envoyé.

Tout à coup, il dressa les oreilles.

A quelque distance, sur le côté de la route, il avait entendu des pas.

Le chien, qui est fin, se défie de tout inconnu.

Pourtant, il eût dû vite se rassurer, car celui qui marchait s’étant avancé sur le chemin, à une vingtaine de pas en avant, s’était courbé, et frappant du plat de sa main sur son genou:

–Viens, mon bon chien, disait-il, viens là, ma belle bête!

Cet aimable personnage barrait la route; sans doute il lui tenait fortement à cœur de caresser l’animal qui, de son côté, semblait fort peu se soucier de ces amabilités de grand chemin.

Le chien avait obliqué à droite, décidé à passer par le grand tour.

Mais il paraît que l’inconnu s’était promis de ne se point coucher sans avoir flatté un chien de la main, car il obliqua à son tour et se retrouva sur la ligne de marche de l’animal, répétant:

–Viens. Oh! le beau chien! Tiens, du sucre.

De fait, ce dernier mot ne constituait pas un mensonge, car quelque chose de blanc brilla dans la main ouverte de l’inconnu.

Mais le chien–aussi fort qu’Hippocrate qui, d’après une gravure connue, a refusé les présents d’Artaxerxès–fit de nouveau demi-tour et trotta vers la gauche.

Un juron mal étouffé s’échappa des lèvres de l’homme, qui eut un geste d’impatience et lança le sucre au-devant du chien.

La bête ne baissa même pas le nez, se détourna par respect pour cette friandise, qu’il ne voulait pas fouler aux pattes, mais, esclave d’un devoir encore inexpliqué, passa.

–Damné animal! articula clairement l’inconnu.

Cette fois, il marcha résolument vers la bête, qui ne l’avait pas encore dépassé.

Cet homme était trapu; son cou, enfoncé dans des épaules carrées, disparaissait sous une épaisse barbe noire, hirsute, qui, se confondant avec ses moustaches, complétait un système pileux, envahissant la face presque jusqu’aux sourcils.

L’ensemble de la physionomie était dur; les yeux, enfoncés dans leurs orbites, avaient des lueurs méchantes.

Les animaux ont un instinct admirable. L’homme était suspect à la bête. Ses avances non justifiées avaient éveillé ses soupçons.

Ce personnage, vêtu d’une sorte de veston épais, chaussé de solides souliers ferrés, portant un gourdin d’aspect formidable, ne lui disait rien qui vaille.

Aussi, las de louvoyer, et devinant que ces préli minaires devaient aboutir à des pourparlers définitifs, le chien s’arrêta, s’arc-bouta sur ses pattes de derrière, et soulevant ses bajoues, montra des crocs d’un blanc. éclatant, devant lesquels se fût déclaré vaincu d’avance l’os le plus récalcitrant.

L’homme fit un pas en avant, la main étendue, dans une dernière tentative de conciliation.

Le chien gronda nettement, franchement, disant dans son langage:

–Place… ou je mords…

Le rauquement fut même si facile à interpréter, que l’inconnu leva son bâton, mais sans plus avancer.

Ils étaient là, l’un en face de l’autre, décidés cependant à ne se pas céder la place. Quel serait le plus patient?

Le chien se décida le premier.

Et, la gueule ouverte, accentuant le grondement qui tonitruait entre ses maxillaires, il alla droit vers l’homme. Mais au moment où le chien, par un brusque mouvement, tenta de s’échapper par la tangente, l’homme tira vivement un revolver de sa poitrine et le dirigea vers l’animal.

Il y eut une détonation. puis un hurlement de douleur.

Le chien, frappé à la tête, semblait foudroyé… il gisait sur le sol.

L’autre–c’est-à-dire la vraie brute–tournait autour de l’animal, ayant peur qu’en une convulsion suprême, il ne punît son meurtrier.

Mais non! la pauvre bête ne bougeait plus.

L’assassin,–n’était-ce pas un meurtre que ce misérable venait de commettre?–s’agenouilla, et de sa main, qui hésitait encore, toucha le collier du chien.

–Oui, murmura-t-il, je ne m’étais pas trompé.

Et il brandit avec un geste de triomphe un billet qu’il venait de retirer d’une cachette ménagée dans le collier.

–Enfin, je le tiens! Allons, s’écria-t-il, maintenant, je saurai bien la défendre. et contre elle-même, s’il le faut!

Par une dernière férocité de gredin, il lança un coup de pied dans les flancs de l’animal immobile, et s’élança vers Bellevue, le faubourg de Nogent qui domine la Marne et dont la côte est occupée par d’admirables et vastes propriétés.

Le chien n’avait pas rempli sa mission.

La haute canaille

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