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CHAPITRE II.

Table des matières

LA PREMIÈRE ACADÉMIE FRANÇAISE A ÉTÉ FONDÉE EN SAVOIE .

En 1606, deux hommes déjà illustres habitaient Annecy; ils se nommaient François de Sales et Antoine Favre.

Le premier, évêque de Genève et écrivain de granb talent, avait été avocat au Sénat de Savoie en 1592; ayant abandonné le barreau pour embrasser la carrière ecclésiastique qui était plus en harmonie avec ses tendances essentiellement religieuses, il était arrivé au siège épiscopal de Genève en 1602; il jouissait d’une grande renommée en France, grâce à son éloquence, et il avait prononcé devant Henri IV l’oraison funèbre de Philippe de Lorraine, dernier rejeton de la branche des ducs de Mercœur; malgré les efforts du roi de France pour le retenir auprès de lui, François de Sales n’avait pu se séparer de sa bonne ville d’Annecy, où il devait écrire sa célèbre Introduction à la vie dévote.

Antoine Favre, président du conseil de Genevois, était le jurisconsulte le plus savant de son époque; à vingt-trois ans il avait publié son livre des Conjectures qui fit dire à Cujas: «Ce jeune homme a du sang aux ongles; «s’il vit âge d’homme, il fera bien du bruit!» A trente ans il avait été nommé sénateur par le duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier, et à l’époque dont nous parlons, il venait de publier son fameux Code fabrien. Ses publications savantes attiraient l’attention de tous les jurisconsultes de l’Europe, qui ne dédaignaient pas de le consulter, et elles jetaient un grand lustre sur la magistrature savoyarde déjà si renommée.

Hommes de science, bien plus, hommes de génie tous deux, François de Sales et Antoine Favre étaient faits pour s’entendre; du reste, ils devaient céder, malgré eux, à cet attrait irrésistible qu’éprouvent l’un pour l’autre deux esprits d’élite. Vivant de la même vie, aimant à un degré égal l’étude du beau et du vrai, cherchant à élever leurs pensées en fouillant avec une ardeur qui tenait de la passion cette nature qui ne peut qu’engendrer de nobles actions lorsqu’on sait découvrir et comprendre tout ce qu’elle renferme de sublime, les deux illustres amis se trouvèrent tout naturellement les protecteurs de la science dans la petite cité d’Annecy.

Pour eux, la science n’était pas cet épouvantail que certaines gens, aux principes faussés, emploient pour effrayer les simples; elle n’était pas à leurs yeux l’arbre du mal dont les fruits trompeurs cachent un poison mortel. Ils considéraient la science comme la véritable source du bien, comme l’appui le plus ferme de la foi, mais de la foi vraie, telle que la possèdent les intelligences élevées; ils pensaient avec raison que l’homme qui étudie et apprend à connaître les secrets innombrables que recèle la nature, ne peut s’empêcher de se rapprocher de l’Etre éternel, parce qu’il sent le besoin de rapporter tout ce qu’il voit de si admirablement organisé à une intelligence suprême, auprès de laquelle l’humanité doit s’humilier et avouer son impuissance.

Animés de cet esprit, nos deux illustres écrivains encourageaient dans leur petite sphère toute tentative scientifique ou littéraire; ainsi, les hommes studieux étaient sûrs de trouver des protecteurs toujours prêts à les soutenir dans leurs essais. Favre et François de Sales réunissaient souvent les jeunes littérateurs, et là, dans l’intimité, ils écoutaient avec patience la lecture des travaux de leurs protégés, dictaient les corrections à faire, donnaient des sujets à traiter.

Lorsqu’ils eurent attiré auprès d’eux un certain nombre d’hommes éclairés et instruits, afin de conserver cet esprit d’émulation qui seul pousse aux grands efforts, ils conçurent l’idée de former à Annecy une association semblable à celles qui existaient déjà dans plusieurs villes d’Italie, et que l’on appelait des académies. Peut-être l’idée de cette création doit-elle revenir à François de Sales qui, ayant fait ses études de droit à Padoue, avait pu reconnaître tout le bien que produisaient ces associations. Ce qui nous le ferait croire, c’est le nom que nos deux académiciens donnèrent à leur société et la devise qu’ils choisirent, nom et devise tout italiens: leur académie s’appela Florimontane, et elle eut pour emblème un oranger chargé de fleurs et de fruits, avec la devise: Flores fructusque perennes (fleurs et fruits éternels). Ne reconnaît-on pas dans cette gracieuse devise l’esprit fin et délicat de François de Sales? Favre, en sa qualité de dialecticien, a pu trouver, si l’on veut, le titre de Florimontane, conséquence de la devise; mais seule, la plume qui a écrit les conseils à Philothée et les lettres à Mme de Chantai, a pu dessiner cet oranger et tracer les mots qui l’entourent.

Quoi qu’il en soit, l’illustre magistrat et le spirituel prélat venaient de créer la première académie qui ait existé en-deçà des Alpes, trente ans environ avant que Richelieu ait eu la même pensée à Paris!

Malheureusement, cette société n’a pas survécu à ses deux fondateurs; ses archives ont été égarées, et tout ce que l’on peut savoir de l’Académie Florimontane se trouve épars dans des ouvrages contemporains et dans la correspondance de Favre; pour le surplus, on ne peut s’en rapporter qu’à des conjectures.

Les statuts de l’Académie furent rédigés en 1607, et le duc de Genevois-Nemours, Henri Ier, en fut le protecteur. Les membres de la Société étaient au nombre de quarante, avec un président, un censeur choisi parmi des gens habiles en tous genres et bien près de l’encyclopédie, et un secrétaire qui devait avoir des idées nettes et claires, un esprit fin et délié, des pensées nobles, et être bien versé dans les belles-lettres.

