Читать книгу Le Prix de la vie - Léon Ollé-Laprune - Страница 17
ОглавлениеL’OBLIGATION MORALE
En approfondissant l’idée de l’homme, j’en ai constaté le caractère attirant, la force propulsive. L’idéal de la nature humaine exerce sur moi une influence pratique. Mais revenons sur ce point important, et tâchons d’approfondir encore.
C’est de la beauté de la vie que nous parlons. Voici ce que je me demande: cette beauté, si la concevant comme l’idéal de la vie humaine, je la néglige, que penserai-je de moi-même?
Dans tout le reste, le beau a pour moi un attrait tel que si, pouvant l’atteindre, je le manque, j’éprouve un malaise.
Précisons. Déployer mes ressources, mes aptitudes, mes talents, si j’en ai, dans l’ordre du beau, dans l’ordre de l’art, c’est un des buts partiels possibles de mon activité. Or, pouvant me donner cette culture, je la néglige. Qu’arrivera-t-il? Je serai mécontent de moi. Mais encore, que dirai-je? Que je me prive par là de jouissances exquises, de grands avantages. Et après? Que ma paresse est blâmable. Pourquoi? parce que, sans doute, il y avait là l’indice de ce qu’on peut nommer une vocation; et, par négligence, par faiblesse, je me refuse à faire ce pour quoi je paraissais fait.
Prenons garde: ceci est une idée nouvelle. Nous ne l’avons pas rencontrée encore. Nous avons constaté des attraits. Nous avons parlé de convenances engageantes, de beauté de vie et de noblesse exerçant sur nous un charme particulier et très puissant. Ici la raison commence à apparaître sous un aspect nouveau. Elle ne nous offre pas seulement une idée belle. Elle se montre avec son caractère propre et original, qui est de commander, de commander impérieusement.
Écoutons bien, en effet. Ma raison me reproche ma paresse. Qu’est-ce à dire? Qu’il y a quelque chose à faire, quelque chose qu’il faut faire. Mais ce n’est plus la nécessité pure, et c’est plus que l’attrait. Il faut faire, et je ne suis pas contraint de faire. Il faut..., et si je fais ce qu’il ne faut pas, j’ai tort. Il y a ici un ordre, un commandement impérieux. Je me trouve lié de la façon la plus intime. La loi, car c’est bien une loi, est telle qu’il ne suffit pas de l’observer extérieurement, mais que l’obéissance est requise par respect pour elle, en sorte que je lui soumets intérieurement tout mon être, que je lui donne mon adhésion intime, que je la déclare bonne, quoi qu’elle commande.
Ce fait a été mille fois décrit. Il faut l’envisager sérieusement.
C’est le fait de l’obligation, de l’obligation morale. La formule est ici: tu dois faire. Remarquons-le bien: tu peux faire autrement, mais tu dois faire ainsi.
Voilà ce qui, par rapport à tout ce qui précède, est une nouveauté considérable, une nouveauté énorme. Si cela est, aucune des règles de pensée ni des méthodes jusqu’ici employées ne réussit plus: nous sommes dans un ordre nouveau.
Je n’ai pas, pour le moment, à scruter l’origine de l’idée d’obligation. Je n’ai qu’à bien voir en quoi elle consiste, hic et nunc. C’est la première démarche de l’esprit en présence d’un fait: le constater, le décrire, le poser devant les yeux d’une façon nette, distincte, tranchée.
Or, quand je me vois et me déclare obligé de faire ceci, de ne pas faire cela, il peut arriver, et il arrive que je désire vivement faire précisément ce que je ne dois pas faire. Alors me voilà, avec toutes mes forces vives, arrêté : et par quoi? par une idée. Cette idée peut aller jusqu’à me commander: quoi? de lui sacrifier tout, de mourir plutôt que de la trahir. Je n’invente pas. Je ne déclame pas. Je constate un fait. Tous les jours, à des degrés divers, je sacrifie à cette idée de l’homme accompli et parfait l’homme réel que je suis. Je tue, je mets à mort quelque chose en moi, quelque chose de moi, pour me conformer à cet idéal de vie. Il y a des cas où c’est la vie totale, la vie même, qui est sacrifiée. Et quand la loi mortifie ainsi l’homme, il se peut que l’homme perde de vue la beauté du sacrifice, qu’il obéisse à la loi sans comprendre. C’est la loi. Dura lex, sed lex. Je ne vois plus pourquoi la loi est respectable, mais je vois qu’elle est la loi, et qu’elle est respectable. Je vois qu’elle est la loi universelle, qu’elle s’impose à tous les esprits, à toutes les volontés. Je m’incline, et je me tais.
Encore une fois, c’est là un fait.
Dès lors, la vie prend à mes yeux une importance singulière. C’est un devoir d’être homme le plus et le mieux possible, c’est un devoir de vivre conformément à l’idéal de la nature humaine. Et cela est net, simple, décisif.
Puis il me semble que le devoir étant accessible à tous, en ce sens qu’il ne demande pas une culture raffinée, la vie excellente n’est plus réservée à quelques initiés ou à quelques délicats. Il me semble que les parties simples de l’humanité, comme on dit si volontiers aujourd’hui, seront capables de penser de la vie ce qu’il convient avant tout d’en penser, capables aussi de faire de la vie ce qu’il convient avant tout d’en faire. Il me semble que c’est maintenant vraiment que la vie est sérieuse, qu’elle a un sens, et qu’elle est bonne à quelque chose. Le mot de l’énigme et le mot d’ordre, la signification et la règle, l’explication et la direction, ne les avons-nous pas là ? Aux questions qui nous assaillent, nous répondons par ce grand et simple mot: le Devoir!