Читать книгу Nouvelles anciennes - Louis Dépret - Страница 20

Оглавление

LE ROMAN D’HERMINIE

Table des matières

ou comment on devient greffier.


I.

Table des matières

Un greffier mélancolique avec lequel, dans des jours plus tranquilles, j’ai fait souvent ma partie de dominos sous les voûtes du paisible Café Minerve, m’adrese de Langres une lettre ainsi conçue:

«Monsieur,

» Je l’ai brûlé... j’ai eu ce courage; mais, qui me donnera celui de ne point pleurer? J’ai réalisé tout ce qu’on pouvait attendre de la fermeté d’un greffier... Monsieur, je ne suis qu’un homme après tout. Sous le fonctionnaire impassible... cet homme souffre... Je l’ai brûlé.

— Qu’a-t-il brûlé ? direz-vous.

Et moi je vous réponds:

C’était un joli manuscrit, sur papier à lettres vergé, satiné, avec mes initiales, gravées au timbre sec sous une couronne de vicomte. C’était un joli manuscrit, car j’ai une belle main, et j’excellais, jadis, aux joûtes vertueuses des pleins et des déliés.

La couverture de ce joli manuscrit était bleue, et le titre en était noir.

Herminie ou le Vœu sinistre, tel était ce titre.

Une année venait de se passer entièrement dans la société d’Herminie, créature impalpable, qui avait reçu le jour dans mon imagination, et me comblait en retour de faveurs idéales. J’avais alors vingt ans.

Mon manuscrit achevé, j’adressai une lettre attendrissante à M. Cousin, membre de l’Académie française, homme sévère, mais juste, que je ne connaissais pas le moins du monde.

Dans cette lettre, je commençais par demander à M. Cousin un peu d’amitié ; puis, je lui exposais mes idées sur l’art, sur le beau, sur la femme, et enfin, je le priais de m’envoyer par retour du courrier, une demi-douzaine de conseils paternels.

Je me rappelle textuellement mon post-scriptum:

— Cher maître, donnerai-je Herminie à la Revue des Deux-Mondes, ou la publierai-je immédiatement en librairie?

La question était vive et épineuse à la fois. M. Cousin n’osant se charger du soin de la résoudre, ne me répondit pas.

Cependant, tout le monde, à Langres, me méprisait ouvertement. J’en étais fier... Moi aussi, j’étais donc un martyr de la grande cause, un lutteur, un pionnier, un méconnu. Il n’aurait rien manqué à mon bonheur, si mon flanc avait bien voulu saigner un peu. De quel prix n’eussé-je point payé un petit vautour d’occasion, qui aurait fait semblant de me ronger le foie... devant le monde!

II.

Table des matières

Sur ces entrefaites, débarqua à Langres un charmant jeune homme brun, très bien mis, chargé de moissonner des souscripteurs à l’Adamastor, revue nouvelle des arts, des sciences, des lettres et de la corseterie.

Langres me l’adressa d’une commune voix. L’Adamastor coûte 60 francs par an; j’hésistais, mais le jeune homme brun me dit:

— Monsieur, l’Adamastor est une tribune ouverte à toutes les voix éloquentes, et le directeur compte beaucoup sur la vôtre... autrement dit, si vous disposez présentement de quelque manuscrit, ne vous gênez pas.

J’invitai le délégué de l’Adamastor à un déjeûner, qui me coûta le prix d’un abonnement de six mois, et acheva de me déshonorer chez mes concitoyens. Mais, au gloria, je lus Herminie au jeune homme brun.

Il pleura, le beau, le tendre, le noble jeune homme brun, et quand j’eus fini, il trouva seulement un mot à me dire: mais que ce mot était juste, vrai, profond, marqué au coin de l’à-propos et de la conviction. Il dit seulement: «C’est beau!»

Par le courrier suivant, j’adressai au directeur de l’Adamastor mon manuscrit, plus soixante francs en un bon de poste, et l’assurance de ma considération distinguée.

A quinze jours de là, je reçus le premier numéro de mon abonnement.

L’Adamastor était d’un format extrêmement vaste, le facteur vexé m’en fit l’observation en ces termes un peu libres:

— Ce n’est pas la poste, ce sont les messageries qui devraient se charger de ça.

— Que voulez-vous que j’y fasse?

— Dame! vous devriez en écrire à ceux de Paris, au directeur.

— Je ne le connais pas.

— Alors, c’est bien différent; je croyais que vous étiez de la bande...

Oh! Homère! oh! Alexandre Dumas! il était donc écrit que vos sectateurs et ceux de Mandrin porteraient le même nom chez la postérité !

