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V
LA PIÈCE D’OR

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Table des matières

Diane s’était retournée–non pas brusquement comme une petite maîtresse affolée qui croit aux revenants–mais lentement, en femme maîtresse d’elle-même, prête à tout. Cette blonde avait d’incroyables énergies.

Et elle vit debout, devant elle, un homme court, vigoureux, trapu, au visage poilu, qui, un chapeau rond sur la tête, la regardait de ses yeux noirs et profonds dont l’éclat dur semblait se fondre dans je ne sais quelle émotion indéfinissable.

Il l’avait touchée, puis il avait brusquement écarté sa main comme s’il eût craint d’avoir commis un sacrilège.

Et les yeux fixés sur ceux de Diane, il courbait les épaules, on eût dit qu’il était prêt à s’agenouiller.

Fière, ayant la coquetterie de son audace, Diane se leva, donna une légère chiquenaude à la place de son vêtement sur laquelle s’étaient posés les doigts de l’inconnu,–c’est-à-dire de l’homme de la berge,–et d’un pas ferme, elle alla vers la cheminée.

Là, elle étendit la main vers la sonnette.

Elle n’avait prononcé un seul mot. Elle ne s’abaissait pas à interroger, à discuter. Elle chassait.

Lui eut une sorte de soupir rauque et dit:

–Par grâce, ne sonnez pas; ne me renvoyez pas. Vous avez besoin d’un serviteur fidèle, d’un esclave, d’un chien. Je suis ce serviteur, cet esclave, ce chien.

Et, achevantle mouvement commencé tout à l’heure, il s’était plié jusqu’au sol sur lequel il avait posé le genou.

Elle, curieusement, le regardait. Elle ne sonnait pas.

Seulement elle ne parlait pas encore. Ce fut lui qui reprit:

–Vous ne me connaissez pas. Du moins est-ce que vous pouvez me reconnaître? Vous ne m’avez jamais regardé. Et puis vous étiez si petite!

Il disait cela d’une voix douce, presque dolente. Il y avait de profondes douleurs dans l’accent de cet homme, un méchant cependant, puisque tout à l’heure, il avait frappé le pauvre Braco.

Elle fit un pas vers lui, et, de la main, lui releva le visage, le regardant attentivement.

–Lazare! dit-elle enfin.

Il baissa la tête et dit:

–Oui, Lazare.

Elle eut un sourire d’indescriptible dédain:

–Lazare le cocher, n’est-ce pas?

–Oui, fit-il, Lazare le laquais, le palefrenier, Lazare le misérable!…

–L’homme que mon père a chassé il y a dix ans…

–Chassé… Oui! Cela ne fait rien, vous m’avez reconnu! Ah.! si vous saviez!…

Il s’interrompit.

Elle, ne craignant plus rien, maintenant que l’homme n’était plus un inconnu, dit en ricanant:

–Quittez donc cette posture de suppliant! Sans doute vous voulez qu’on oublie vos torts… Vous venez implorer votre pardon! Ceci ne me regarde pas.., Adressez-vous au marquis, à mon père…

–Moi! supplier cet homme! cria Lazare malgré lui.

Puis, comprenant qu’il n’avait pas le droit d’élever la voix:

–Il y a dix ans que le marquis, votre père, m’a chassé… Jamais il ne m’a revu… Jamais je ne lui parlerai… jamais du moins en suppliant…

–Assez! interrompit Diane. Si vous avez quelque chose à me dire, faites vite, je vous ai déjà trop écouté… et je m’étonne de n’avoir pas encore châtié votre audace… je n’ai pas pour habitude de donner audience à des voleurs…

–A des voleurs? Ne dites pas cela! C’est une calomnie infâme!

Il se redressa, et son visage s’éclaira d’une lueur furieuse:

–Ah! il a dit cela! monsieur le marquis. Eh bien! mademoiselle Diane, tout marquis qu’est cet homme, je dis, moi, Lazare, le cocher, je dis qu’il en a menti…

–Ah! c’en est trop!… Sortez!…

–Non! je vous supplie… écoulez-moi!… il faut que vous sachiez que c’est une infamie!. Avoir dit que j’étais un voleur!.. oh! le bandit!…

En dépit de son orgueil, Diane éprouvait une singulière impression. Elle se trouvait dans une surexcitation d’esprit qui lui donnait une sorte de fièvre. Et puis elle haïssait son père. il lui plaisait de l’entendre insulter…

Lazare continuait:

–Oui, il faut que vous sachiez la vérité… Vous surtout… Vous plus que tout autre… Ne vous souvenez-vous pas qu’une fois, il y a dix ans, l’homme auquel vous donnez le nom de père voulut vous contraindre à prendre part à une représentation théâtrale.. je ne sais où, à la cour, je crois…

–Oui, je me souviens, murmura Diane.

–Vous refusiez d’y aller… je n’ai jamais su pourquoi au juste. On disait, parmi les gens, que vous deviez représenter un personnage de la Fable. Cupidon, je crois.… et qu’on voulait vous contraindre à mettre un costume… indécent.

