Читать книгу Le mentor vertueux, moraliste et bienfaisant - Laurent-Pierre Bérenger - Страница 31
LE MONARQUE CHINOIS.
ОглавлениеL’EMPEREUR Kam-Hi étant à la chasse, et s’étant écarté de ceux de sa suite, trouva un pauvre vieillard qui pleurait amèrement, et qui paraissait affligé de quelque disgrâce extraordinaire; il s’approche de lui, touché de l’état où il le voit, et, sans se faire connaître, lui demande ce qu’il avait. «Ce que j’ai? lui répliqua le vieillard: hélas! seigneur, quand je vous l’aurai dit, c’est un mal auquel vous n’apporterez aucun remède. — Peut-être, mon bon homme, repartit l’empereur, que je vous serai de plus grand secours que vous ne pensez; faites-moi confidence de ce qui vous afflige. — Puisque vous le voulez savoir, reprit le vieillard, c’est qu’un gouverneur d’une des maisons de plaisance de l’empereur, trouvant mon bien, qui est auprès de cette maison royale, à sa bienséance, s’en est emparé , et m’a réduit à la mendicité où vous me voyez. Il a plus fait: je n’avais qu’un fils qui était le soutien de ma vieillesse, il me l’a enlevé et en a fait son esclave. Voilà, seigneur, le sujet de mes pleurs.» L’empereur fut si touché de ce discours, que, ne pensant qu’à venger un crime qu’on commettait sous son autorité, il demanda d’abord à ce vieillard s’il y avait loin du lieu où ils étaient à la maison dont il parlait; et le vieillard lui ayant répondu qu’il n’y avait guère qu’une demi-lieue, il lui dit qu’il voulait y aller avec lui, pour exhorter le gouverneur à lui rendre son bien et son fils, et qu’il ne désespérait pas de le persuader. «Le persuader! reprit le vieillard; ah! seigneur, souvenez-vous, s’il vous plaît, que je viens de vous dire que cet homme appartient à l’empereur. Il n’est sûr, ni pour vous, ni pour moi, de lui aller faire une pareille proposition; il ne m’en traitera que plus mal, et vous en recevrez quelque insulte que je vous prie de vous épargner. — Que cela ne vous inquiète pas, reprit l’empereur; je suis résolu à tout, et j’espère que nous aurons meilleure issue de notre négociation que vous ne pensez.» Le vieillard, qui voyait briller dans cet homme inconnu quelque chose de ce que la naissance imprime sur le front aux gens de ce rang, crut ne devoir plus faire de résistance. Il objecta seulement qu’étant cassé de vieillesse et à pied, il ne pourrait pas suivre le train du cheval sur lequel l’empereur était monté. «Je suis jeune, répondit le prince; montez sur mon cheval, et j’irai à pied.» Le vieillard ne voulut point accepter l’offre. L’empereur trouva l’expédient de le prendre en croupe derrière lui; et le vieillard, s’en excusant encore sur ce que sa pauvreté lui ayant ôté les moyens de changer de linge et d’habits, il serait en danger de lui communiquer une vermine dont il ne se pouvait défendre: «Allez, mon ami, repartit l’empereur, ne laissez pas de monter derrière moi, j’en serai quitte pour changer d’habits.» Le vieillard monta donc enfin, et ils furent bientôt rendus tous deux à la maison où ils allaient. L’empereur n’y fut pas plus tôt arrivé , qu’il demanda le gouverneur, lequel, étant venu, fut bien surpris lorsque le prince, en l’abordant, lui découvrit, pour se faire connaître, le dragon en broderie qu’il portait sur l’estomac, et que son habit de chasse cachait. Il semble que, pour rendre plus célèbre cette action mémorable de justice et d’humanité, la plupart des grands qui suivaient l’empereur à la chasse se trouvèrent là autour de lui comme si on leur eût donné rendez-vous; car ce fut devant cette grande assemblée qu’il fit mille reproches sanglans au persécuteur du bon vieillard, et qu’après l’avoir obligé de lui rendre son bien et son fils, il lui fit sur-le-champ trancher la tête. Il fit plus: il mit le vieillard en sa place, et l’avertit de prendre garde que, la fortune changeant ses mœurs, un autre ne profitât un jour de ses injustices, comme il venait de profiter de celles d’autrui.
Quel trait dans un empereur âgé de quatorze ans.