III.

Table des matières

Je restai deux mois (deux siècles!) sans nouvelles d’Herminie, et je pris le parti d’écrire au directeur. Il me répondit qu’il avait besoin de causer avec moi, avant de prendre une détermination sur ce sujet. Deux jours après, à neuf heures du matin, le fiacre qui me transportait moi et mes bagages depuis la gare de l’Est, s’arrêtait devant les bureaux de l’Adamastor.

Je trouvai porte de bois, et laissai deux cartes cornées à l’adresse du directeur.

C’est l’usage à Langres, de laisser deux cartes dans les maisons où l’on fait visite. Cette prodigalité signifie à la fois, un certain détachement des biens du siècle, et le désir de faire convenablemeut les choses.

Je ne quittai point mon hôtel de la journée, attendant toujours, mais en vain, le directeur. Le lendemain, je retournai chez lui, et fus reçu dans une antichambre malpropre, par un borgne, qui avait mal aux dents. Le borgne ne me rendit pas mon salut, et m’annonça que le directeur n’était parfois visible que de trois à cinq heures.

A trois heures j’étais à mon poste. Le directeur, absorbé dans l’élaboration du prochain numéro, me remit au samedi suivant. Le borgne me transmit les ordres de son maître dans ces termes:

«Samedi, vous êtes certain de trouver M. le directeur, s’il pleut.»

Le samedi venu, il ne plut pas; mais l’atmosphère était lourde, le ciel gris, cela me suffisait. Je fus reçu.

Le sultan m’avertit, sur un ton de complaisance marquée, qu’il n’avait que trois minutes à me donner, qu’il était assassiné d’affaires... il fumait sa pipe et lisait le Figaro.

— Monsieur, lui dis-je, je viens au sujet d’Herminie...

— Herminie, qu’est-ce que c’est que ça?... Ah! très bien, je me rappelle... J’ai énormément d’observations à vous adresser là-dessus. Le temps me fait défaut aujourd’hui; mais je me réserve de vous écrire prochainement. Votre serviteur.

De retour à Langres, je racontai d’un air dégagé, que j’avais mes entrées au Gymnase, et que Montigny (si j’avais dit M. Montigny, personne ne m’aurait cru) me demandait trois actes.

IV.

Table des matières

A mes pressantes lettres, le directeur ne se lassa point de répondre que ces choses-là se traitent mieux verbalement, et qu’à mon prochain voyage à Paris, nous nous entendrions. C’était l’époque des renouvellements, je me réabonnai. Je dus attendre quatre mois avant de revoir le borgne. Il daigna me reconnaître, et fut moins sévère; s’il avait seulement souri, je l’invitais à dîner! La première fois, je manquai le directeur d’une minute.

Je me fis une molle habitude d’aller deux fois par jour au bureau de l’Adamastor, m’entendre dire par le borgne: «Vous n’avez pas de chance.»

Enfin, un rendez-vous fut pris entre cet invisible et moi, pour un certain lundi, jour que j’avais fixé pour mon départ.

Au dernier moment, l’entrevue fut décommandée, et remplacée par l’avis suivant:

«Cabinet du directeur.»

«Herminie ne nous déplaît pas, seulement, il faudrait corriger le titre et le ton trop personnel de l’ouvrage.»

Autrement dit changer l’enseigne et le mobilier de la maison.

Le directeur n’ayant pas mon manuscrit par devers lui (c’est son mot), j’attendis quatre mois dans ma ville natale le résultat de ses fouilles.

En octobre, on m’envoya Herminie, que j’allai moi-même restituer à l’Adamastor dans le courant de mars, moins sentimentale et réduite de moitié.

Tant de persévérance me valut la promesse écrite, que, moyennant plusieurs autres coupures jugées utiles, Herminie prendrait son rang.

J’abrège, monsieur; j’allai encore sept fois à Paris (songez, que je n’ai jamais vu les Invalides, ni l’Opéra) pour assister chaque fois à une nouvelle mutilation d’Herminie, accompagnée de ces mots du directeur:

— Hé ! hé ! cela commence à prendre une tournure!...

Bourreau!

A mon douzième voyage, les ratures directoriales n’avaient épargné que mon nom, quand la Revue cessa de paraître; j’avais perdu quatre ans, et deux mille écus à ce jeu fantastique... Voilà comment on devient greffier.

C’était un joli manuscrit, je l’ai brûlé.

Agréez, monsieur, etc.

A. R.

Nouvelles anciennes

Подняться наверх