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1313 A 1383
ОглавлениеLa succession de Savoie confirmée. — Le premier des règnes illustres de la maison de Savoie débute par une minorité. Amédée VI n’avait que neuf ans quand il succéda au Comté. Le baron de Vaud Louis II, et le comte de Genève Amédée, prirent la régence: le premier, cousin d’Aimon le Pacifique; le second, neveu de ce prince par sa mère Agnès, fille d’Amédée le Grand.
En 1343, Jeanne de Savoie mourut. Les droits qu’elle prétendait passèrent par testament à Philippe duc d’Orléans, second fils du roi de France, cousin de cette princesse par les femmes. Ainsi transmis, ces droits devaient paraître peu solides; mais la puissance de celui qui s’en trouvait muni ne laissait pas de les rendre considérables. En même temps Humbert III, Dauphin après Guigues VIII, qui réunissait à ce domaine le Faucigny, traitait avec la France de la cession de l’un et de l’autre. Ainsi les menaces ressenties de ce côté redoublaient en se rapprochant.
Les régents parèrent aux plus pressantes. Ils négocièrent l’abandon des droits du duc d’Orléans sur la Savoie. Le Roi y consentit moyennant de l’argent et quelque renfort contre l’Anglais. Le château de Bicêtre et celui de Milly-en-Auxois furent cédés dans cet accord.
Premier engagement contre les Visconti. — Par un de ces revirements qu’impose la politique aux princes engagés dans le service des partis, les Visconti venaient de passer du parti Gibelin au parti Guelfe. Excommuniés depuis l’expédition de Henri VII en Italie, le pape Jean XXII leva leur interdit (1328), et leur maison grandit du succès de la ligue qui fut formée contre Jean de Bohême, quand il envahit la Lombardie.
L’affaiblissement de la maison d’Anjou dispensait le Saint-Siège de chercher son appui dans les diversions venues d’Allemagne, et le laissait autant que jamais libre de combattre l’empereur. La mort de l’empereur Louis de Bavière, survenue un an après sa déposition (1347), fut le couronnement de cette lutte nouvelle. Peut-être l’avantage qu’en eurent les Visconti, leur conseilla-t-il l’offensive contre la maison de Savoie. Quoi qu’il en soit, c’est à cette époque qu’on voit enfin la guerre sortir de la rivalité des deux puissances.
Luquin Visconti, fils et troisième successeur de Mathieu, entreprenait de soulever les communes du Piémont contre Jacques prince d’Achaïe, qui, tenant ce pays à fief du comté, devait en même temps hommage à Milan pour quelques villes. Jean de Miolans passe les Alpes au nom d’Amédée et, joint au prince d’Achaïe, triomphe des villes rebelles. Le Prince, le Comte et le marquis de Montferrat se partagèrent le protectorat d’Ivrée (1347).
Cette expédition, qui rouvrait après quatre-vingts ans les hostilités des Comtes en Italie, jeta le plus grand éclat sur les armes de Savoie. Au retour eurent lieu les fêtes rendues célèbres par le tournoi du Vernay de Chambéry, dont la postérité garda un long souvenir. Le jeune comte, âgé de quatorze ans, y portait l’armure verte, ce qui fait que le surnom de Comte Vert lui resta.
La peste de Florence en Savoie. — L’année 1348 fut un temps de grande calamité pour toute l’Europe. La peste, venue d’Egypte par la Sicile, ravagea Naples et l’Italie. A Florence cent mille habitants périrent, et l’effroi répandu par cette mortalité fit donner au fléau le nom de cette ville.
A Chambéry on accusa les Juifs, établis en Savoie depuis Amédée le Grand, et que l’usure y faisait détester, d’avoir empoisonné les puits. Relégués d’abord dans le faubourg Montmeillan, ils furent ramenés dans les prisons de la ville, où bientôt on les massacra. Le Comte sévit contre cette justice sommaire, et trois bourgeois de Chambéry furent pendus.
A Yenne, à Saint-Genix, à Seyssel, à Aiguebelle, les mêmes violences furent exercées, tandis que les habitants succombaient à la contagion par milliers.
La maison de France en Dauphiné. — Cependant le roi de France continuait de négocier l’acquisition du Dauphiné. Humbert n’avait pas d’héritier; d’énormes dettes, en partie contractées dans une expédition d’Orient, ne lui laissaient de parti que de vendre ses fiefs. La Savoie ne fut pas seule à craindre un événement qui devait lui donner un si puissant voisin. On croit apercevoir que le sire de Beaujeu et le comte de Genève firent la guerre au Dauphin, mus par ce sentiment.
