Читать книгу Nouvelles anciennes - Louis Dépret - Страница 21

Оглавление

JANE

Table des matières

I

Table des matières

Jane! ce n’est point ta faute, belle miss, si je n’ai pas été un libérateur de peuples!

Jane! Vous ne trouverez pas ce nom dans les mémoires politiques du temps. Ce nom existe à l’état de phare, seulement dans une volumineuse série de lettres, que j’adressais quotidiennement, dans ce temps-là, à un ami mort l’automne dernier. Sa veuve a eu la pensée de me les restituer. C’était un rajeunissement imprévu, la plus curieuse et la meilleure année de ma vie, qu’on me rendait là pour quelques heures.

Je relus une à une, avant de les brûler, ces pages de mince papier qui durent plus longtemps que nous.

A chaque ligne: Jane!

II

Table des matières

J’avais dix-sept ans et quelques mois; je venais d’achever ma philosophie; c’est alors que mon oncle et tuteur Adalbert m’envoya chez un de ses amis, le docteur Williams, sur le point le plus verdoyant, parmi les plus beaux châteaux et les plus vieux arbres de la vieille Angleterre. Si je ne précise pas davantage, c’est à cause des susceptibilités vraiment inimaginables de plusieurs notables du pays.

Quel changement à vue!

La veille au soir, je recevais, en pleine France, les sages avis de mon oncle Adalbert; et le matin suivant, après une nuit fantastique et terrible, passée sur la mer que j’affrontais pour la première fois dans les pires conditions au temps funeste des équinoxes, je voyais se dessiner dans les premiers feux de l’aurore les fameuses côtes blanches.

Alors un flot d’espérance et de bonheur rompit les digues qui l’enchaînaient au sein de Dieu, et fondit dedans moi.

Alors toutes les évocations de l’histoire, tous les fantômes de la légende, tous les frémissements de l’inconnu m’assaillirent ensemble.

Pendant un an, je vécus de lyrisme, de courses folles à cheval, et de thé mélangé. Petit poney! gai compagnon prêté par l’amitié ; seul confident sous ce beau ciel, en ces fraîches aurores, de mes ambitions joyeuses, de mes poëmes indicibles: où es-tu, petit cheval? Où êtes-vous, jeunesse, audace espérance! je croyais alors que je vivrais toujours, l’âme vibrant sans cesse au vent d’une incomparable forêt, où j’allai tous les jours avec Lamartine, Hugo, Musset, Byron... et une fois avec Jane!!

III.

Table des matières

C’était une fillette de dix-sept ans... mince et frêle... la tête noyée dans une mer de cheveux châtains. Son regard fixe et réfléchi, l’invariable nuance de son teint annonçaient une âme plus rigide que tendre. Elle avait un frère, clerc chez un avoué du district et ne rêvant que d’aller s’amuser à Londres (l’ingénu!)

On m’avait présenté chez sa mère, riche bourgeoise, et travaillée de cette ardeur de propagandisme qui est au fond de toute Anglaise. Celle-ci en avait surtout contre les Mormons, qui venaient de bouleverser la ville, en disant en public un bien énorme de la polygamie.

La mère de Jane ne m’honora que d’une attention relative. Elle ne me trouvait point assez grand, et ne pensait-pas bien de mon nez. Mais c’était une femme pratique, et elle venait de découvrir un procédé pour se perfectionner dans le français, sans qu’il lui en coûtât rien que d’ouvrir la bouche et les oreilles. On confectionnait à merveille dans cette maison une certaine espèce de rôties... et je me rejetais volontiers sur cet intermède.

A notre seconde entrevue. Jane, en me versant du thé, me prit directement à partie, et m’interpella sur la Hongrie, qu’elle prononçait Onn’guéré..

Le lendemain, je trouvai la jeune fille seule au logis. Sa grâce un peu sauvage, mais nouvelle pour mes yeux, avait d’un seul geste saisi mon cœur. J’allai vers elle, débordant de strophes, de soupirs, de passion première et de serments.

Elle tenait à la main un numéro du Times.

— Connaissez-vous Louis Kossuth? me dit-elle.

— Sans doute. Pourquoi pas? de nom du moins.

L’étrange question!

— C’est bien! nous verrons. Attendez un peu. Je vais savoir si vous faites quelques progrès dans notre langue.

Elle m’avança le Times, et m’invita à lui lire tout haut une correspondance de Pesth.

Je lus assez bien, j’imagine, puisque Jane ne me reprit point. Quand j’eus fini, il lui échappa cette exclamation.

— Oh! dear!

Ce qui littéralement signifie: oh cher!

La joue en feu, la voix étranglée, je la contemplai, ne demandant qu’à perdre la tête ou à me mettre à genoux, au choix de la partie intéressée.

Plus tard, je sus que: Oh dear! lancé par l’auditoire au milieu d’une lecture, ne signifie plus: Oh cher! mais quelque chose d’analogue à notre: Tiens! tiens!