–Oui, oui…, c’est bien cela!

–Alors, comme vous vous entêtiez à refuser, votre père a voulu vous y forcer… il vous a saisi les mains dans un accès de colère. il vous a tordu le poignet…

–Comment savez-vous cela? s’écria Diane. J’étais seule avec mon père.

–Comment! balbutia Lazare. Par hasard! admettons que ce soit par hasard… mais je vous avais vue pâlir… j’avais entendu votre cri d’angoisse… Alors je me postai à la porte par laquelle votre père allait sortir.… et dès qu’il parut, j’allai droit à lui, moi, le laquais… et…

–Eh bien!

–Eh bien! le marquis, je l’ai souffleté… alors il m’a chassé! et il a osé dire que j’étais un voleur! je le répète! il en a menti!

Diane le considérait attentivement. Cet homme l’étonnait et l’intéressait à la fois. C’était un esprit singulièrement dévoyé que celui de cette jeune fille, bizarre produit de la civilisation impériale. Elle avait le goût de l’étrange. L’excentrique avait pour elle une bizarre saveur.

Ce valet, qui disait avoir souffleté le haut et puissant marquis d’Airvault, Mercure de l’empereur, lui semblait un être intéressant. Elle l’écoutait et presque lui souriait.

Peut-être ne le croyait-elle pas complétement: mais la hardiesse même du mensonge lui plaisait. Dire qu’on avait porté la main sur le marquis, c’était déjà de l’audace et de la meilleure.

Lui, toujours incliné devant elle, continuait:

–Croyez-moi, mademoiselle Diane. Car c’est bien la vérité. Si je vous dis cela, ce n’est pas pour que vous plaidiez ma cause. Oh non! Ce que j’ai fait, je ne le regrette pas. Je le referais encore. Mais je ne veux pas que vous voyiez en moi un voleur.

–Après tout, que m’importe! dit Diane qui reprenait son sang-froid. Tout cela m’est indifférent: seulement il vous reste à m’expliquer ce que vous êtes venu faire ici, et pourquoi vous osez vous présenter devant moi…

–Pourquoi? fit Lazare. Mademoiselle, je vous en supplie, ayez pour quelques instants confiance en moi.

–Que voulez-vous dire?

–Que j’ai besoin de vous parler, à vous, à vous seule et en secret.., fermez les portes pour qu’on ne nous surprenne pas…

–Je refuse, dit nettement la jeune fille. Si vous avez quelque requête à m’adresser, parlez. Que m’importe que d’autres vous entendent…

Il eut un mouvement d’impatience aussitôt réprimé.

–Vous croyez que cela ne vous importe pas, je crois qu’il faut vous prouver que je mérite cette confiance. mademoiselle, est-ce que. votre mère. avant de mourir, ne vous a rien dit…

–A moi!. en vérité, je crois que vous êtes fou et que.

–Est-ce que votre mère, avant de mourir, ne vous a pas remis un objet brisé en deux, en vous disant que si quelque jour dans une heure de danger, quelqu’un venait à vous en vous présentant l’autre moitié de cet objet, vous devriez avoir confiance en celui qui viendrait

Diane avait tressailli.

Ce que disait cet homme était vrai. Certes, jamais la belle marquise d’Airvault, tout à sa gloire de Rose-Cuisse, n’avait témoigné à sa fille un intérêt bien maternel. Elle avait bien trop à s’occuper de ses costumes, de ses épaules et de son maquillage!

Mais à l’heure de sa mort, elle avait appelé Diane auprès de son lit, elle l’avait longuement regardée comme si cette mère n’avait jamais vu son enfant.

Puis, elle lui avait dit:

–Mon enfant, je ne sais ce que l’avenir te réserve… mais je prévois des douleurs, des dangers. Eh bien!… écoute-moi… en cas d’extrême péril, si tu te sentais menacée par quelqu’un, par un ennemi… quel qu’il fût… je crois qu’un défenseur viendra à toi… confie-toi à lui.

Et elle lui avait remis le signe de reconnaissance…

Lazare ayant plongé sa main dans sa poitrine en avait retiré la moitié de la pièce qu’il lui présentait.

Elle la saisit brusquement et l’approcha de la lampe pour la mieux regarder.

Puis elle courut à un petit meuble qu’elle ouvrit violemment. Elle bouleversa des papiers, cherchant. Et quand elle eut trouvé, elle vit que les deux parties de la pièce s’adaptaient exactement…

Ainsi l’homme dont on lui avait parlé–ce sauveur qui devait surgir tout à coup sans qu’elle l’appelât…

C’était ce Lazare, ce laquais…

C’était l’homme qui disait avoir frappé le marquis d’Airvault parce qu’il avait failli lui briser le poignet…

Qui était-il donc? Quel lien mystérieux la rattachait à lui?…

Résolument elle alla aux portes et poussa les verrous, puis revenant:

–Parlez, dit-elle, je vous écoute.

La haute canaille

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