Le comte de Genève était en même temps baron de Gex, en vertu d’une donation récente du dernier prince de cette maison. Les troupes des alliés entrèrent en Viennois; elles enrôlaient beaucoup de Savoyards, que le Comte Vert, empêché de rompre avec la France, ne laissait pas de soudoyer. En même temps Jean de Chissé, évêque de Grenoble, Savoyard de nation et conseiller d’Humbert, s’efforçait de changer ses projets. D’abord on essaya (1348) du projet d’un mariage entre Blanche, sœur du Comte, et le Dauphin, la princesse apportant en dot une somme de cent vingt mille florins. La maison d’Anjou faisait aussi des offres; enfin la Savoie suggéra de vendre le fief au Saint-Siège. Ce fut la France qui l’emporta.
Le Dauphiné fut cédé pour deux cent mille florins. L’acte fut fait à Romans en 1349, et rendu public dans l’assemblée de Lyon la même année. La cession n’allait pas au Roi, mais à Charles son petit-fils, depuis Charles V, à charge, lors de son avènement, d’échoir au fils de ce prince, nouvel héritier de la couronne, et toujours ainsi. Cette constitution, unique dans l’histoire de l’agrandissement des rois de France, fit d’autant de princes fils de ces rois, jusqu’à la Révolution, les successeurs en titre, en apanage, parfois en politique, des anciens Dauphins.
Quant à la politique française, il faut considérer dans ce fait l’abandon de la réserve longtemps gardée par elle à l’égard des provinces de l’ancien royaume d’Arles. La France commençait de mettre le pied dans ce royaume, et d’en rassembler pour elle les parties.
La réunion du Faucigny. — C’était pour les lointaines ambitions de nos princes un échec, qui fut moins senti que le danger immédiat qu’il créait. Ce danger venait du Faucigny, dont le territoire pénétrait au cœur même de la monarchie, séparant le Chablais des Bauges et de la Savoie. Aussi longtemps que les Dauphins l’avaient eu, la guerre sans cesse rallumée contre eux atteste l’inquiétude qu’il causait à nos comtes; tombé aux mains de la maison de France, il mettait en péril leur existence même.
En 1350 la régence fut ôtée au comte de Genève, et l’on peut supposer dans ce fait un dessein de séparer aux yeux du roi de France la cause de la Savoie de la sienne. Le Comte Vert parut à la cour de France dans le temps de la mort de Philippe de Valois; il suivit le duc de Normandie, depuis Jean le Bon, en Avignon, dans sa visite au pape Clément VI, où Eudes, duc et comte palatin de Bourgogne, l’accompagnait. Il fut aussi à Reims au sacre du nouveau roi.
En 1353, il porta même la guerre contre les récents auteurs de l’attaque du Dauphiné. Il battit Hugues de Genève, sire d’Anthon, aux Abrès; il emporta la ville de Gex. Sans doute tout cela se faisait d’accord avec la politique du roi de France.
Le résultat fut de trouver ce dernier favorable. Nos princes étaient en possession de plusieurs enclaves en Dauphiné, par exemple de Voiron et de la Côte Saint-André ; de plus Jeanne de Bourgogne, héritière éventuelle de Bourgogne et de Franche-Comté, était promise au Comte Vert. Le Roi devait souhaiter de rompre ce mariage. Le Comte y renonça, il rendit les enclaves: en échange de quoi le Faucigny, détaché de l’héritage des Dauphins, lui fut cédé par le traité de Paris en 1355.
Les populations résistèrent, mais durent céder à la résolution et à la vaillance du Comte Vert. Le château d’Hermance fut emporté ; trois mois suffirent au prince pour pacifier le pays.
Politique française du Comte Vert. — L’engagement du Comte Vert à l’égard de la politique française se montre alors avec éclat.
La même année 1355 il épousa Bonne de Bourbon, princesse de sang français et sœur de la Dauphine, ce qui fit de lui le beau-frère de Charles V. Puis il mène au roi Jean des troupes, et prend part en personne à la guerre contre l’Anglais.
Malheureusement le désastre de Poitiers (1356) vint rendre tout d’un coup cette politique aussi périlleuse qu’elle avait été profitable. Le contre-coup de cet événement le livra dans les Alpes aux représailles de ses voisins. De plus, le grand nombre de soldats sans solde échappés des champs de bataille français, qui, depuis la paix de Brétigny surtout, s’écoula par les passages des Alpes en Lombardie, ajoutait à cet embarras.
Des pillards se ruèrent sur le Piémont aux gages de Galéas Visconti. Impatronisé dans Ivrée, Jacques prince d’Achaïe se révolta. Aussitôt le Comte passe le mont Cenis, bat Jacques et lui impose la paix (1358). Mais lui-même peu après, assiégé dans Lanzo par une bande dite Compagnie Blanche, est obligé d’acheter la retraite de celle-ci moyennant une rançon de cent quatre-vingt mille florins.