L’Académie Florimontane fut installée dans la maison d’Antoine Favre; François de Sales fit le discours d’ouverture et fut chargé de la présidence pour la théologie et la philosophie; Favre fut nommé président pour la jurisprudence, et les deux ensemble devaient diriger les travaux littéraires. Dès lors la docte compagnie continua régulièrement à s’assembler; non-seulement les académiciens prononçaient des discours et des harangues pour se former à une belle éloquence; non-seulement ils traitaient des questions de théologie, de philosophie, de littérature, de politique, de rhétorique, de mathématiques, etc., mais ils devaient encore s’occuper de diverses langues, et surtout de la langue française.

Parfois aussi le sanctuaire scientifique s’ouvrait au public, et alors on voyait se placer sur les bancs de l’école les plus habiles maîtres des arts honnêtes, comme peintres sculpteurs, artisans, architectes et semblables, qui venaient suivre les cours professés par les membres de la compagnie.

Mais quels étaient les noms de ces quarante académiciens? Hélas! ils sont à peu près tous perdus. Curieuse destinée! Ces hommes, qui avaient fait partie de la première académie créée dans un pays français, auraient probablement, par ce seul fait, pu être décorés du titre d’immortels, tout aussi bien que leurs collègues de l’Académie française dont ils ont été les aînés.

On en connaît cependant quelques-uns. L’un des plus remarquables fut Pierre Fenouillet, d’Annecy, prédicateur ordinaire du roi Henri IV, évêque de Montpellier et protégé de François de Sales; il prononça l’oraison funèbre de Henri IV à Paris, et celle de Louis XIII à Montpellier.

Ce fut Fenouillet qui, dans un de ces discours, donna cette leçon aux hommes d’Etat, leçon qui n’est jamais hors de saison:

«Les curieux en la recherche de la nature, disait-il,

«remarquent qu’on voit auprès du fleuve Harpesus une

«colline ou un rocher, lequel étant touché légèrement des

«doigts se tourne rond comme une boule; mais il de-

«meure immobile si on veut apporter de plus grands

«efforts et une plus grande contension de bras. Les hom-

«mes nés avec la liberté, et principalement les Français,

«ressemblent à ce rocher: la douceur les conduit et les

«gouverne, la violence et les efforts les rendent opi-

«niâtres et tenants .»

Un autre membre de l’Académie Florimontane fut un savant historien, qui n’était pas Savoyard, mais qui, pendant quelque temps, exerça la charge d’abbé de Hautecombe: Alphonse Del Bène, évêque d’Alby. Del Bène fut lié avec tous les beaux esprits de France, et Ronsard lui dédia son traité de l’Art poétique. Cette dédicace, il faut le dire, ne devait guère s’adresser à notre académicien, car s’il écrivit des ouvrages historiques remplis de recherches savantes, par contre, son talent ne put jamais se plier aux règles les plus simples de la poésie; témoin ce fragment d’un poème heureusement inédit:

Je chante les travaux, les faits et la valeur

Du généreux ami qui, des monts de Savoye,

En Orient alla secourir l’empereur,

Lorsque le Turc félon issu du sang de Troye

Vint ravager l’Europe et s’en faire seigneur .

Pour l’honneur de l’Académie Florimontane, nous devons. nous estimer heureux que Del Bène ait tenu cachés ses essais poétiques; M. Ménabréa, qui le premier a cité ce fragment, en a déjà trop dit.

Claude Nouvellet, docteur de Sorbonne et chanoine de la cathédrale d’Annecy, fit aussi partie de la docte compagnie, et publia plusieurs pièces de poésie burlesque, faisant ainsi application du Castigat ridendo mores.

Quoi qu’il en fût du mérite littéraire des membres de l’Académie Florimontane, les noms des deux présidents étaient assez illustres pour attirer l’attention du monde savant, et plusieurs étrangers briguèrent l’honneur de faire partie de la compagnie. Trois ans après la fondation de l’Académie, Antoine Favre en parlait ainsi dans une lettre adressée à Schifordegher, célèbre jurisconsulte allemand, qui était venu à Annecy et avait été reçu membre associé : «C’est la première qui, de ce côté des monts, ait

«été érigée à l’exemple de celles d’Italie. Aussi est-ce

«merveille qu’elle soit déjà si connue, qu’en France,

«dans les pays voisins et même en Italie, on en parle

«avec grande estime et comme recommandable entre les


«plus célèbres. J’en parlerais avec moins d’assurance ou

«plus de modestie si je ne pouvais m’appuyer de votre

«témoignage, puisque, admis au nombre de nos acadé-

«miciens, vous avez tant de fois assisté à nos exer-

«cices.»

Malheureusement, ainsi que je l’ai déjà dit, l’Académie Florimontane ne survécut pas à ses fondateurs, morts, l’un, François de Sales, en 1622, et l’autre, Favre, en 1624. L’oranger orna de ses dernières fleurs le cercueil des deux hommes qui l’avaient entouré de leurs soins assidus; dès lors il ne porta plus de fruits et se dessécha. Mais cet arbre de la science, bien qu’il n’ait pas vécu de longues années, n’en a pas moins été le premier drapeau des sociétés littéraires planté sur le sol français. Des mains savoyardes ont tenu la hampe de ce drapeau, et Annecy a eu le bonheur de le voir flotter sur ses murs.

N’est-ce pas là aussi une grande gloire pour la Savoie?

Aujourd’hui la Société Florimontane a succédé à l’Académie. Il ne m’appartient pas de donner des louanges à la nouvelle compagnie, mais je ne serai que juste en disant qu’elle ne néglige rien pour réaliser son programme, qui est en tout semblable à celui de son aînée: Encouragement des lettres, des sciences et des arts.

Les Gloires de la Savoie

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