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MARIE A EVARISTE.

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Mon doux ami, ne me faites pas dire que j’ai eu tort dans notre petite querelle, car je serais bien capable de cette humilité, tellement je suis triste de ne plus vous voir jamais, et d’être toute seule par un si beau temps. Je vous prie donc, Évariste, de m’écrire une petite lettre d’excuses, que je recevrai demain matin, et d’arriver vous-même dans l’après-midi. Vous avez disparu d’une façon si extraordinaire, que je n’aurais pas su où vous écrire (et peut-être nous serions morts l’un pour l’autre) sans la visite récente d’un personnage que je n’aurais pas reconnu, tant il est différent de lui-même, et qui est venu m’annoncer, comme un immense événement, qu’il avait embrassé sa fille, et qu’il voulait que sa fille épousât Schœffer. Je vous parle de M. Chambrun, aux discours duquel je n’ai pas compris grand chose, sinon, que du trône de la reine de ses pensées, je suis descendu au rôle moins éclatant de confidente de son bonheur. Il paraît que depuis que sa fille doit épouser Schœffer, M. Chambrun fait le plus grand cas de vous. Mais revenez donc, mon cher Évariste, après avoir écrit la petite lettre, revenez, revenez! Il y aujourd’hui deux ans tout juste que nous nous sommes rencontrés pour la première fois, à la soirée de madame Dervieux. J’étais une jeune femme alors, assez gaie, disait-on, et pas trop laide, puisque, pendant deux ans, vous lui avez dit trois millions de fois qu’elle était la plus belle femme du monde pour vous. En pareil cas, un homme ne doit jamais raisonner contre une femme, et surtout ne jamais rougir de reconnaître ses torts devant celle qu’il aime. J’ai visité hier, rue de l’Arcade, un très agréable appartement, dont je vous donnerai le détail, après le reçu de la petite lettre d’excuses. J’en ai déjà fait la distribution à part moi: votre bibliothèque sera près de mon salon. Est-il bien prudent à une femme de prendre pour mari un si furieux ami des livres? Cela m’est égal; quand vous lisiez le soir, près de moi, et que je continuais à vous parler, cela vous faisait sourire. J’aime votre sourire, Evariste; sans lui je ne consentirais pas à vivre près de vous. Un mot encore sur M. Chambrun: sa visite, extrêmement courte, s’est terminée sur l’annonce qu’il n’était que de passage à Paris, et qu’il allait retourner à Lille, pour assister à l’éternel mariage de sa fille avec Schœffer.

Tout cela m’a un peu impatientée, parce que je pensais à vous, et que votre absence m’avait rendue de fort mauvaise humeur. Malgré toutes vos protestations, je doute que ce soit vous qui aimiez le plus; citez-moi une seule occasion où je vous aie contrarié pour le plaisir d’être en différend avec vous. Ce n’est pas ma faute si je ne suis jamais de votre avis; vous êtes si distrait quand je parle, que vous ne me comprenez pas toujours exactement, et alors c’est entre nous des explications à n’en plus finir... Cela a été bien délicat à vous de partir ainsi!. et si j’en avais usé de même, et qu’à votre retour on vous eût dit: «Madame est à la campagne et n’a pas laissé son adresse?» Là-dessus, je vous exhorte à bien vous recueillir, pour être sûr que vous êtes capable de passer tous vos jours auprès de moi, sans trop me tourmenter. J’ai fait de sérieuses réflexions, mon cher Évariste, et je ne donnerai ma main qu’à celui dont je serai sûre d’être bien aimée. Cela est une demande; répondez, et surtout revenez.

Évariste à Marie.

Je vous aime trop, et je serai de retour à Paris demain soir. J’ai eu quelque peine à décider Paul Tingry à un départ aussi précipité ; mais enfin il m’accompagnera; son désir de vous voir est grand. Il vous admirera, et je suis sûr que vous l’estimerez beaucoup.

Obéissant à votre ordre, je vous demande pardon... d’avoir pu croire que vous étiez bonne. N’importe, je suis tout à vous, et pour la vie. J’ai même peur, Marie, de l’ardeur inouïe avec laquelle tout moi se réfugie en vous. Ah! ma belle chérie, quelle fête!

Je vous écris de la salle à manger de mon oncle, et je suis interrompu par l’arrivée de Marianne et de Schœffer. Marie, gardez-vous de rire, ou de perdre patience, quand on devrait vous répéter cent fois tout de suite, qu’ils seront unis. Chambrun ne peut rien contre eux, et tout le monde est disposé à tout faire pour lui, si le nouvel homme, que ses discours et ses regards promettent, n’est pas le fragile masque de l’ancien. Mais ne faisons pas des succès à venir une condition de notre joie présente. Je veux jouir, sans mélange de crainte, de l’espoir de vous revoir demain, pour ne vous plus quitter, je veux jouir de ce pur soleil, et du spectacle délicieux de Marianne et de son mari. Tous deux ils sont jeunes et sincères, et le mensonge ignore la route de leurs lèvres.

Vous les verrez, Marie, et je crois qu’ils vous deviendront chers. Je crois, surtout, que vous ferez une très vive et très heureuse impression sur l’esprit de Marianne, à laquelle je parle de vous tout en vous écrivant.

A demain, et à toujours!

Il est midi; Dieu lui-même paraît sourire à la terre, dans la lumière clémente de l’astre qui a réjoui tous les hommes depuis la naissance du premier; il est midi, c’est l’heure du meilleur rêve et de la meilleure prière. Le concert des oiseaux, le murmure de la brise, le chant de la sève dans les grands arbres, et l’espoir infini du cœur humain, se fondent dans une même voix, et cette voix, au lendemain des jours sombres, redira encore à ceux qui viendront après nous:

«C’est bien fait d’aimer!»

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