La réunion du pays de Vaud. — Tout témoignage direct manque pour cette époque, au sujet des finances de nos comtes; mais on est obligé de croire qu’elles étaient prospères. Une rançon de cette importance n’en serait pas une preuve, à cause de la nécessité qu’il y eut de délivrer le prince; mais nous voyons d’ailleurs que les opérations librement conduites d’Amédée, négociations et guerres, exigeaient de grosses sommes, et qu’il les fournit sans s’épuiser.
L’expédition du Faucigny avait coûté plus de deux cent mille florins; quarante mille furent payés pour le traité de Paris. En 1339, Catherine de Savoie, cousine du Comte, sœur du dernier baron de Vaud, héritière de cet apanage, le lui céda pour une somme aussi forte, car on voit Chambéry taxée à cette occasion de quatre cents florins.
Cette baronnie fit désormais partie de la couronne de Savoie. Le Valromey et le Bugey y étaient joints. Ces deux derniers fiefs composèrent, avec le pays de Gex et la Bresse, une province compacte au delà du Rhône, pointe avancée de nos comtes du côté de la Bourgogne.
En Tarentaise, le Comte Vert poursuit les avantages gagnés par son père. Démuni de ses fortifications et du soutien de ses vassaux, l’évêque Jean de Bertrand partage avec le Comte ses droits de juridiction par un acte daté de 1358. Ce partage assurait le progrès incessant de l’autorité du prince sur la province.
Le vicariat impérial accordé. — Ainsi la politique du Comte, trompée d’un côté, se rétablissait de l’autre. A défaut de la fortune qui trahissait la France, les démonstrations de l’Empereur vinrent servir le prestige du prince, en même temps que son agrandissement. A Louis de Bavière, excommunié du pape, avait succédé Charles IV de Luxembourg, qui ne parut jamais en Italie qu’en allié docile du Saint-Siège. Par son mariage avec Blanche de Valois, il était oncle du Comte Vert. A Chambéry, où il passait pour aller visiter le pape en Avignon, on le traita magnifiquement.
A ce propos on trouve rapporté que le Comte Vert reçut le titre de vicaire de l’Empire en Savoie. Mais comme cela se trouve écrit déjà de plusieurs de nos princes avant lui, les historiens ont expliqué que cette fois le vicariat avait été donné pour toute la dynastie. Cette délégation perpétuelle avait d’autant plus d’importance, que les droits impériaux qu’elle représentait, venaient d’être définis (1356) par la fameuse Bulle d’Or, qui fit depuis la constitution de l’Empire. Dès lors les Comtes nommèrent aux bénéfices qui relevaient directement de l’Empire; ils jugèrent en dernier ressort au même titre que la Chambre Impériale.
Cette concession fut signée à Chambéry en 1365. L’Empereur, qui vendait toutes choses, se la fit payer cent mille écus.
Cependant Jacques d’Achaïe prenait de nouveau les armes (1360). Une seconde fois le Comte Vert le défait, le prend à Rivoli et lui ôte son apanage (1362), qui, moyennant sa soumission, lui fut rendu l’année suivante.
Le Comte Vert en Orient. — C’est ici la première expédition certaine que nos princes aient conduite en Orient. Longtemps la Savoie fut trop faible ou trop occupée chez elle pour suivre sérieusement le mouvement des Croisades. La part qu’y prenaient ses voisins attestait tantôt leur force supérieure, comme quand Monferrat devint roi de Thessalonique, tantôt leur imprudence, comme quand le dernier Dauphin acheva de se ruiner par une entreprise de ce genre.
L’inflexible prudence de la maison de Savoie oblige à regarder comme un signe de sa force, celle que le Comte Vert fit à Constantinople pour délivrer l’empereur Jean Paléologue, dont il était cousin par sa mère. Les Bulgares tenaient cet empereur prisonnier, et de plus les Turcs menaçaient Gallipoli sur le détroit des Dardanelles. Amédée, vainqueur tour à tour de ces deux peuples, délivre cette ville des infidèles et rend à l’Empereur sa liberté (1366). Cette victoire changea quelques-unes des perfides dispositions des Grecs envers la Chrétienté latine. Trois ans plus tard l’empereur Jean vint à Rome abjurer le schisme.
Intervention en Lombardie. — Soldat du pape Urbain V en cette affaire, le Comte Vert soutint avec éclat sa politique en Lombardie.
