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CHAPITRE Ier.

Table des matières

L’IMPRIMERIE A ÉTÉ INTRODUITE EN FRANCE PAR UN SAVOYARD.

J’ai dit que j’allais entreprendre la réhabilitation de ma patrie! Ce mot de réhabilitation, appliqué à un peuple, paraît assez étrange, car on a peine à croire qu’une nation soit forcée de chanter ses propres louanges et de crier à l’univers les services qu’elle a rendus à l’humanité. Il semble tout d’abord que le principe de justice que l’on ne cesse d’invoquer à tout propos, d’un bout du monde à l’autre, doive suffire, si ce n’est à satisfaire, du moins à ménager le légitime amour-propre de celui qui a la pleine conscience d’avoir accompli tous ses devoirs; mais il n’en est rien.

La Savoie, je ne cesserai de le répéter, a tout fait pour mériter l’estime des autres nations: elle a fourni ses savants, ses littérateurs et ses guerriers; elle a semé abondamment dans le champ de la science, comme elle a arrosé de son sang les champs de bataille; mais elle n’a rien moissonné ; elle est restée Savoie comme devant et toujours marquée du stigmate de la nullité ! La justice n’est donc pas faite pour tous les peuples!

Et cependant, quelle vengeance il nous est donné d’exercer aujourd’hui envers les ingrats! Vengeance noble, calme, et propre à l’homme fort de son droit: nous n’avons qu’à rappeler nos œuvres et, de gré ou de force, le monde reconnaîtra nos mérites, et nos détracteurs seront désarmés.

Pour commencer, nous pouvons dire avec fierté qu’un enfant de la Savoie se trouva mêlé aux événements qui accompagnèrent l’introduction en France de l’art qui a renouvelé le monde, de l’art qui a ouvert à tous le temple sacré de la science, de l’art qui a fécondé le germe de la civilisation moderne: je veux parler de l’imprimerie.

Combien en France, et même en Savoie, savent aujourd’hui que l’invention de l’immortel Gutenberg a eu pour parrain, dans la capitale du monde civilisé, un enfant obscur du Petit-Bornand? Bien peu sans doute, quoique toutes les biographies générales parlent de Guillaume Fichet!

Guillaume Fichet naquit dans la première moitié du XVe siècle, au village du Crêt; il appartenait à une famille aisée qui fournit à la Savoie plusieurs magistrats. Il fit ses premières études au collège de La Roche et alla ensuite à Paris, où il fut reçu docteur de Sorbonne. Pendant vingt ans il enseigna les humanités, la rhétorique, la philosophie et la théologie dans l’Université dont il fut nommé recteur en 1467, «année, dit Grillet, où ayant assemblé toutes les «Facultés en présence de Louis XI, qui voulait faire «prendre les armes aux écoliers, pendant la guerre du «Bien public, il prononça un discours si énergique con- «tre ce projet, que le roi se laissa persuader, sans jamais «lui en témoigner aucun ressentiment.» Mais tous ces

succès, à nos yeux, ne sauraient rien être en comparaison de la gloire immense qui était réservée à notre compatriote. Dans le milieu du XVe siècle, Gutenberg, citoyen de la ville de Mayence, avait conçu l’idée de sculpter des lettres pour imprimer, et s’était associé avec deux hommes de la même ville, Schœffer et Faust, afin de perfectionner sa découverte. En 1450, ces immortels ouvriers de la pensée avaient édité un vocabulaire latin intitulé : Catholicon, dont chaque page était Sculptée sur bois; puis, pour remédier à la perte de temps qu’occasionnait ce système, ils avaient successivement fabriqué des lettres de bois mobiles et des lettres de métal avec lesquelles ils avaient édité, à dater de 1457, entre autres ouvrages, un Psautier latin et une Bible, imprimés en deux couleurs, rouge et noire.

En 1469 environ, un marchand, du nom de Fust, apporta à Paris des exemplaires de ce Psautier et de cette Bible, et les fit passer pour des copies exécutées sans fautes. Tout ce que Paris comptait de clercs, de copistes et autres gens de plume, s’émut de ces prétendues copies d’un nouveau genre; les commentaires allèrent leur train, si bien que l’on finit par déclarer hautement que les marchandises de Fust sortaient des mains de Belzébuth, argument qui, à cette époque, était l’ultima ratio des adversaires de toute découverte un peu extraordinaire.

