Читать книгу Le Prix de la vie - Léon Ollé-Laprune - Страница 16
ОглавлениеLA SCIENCE ET LA VIE
Tout ce que nous venons de dire peut sembler ne pas franchir les bornes du déterminisme scientifique le plus rigoureux. L’homme ainsi entendu semble, je dis semble, n’avoir besoin pour s’expliquer d’aucun principe proprement métaphysique. Il fait partie de la nature. Il est soumis aux mêmes lois, conduit en définitive par par la même nécessité. Il accomplit son œuvre comme la fourmi ou l’abeille accomplit la sienne. Cette œuvre est, à certains égards, bien supérieure parce qu’elle procède de la pensée consciente; mais, si belle qu’elle paraisse, c’est un point au sein de ce vaste univers, et d’ailleurs, de même que si beaucoup d’hommes demeurent sur les confins de l’animalité, ce n’est point leur faute au sens où le prennent les moralistes, ainsi l’espèce de supériorité où atteint l’élite n’est point un mérite à proprement parler. Chacun est ce qu’il peut. Entre les animaux et l’homme il y a continuité. Il faut considérer les choses du même œil, en juger d’après les mêmes principes: une même science les explique.
De ces vues se forme une certaine philosophie de la vie, triste, mais résignée, très calme, très sereine, qui ne méprise rien ni personne, assez hautaine pourtant, car si tout intéresse le savant, parce que tout a sa place dans l’évolution universelle et que tout arrive en vertu de la même loi nécessaire, cependant les produits choisis, exquis, lui plaisent par leur importance relative, et aussi dans certains cas par leur bienfaisance. Comment ne pas préférer à la brute humaine où les penchants du gorille primitif sont toujours prêts à éclater impétueusement, l’homme cultivé, où les bas-fonds sont contenus et où la pensée produit ses plus beaux fruits? Et dans l’homme cultivé lui-même, comment ne pas préférer au bel esprit trop raffiné, au raisonneur perverti, à l’abstracteur à outrance, à toute l’engeance des sophistes et des phraseurs, l’intelligence droite et saine du savant, que sa science même a guéri de toutes ces maladies intellectuelles et qu’elle rend maître de lui et des choses, en un certain sens, parce qu’elle lui livre en partie le secret de la Nature?
Voilà donc que se produit, sous l’influence de la science révélatrice de la loi universelle et dominatrice de l’univers, une belle et noble conception de la vie, vraiment aristocratique, mais sans morgue, faite pour quelques-uns seulement, pour les savants et les sages, interdite au vulgaire que d’ailleurs les savants et les sages ne blâment ni ne condamnent. Le plaignent-ils? Oui, par sympathie naturelle, mais sans se troubler. Lui veulent-ils du bien? Oui, par sympathie naturelle encore, mais sans se donner pour l’élever à eux une peine inutile. C’est la science qui est leur unique souci, leur unique objet. Pour elle ils travaillent, pour elle ils se donnent du mal. Que ne feraient-ils pas afin d’acquérir une notion exacte, une idée juste, et d’ajouter aux vérités connues une vérité ? La vie est donc chose sérieuse à leurs yeux; on y a une tâche à remplir, une œuvre à faire: celle de comprendre les lois de l’univer, si l’on peut. Quand on est de ceux à qui ce travail est possible, on s’y dévoue corps et âme. C’est la grande affaire de la vie. C’en est l’honneur, c’en est la joie. C’est ce qui l’ennoblit, c’est ce qui fait qu’elle vaut la peine de vivre. On n’est pas un dilettante, on ne passe pas en ce monde en oisif, en connaisseur, en amateur stérile. Loin de là. On est un savant, ce qui est tout autre chose. On travaille pour connaître. C’est une occupation laborieuse où l’on s’use. Encore une fois, c’est là le beau de la vie que de faire cette œuvre vraiment humaine, œuvre de savant qui observe, qui comprend, qui ne se lasse pas d’observer et de chercher à comprendre. Etre de ceux qui ont ce, lot, c’est un rare bonheur. Peut-on espérer qu’avec le temps, le nombre de ceux qui entreront en partage de cet incomparable bien ira croissant? Sans aucun doute, crient quelques-uns. La science transformera le monde et, par elle, l’humanité aura enfin son âge d’or. Mais les plus savants ont moins de confiance. La science même leur apprend qu’il y a au sein de l’humanité tant d’autres éléments que la science étudie, mais qui ne sont pas réductibles à la science, en ce sens du moins qu’ils seraient eux-mêmes de la nature des idées et de l’intelligence. Tout cela, qui est réel, et comme tel, observable, analysable, assujetti à des lois connues ou connaissables, tout cela est indisciplinable par essence: c’est de la sensualité brute, c’est de la violence bestiale, c’est de la passion, c’est du sentiment, c’est de l’imagination; bas ou haut, grossier ou délicat, c’est, à titre de réalité, ressort de la vie, rouage de l’universelle machine, partie de l’organisme total. La science ne le supprimera pas, et tant qu’il en subsistera quelque chose, il y aura dans le monde autre chose que des savants et des sages. Ceux-ci peuvent donc espérer quelque amélioration de l’humanité grâce aux lumières croissantes de la science, et ils peuvent se dire qu’en étendant la science, ils diminuent la misère humaine, en tant que dépendant de l’humaine sottise ou de l’humaine ignorance. Mais ils n’ont qu’un espoir médiocre, et par suite, comme leur ambition est modeste, modeste aussi est leur zèle. Ils sont bienveillants, ils sont tolérants, ils sont doux aux faibles, aux humbles, aux petits; ils font grand accueil aux hommes de ferme et vive intelligence, ils essaient de les affermir et de les aviver, ils entrent dans leurs pensées, ils les mettent en garde contre les rêves, contre les trop vastes désirs, ils leur conseillent d’employer leurs belles ressources d’esprit à découvrir quelque solide vérité qui augmente le trésor des connaissances humaines. Ils aiment, ils saluent tout ce qui est la fleur de l’activité de l’homme, l’art et ses merveilleuses productions, la vertu et ses inventions sublimes. Rien ne leur est étranger. Et l’humanité, à son tour, reçoit d’eux, avec quelques notions nouvelles, des leçons de probité scientifique, de modestie, d’indépendance, de douceur, de courage simple devant le labeur, devant l’impopularité, devant les séductions ou les menaces du pouvoir, devant la maladie et devant la mort, leçons qui, sans doute, dans ce grand et perpétuel flux des choses auquel préside l’impassible Nécessité, ne seront point à jamais perdues.
Est-ce à cette conception de la vie que je m’arrêterai? J’y trouve le sérieux que je cherche, la conformité aux lois de la vie que j’ai jugée indispensable, une œuvre à faire, une noble idée de l’homme; et, puisque je suis de ceux qui travaillent à penser, ne suis-je pas de ceux aussi à qui convient cette théorie?
Je m’inquiète pourtant, car d’abord je lui fais le reproche que je faisais au dilettantisme: elle n’est bonne que pour une élite. Elle est trop aristocratique, et c’est mauvais signe.
Ensuite, il me semble que c’est outrepasser les faits que de déclarer que de l’animal à l’homme la continuité est parfaite, en ce sens précis que l’homme n’a pas de loi propre. Il me semble que l’idée de l’homme bien consultée m’introduirait dans un ordre sans précédent. Est-ce un pressentiment sans valeur? Entrons dans cette nouvelle étude, et voyons s’il n’y a là qu’une illusion, ou si vraiment nous sommes au seuil d’un monde nouveau.