Cette politique se tournait tout entière contre la puissance nouvelle des Visconti. Galéas et Barnabé son frère, qui l’exerçaient ensemble, primaient toutes les puissances rivales; jamais l’ancien royaume de Lombardie n’avait paru si près de revivre au profit d’un pouvoir de fait, que ce nouveau prestige devait rendre irrésistible. Le Pape forma la ligue du comte de Savoie, de l’Empereur et de la maison d’Anjou, représentée par le roi de Hongrie, Louis le Grand (1368). Mais on ne pouvait fonder sur Charles de Luxembourg, lequel fuyait devant les armées et ne songeait qu’à rançonner les villes. En Piémont, l’héritage d’Achaïe se trouvait disputé entre Philippe, fils de Jacques, et Marguerite de Beaujeu, seconde femme de ce dernier. Le Comte prit parti pour celle-ci, qui lui remit la régence de son fils (1368). Cette position lui donnait l’avantage pour conduire la Ligue, dont il fut l’âme.
Pour la rompre, les Visconti lui offrent de partager la Lombardic. Le Comte refusa; le temps était encore loin où une politique de conquête pourrait servir à sa maison. L’accession du Verceil et de Gênes dans la Ligue attestent la confiance que la jalouse indépendance des villes mettait dans le parti de Savoie. Le marquis de Saluces courut à celui des Visconti, qui fut vaincu. La paix, signée en 1375, enregistra leur humiliation, le triomphe des libertés Lombardes et la mise hors de page de l’arbitrage savoyard.
Saluces abandonné se tourna vers le roi de France. En conséquence d’anciens hommages rendus par les marquis ses ancêtres aux Dauphins, il se reconnut vassal de ce roi, leur successeur. L’Empereur, comme suzerain de Lombardie, pouvait revendiquer cet hommage, mais il se déchargea de cette revendication sur le comte de Savoie, lui laissant à vider sa cause avec le Roi.
Suite de la politique italienne du Comte Vert. — En 1364 le Comte Vert avait réconcilié Pise et Florence; en 1379 on le voit accommoder les Visconti eux-mêmes avec le Monferrat, en 1381 la république de Gênes avec celle de Venise.
Cependant les efforts que firent enfin les Papes pour recouvrer leur résidence de Rome et terminer le séjour d’Avignon, avaient déchaîné le schisme en Occident. Depuis 1378 l’Eglise latine connut deux papes, Urbain VI à Rome, Clément VII en Avignon. L’un et l’autre prétendirent au rôle de modérateur en Italie. La succession de Naples allait s’ouvrir, car la reine Jeanne d’Anjou, dernière de sa lignée, demeurait sans héritier. Le pape de Rome obtint qu’elle adoptât Charles de Duras, cousin de cette princesse; celui d’Avignon la fit instituer Louis de France, frère de Charles V, tige de la deuxième maison d’Anjou (1380).
La guerre s’alluma entre ces deux héritiers, du vivant même de la Reine. Le Comte Vert tenait pour le pape d’Avignon. Il prit cette occasion de porter pour la première fois les armes de Savoie dans le midi de l’Italie, en soutenant les droits du prince français. Duras l’y avait devancé. Jeanne assiégée par ce dernier dans le château de l’Œuf, fut prise, et étranglée dans sa prison. Mais les troupes du Comte unies aux armes de France l’emportèrent. Amédée parcourut en vainqueur la Pouille; mais il ne devait pas voir la fin de l’expédition. Comme il passait sur la terre de Bari, il mourut de la peste à Bitetto, en 1383.
Son cousin Louis, prince d’Achaïe, dont il avait été tuteur, et qui l’accompagnait dans cette expédition, ramena les troupes. De ce dernier fait d’armes la Savoie devait recueillir, outre l’admiration de l’Italie, des agrandissements dont il sera parlé.
Progrès de la Savoie sous le Comte Vert. — Ceux que ce prince avait obtenus déjà, n’épuisent pas tout l’éloge qu’il mérite. Le progrès de sa politique est une partie non moins fameuse de cet éloge. Il faut remarquer que cette politique n’encourt d’échec que du côté de la France, où cela était inévitable. En Italie, malgré des difficultés nouvelles, on voit le Comte poursuivre ses avantages et prendre un rang définitif. Enfin l’éclat de ses interventions hors du cercle immédiat des intérêts de Savoie, annonce de nouveaux essors de sa maison.
L’effort dirigé à l’intérieur vers l’unité de ses domaines ne fut pas moins constant et heureux. Sur tout ceci il convient de joindre l’éclat chevaleresque de sa personne et de son règne. Un fait précis en conserve le souvenir, la fondation de l’ordre du Collier, plus tard nommé de l’Annonciade, l’un des plus illustres de l’Europe et joyau de la dynastie. Tous ces traits répandirent en son temps la renommée du Comte Vert en Europe; ils n’ont pas cessé dans la postérité de justifier son prestige; aux yeux des Savoyards il compte pour un des pères de la patrie.