Le malheureux Fust, emprisonné et traduit devant le Parlement, eut beau avouer sa supercherie, rien ne put l’excuser aux yeux des graves et doctes magistrats, qui reconnurent et déclarèrent avec un sérieux incroyable que les lettres rouges du Psautier et de la Bible avaient été écrites avec du sang d’enfants chrétiens! Condamné à être brûlé vif, Fust allait monter sur le bûcher; martyr de la science sans le vouloir, il allait payer de sa vie la gloire d’avoir introduit en France le premier livre imprimé ! La découverte qui devait rendre de si grands services à l’humanité se voyait près d’être forcée de recevoir le baptême du sang pour pénétrer dans un des pays qui devaient le plus la mettre à profit. Mais heureusement Louis XI apprit la comédie ridicule qui s’était jouée devant le Parlement, et, sans hésiter, il cassa l’arrêt per absurdum; Fust sortit de prison et ses livres lui furent payés. Bien plus, le roi déclara aux docteurs de la Sorbonne que son intention formelle était d’avoir une imprimerie à Paris.

La demande de Louis XI fut un coup de foudre pour la docte compagnie. Il me semble voir tous ces gros bonnets de la science de l’époque se signer d’épouvante, à l’idée qu’il leur fallait devenir les complices d’un commerce avec le diable pour faire exécuter des copies de la Bible, si toutefois ils croyaient sérieusement à toutes ces sornettes. Quoi qu’il en soit, ce qu’il y a de certain, ce qu’il y a de bien constaté par tous les auteurs qui ont écrit sur ce sujet, c’est que les docteurs français déclinèrent toute responsabilité ; deux de leurs collègues étrangers, Guillaume Fichet, du Petit-Bornand, et Von Stein, Suisse, eurent seuls le courage de tenter l’entreprise.

Les deux audacieux docteurs appelèrent à Paris trois élèves de Schœffer: Ulric Gering, Martin Crantz et Michel Friburger. Ces trois ouvriers imprimeurs arrivèrent à Paris en 1470, et on leur donna une des salles de la Sorbonne où ils placèrent leur machine diabolique, au grand scandale des docteurs. Le premier ouvrage qu’ils imprimèrent fut le traité de rhétorique de Fichet, en 1471, ouvrage excessivement rare et peut-être impossible à trouver aujourd’hui ; il est intitulé : Guillelmi Ficheti Alnetani , artium et theologiæ doctoris, Rhetoricorum libri III; accidit ejusdem Ficheti panegyricus a Roberto Gaguino versibus compositus. In parisiorum Sorbona, per Ulricum Gering, Martinum Crantz, et Michaelem Friburger, anno 1471.

G. Fichet publia ensuite, en 1473, un autre ouvrage intitulé : Epistolæ Gasparini Pergamensis, qu’il dédia à son complice Von Stein.

Et ce n’est pas sans intention que je viens d’écrire le mot de complice, car Fichet et Von Stein (en français, de la Pierre), bien qu’ils eussent réussi dans leur entreprise, n’en continuèrent pas moins à être considérés comme de vrais coupables par leurs savante confrères, dont quelques-uns prévoyaient et redoutaient peut-être la transformation que la nouvelle découverte allait faire subir à la société : au reste, les docteurs de toute sorte n’ont jamais vu avec plaisir qu’on divulguât leur science. Notre pauvre Savoyard et le Suisse son ami eurent donc à subir mille tracasseries; on ne leur laissa pas un instant de repos, de telle sorte qu’ils finirent par quitter la Sorbonne. Crantz, Gering et Friburger, chassés de leur atelier, allèrent s’établir rue Saint-Jacques, près de l’église de Saint-Benoît, à l’enseigne du Soleil d’Or. Fichet se réfugia à Rome, où il fut nommé camérier secret du Pape Sixte IV.

Ainsi et pour me résumer, c’est par un Savoyard que la machine civilisatrice la plus puissante a été introduite en France; c’est un Savoyard qui a mis dans les mains de la plus grande des nations ce levier d’Archimède avec lequel elle a soulevé le monde; et qui plus est, ce même Savoyard s’est servi le premier de ce levier!

Guillaume Fichet est donc bien l’une des plus grandes gloires de la Savoie; aux yeux de la France et même du monde entier il a droit à l’immortalité, et si on la lui refuse, c’est à nous, c’est à son pays qu’il a honoré de la lui faire accorder.

Il nous a laissé un héritage trop précieux pour que nous ne nous souciions pas de le recueillir.

Les Gloires de la Savoie

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