Читать книгу Le mentor vertueux, moraliste et bienfaisant - Laurent-Pierre Bérenger - Страница 29
TRAIT DE JUSTICE.
ОглавлениеL’EMPEREUR, se promenant seul dans les rues de Vienne, vêtu comme un simple particulier rencontra une jeune personne tout éplorée, qui portait un paquet sous son bras. «Qu’avez-vous? lui dit-il affectueusement; que portez-vous? où allez-vous? ne pourrais-je calmer votre douleur? — Je porte des hardes de ma malheureuse mère, répondit la jeune personne au prince qui lui était inconnu; je vais les vendre; c’est, ajouta-t-elle d’une voix entrecoupée, notre dernière ressource. Ah! si mon père, qui versa tant de fois son sang pour la patrie, vivait encore, ou s’il avait obtenu la récompense due à ses services, vous ne me verriez pas dans cet état. — Si l’empereur, lui répondit le monarque attendri, avait connu vos malheurs, il les aurait adoucis; vous auriez dû lui présenter un mémoire, et employer quelqu’un qui lui eût exposé vos besoins. — Je l’ai fait, répliqua-t-elle, mais inutilement; le seigneur à qui je m’étais adressée m’a dit qu’il n’avait jamais pu rien obtenir. — On vous a déguisé la vérité, ajouta le prince en dissimulant la peine qu’un tel aveu lui faisait; je puis vous assurer qu’on ne lui aura pas dit un mot de votre situation, et qu’il aime trop la justice pour laisser périr la veuve et la fille d’un officier qui l’a bien servi. Faites un mémoire, apportez-le moi demain au château, en tel endroit, à telle heure; si tout ce que vous dites est vrai, je vous ferai parler à l’empereur, et vous en obtiendrez justice. » La jeune personne, en essuyant ses pleurs, prodiguait des remercîmens à l’inconnu, lorsqu’il ajouta: «Il ne faut pas cependant vendre les hardes de votre mère. Combien comptiez-vous en avoir? — Six ducats, dit-elle. — Permettez que je vous en prête douze jusqu’à ce que nous ayons vu le succès de nos soins.»
A ces mots, la jeune fille vole chez elle, remet à sa mère les douze ducats avec les hardes, lui fait part des espérances qu’un seigneur inconnu vient de lui donner: elle le dépeint, et des parens qui l’écoulaient reconnaissent l’empereur dans tout ce qu’elle en dit. Désespérée d’avoir parlé si librement, elle ne peut se résoudre à aller le lendemain au château; ses parens l’y entraînent: elle y arrive tremblante, voit son souverain dans son bienfaiteur, et s’évanouit. Cependant le prince, qui avait demandé la veille le nom de son père, et celui du régiment dans lequel il avait servi, avait pris des informations, et avait trouvé que tout ce qu’elle lui en avait dit était vrai. Lorsqu’elle eut repris ses sens, l’empereur la fit entrer avec ses parens dans son cabinet, et lui dit de la manière la plus obligeante: «Voilà, mademoiselle, pour madame votre mère, le brevet d’une pension égale aux appointemens qu’avait monsieur votre père, dont la moitié sera réversible sur vous, si vous avez le malheur de la perdre; je suis fâché de n’avoir pas appris plus tôt votre situation, j’aurais adouci votre sort.» Depuis cette époque, ce prince a fixé un jour par semaine où tout le monde est admis à son audience.