IV

Table des matières

Cependant mes relations d’intimité avec Jane augmentèrent en raison des progrès de son apostolat. Attendu que je devenais froid au seul nom de la Hongrie, il était clair que j’appartenais à Jane. Et elle?... Non, elle n’avait pas encore jeté sur un autre homme ce regard profond, aurore boréale d’un amour vierge et vertueux. Elle m’aimait, cela s’entend... et nous avions beau ne nous plonger dans les demi-mots, les entrevues secrètes et les soupirs d’intelligence, qu’au nom des nationalités, nous sentions tous deux que nos dix-huit ans n’allaient bientôt plus s’insurger seulement contre les grands Etats dominateurs des petits... L’explosion était inévitable.

Dans l’intervalle, comme il ne fallait pas perdre de vue l’histoire qui avait les yeux sur nous, je crus devoir à notre cause un premier holocauste. La victime fut mon oncle Adalbert. J’écrivis à cet excellent homme que, malgré toutes les bontés dont je lui étais redevable, il n’occupait plus dans mon cœur que la seconde place, la première appartenant de droit à celui qui avait arraché à son lâche sommeil mon âme engourdie, et l’avait animée de pitié et d’amour pour les faibles opprimés... c’est-à-dire à l’immortel Kossuth.

A ce manifeste loyal, mais incongru et inutile, mon oncle fit une réponse qu’on devrait non pas lire, mais chanter au son des flûtes d’Arcadie: «Mon neveu, ton cœur est son maître... mais il est des choses (et l’amitié est de ce nombre) qui ont besoin de la consécration du temps.»

V

Table des matières

Je sentais qu’entre Jane et moi il allait y avoir un lien. Nos serrements de main avaient toujours des pressions à l’Harmodius, des temps d’arrêt à l’Aristogiton.

Nous étions au commencement de mai.

Les sources gazouillaient dans les fentes rocheuses du grand bois; les petits oiseaux s’ébattaient sur les branches qui avaient vu rêver Shakespeare.

Toute la nature chantait la fête de la jeunesse, et le renouveau tressaillait même aux cœurs de quatre-vingts ans.

Le matin, j’avais (rare audace!) donné un baiser à Jane sur le front, et au lieu de s’indigner, elle m’avait dit:

Ce soir, à six heures, dans le grand parc.

Nous voilà donc, au milieu de la forêt sublime, le bras de Jane sous le mien... O souvenir! Elle ne se détournait pas... Les daims intrigués nous contemplaient d’un œil bête et encourageant. Jane, pensive, semblait attendre un hymne.

— O lumière! lui dis-je, parfum et harmonie!...

Elle se détacha vivement de moi, et un regard froid, pénétrant et résolu comme une pointe d’acier accompagna ces paroles.

— Il faut, Raymond, partir ce soir.

Non, non, non... de l’amour, infiniment d’amour... mais sans crime, ou tout au moins sans délit.

— Incomparable-Jane, n’ignorez pas plus longtemps que je suis en tout à la tête de onze francs...

— C’est plus qu’il ne faut pour vous aller à Londres, lui parler, le voir, nous mettre à ses ordres!

Le voir, qui donc? Question superflue! Je sentais bien qu’il ne s’agissait pas du forgeron de Gretna-Green, mais de Notre père et nourricier moral, de Kossuth, parbleu!

Oh! mon premier rendez-vous!... D’ailleurs, les sources continuèrent à gazouiller, les feuilles à bruire, les petits oiseaux à voleter d’une branche à l’autre... mais les cerfs impatientés s’en allèrent dormir chez eux. Pour moi, cette austère conclusion d’un programme si tendre m’avait étourdi. D’ailleurs, je promis de partir; et en effet, non pas ce soir même, mais le lendemain, j’allai à Londres.

Il demeurait alors dans le voisinage de Regent’s-Parck. La seule vue de sa porte me glaça. Comment m’y prendre pour lui offrir nos deux têtes et mes onze francs? J’entrai cependant; mais quelle ivresse d’entendre dire qu’il était sorti!

Tranquillisé sur ce point, je me promenai une demi-heure dans sa rue. Puis j’allai, dans un cabinet de lecture, écrire à son adresse une lettre dont nulle épithète ne saurait donner une idée... et je retournai là d’où j’étais venu.

Le célèbre patriote daigna répondre à cette lettre quelques lignes fort sensées qui n’empêchèrent pas Jane de me mépriser par la suite.. Je ne l’avais pas vu, donc elle s’était trompée sur mon compte... donc j’étais un traître.

VI

Table des matières

Elle rêvait d’aller elle-même auprès du grand Hongrois, quand on la maria, elle la fière et chaste Jane, à un riche marchand de comestibles de Bond-Street. Moi-même, je regagnai la France. Je suis resté une nature très sensible, et l’ange du célibat ne gémit pas encore sur ma désertion. Il y a dix ans de cela, dix mille siècles!

Nouvelles anciennes

Подняться наверх