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UN BEAU DIMANCHE.

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Ce jour-là, j’étais subjectif, comme disent les scholars. Je subissais une de ces tristesses intimement harmonieuses, qui se partagent ma vie avec les illusions de la lecture et les troubles de la sensibilité.

C’était un beau dimanche. Or, le dimanche, à Paris, à Londres, aux champs ou à la mer, est mon jour de mélancolie. Cette mélancolie, où les circonstances extérieures n’entrent pour rien, exécute simplement l’arrêt du mystérieux destin qui me l’impose. Ainsi, je devinerais à certain état de mon âme qu’il est dimanche, sans avoir besoin de dénombrer les jours précédents. Alors, les conditions ordinaires de la vie S’altèrent pour moi. Je ne souffre pas précisément de la tête ni du cœur, mais le sens de l’activité m’abandonne, et, faible et vain, je me replie.

Est-ce une religion involontaire qui courbe tout mon être vers ce recueillement? Je le voudrais, Seigneur! Je sais seulement que dès mon premier âge il en fut ainsi. Peut-être encore les habitudes d’isolement et d’ennui que j’ai contractées durant soixante dimanches successifs passés dans la brumeuse Angleterre, sont-elles l’origine de cette désolation périodique.

Donc, le dimanche venu, je me lève tôt ou tard... il n’importe;. j’ouvre sans intérêt le premier livre qui me tombe sous la main; je me penche hors de la croisée, je regarde les Auvergnats jouer au piquet sur le seuil de la maison d’en face... mais mon cœur n’est point là. Il est tout avec vous, chères ombres nu passé ! Je me dis: O ciel! pourquoi ce qui est cesse-t-il d’être?

En vraie jeune veuve de Paris, vous avez tout de suite décidé que le dimanche m’est pénible parce qu’on y voit les rues encombrées de petits marchands inconnus, s’amusant à croire qu’ils prennent l’air. Je n’aimai jamais, il est vrai, d’être poussé par la foule; mais j’aimais encore moins de tomber dans votre cottage de Louveciennes, au milieu de vos oncles et de vos frères qui vous tutoyaient, vous embrassaient à l’arrivée et au départ, et me forçaient de vous dire toujours: madame.

Cependant, jusque-là, mon chagrin des plus noirs dimanches n’avait pas approché le désespoir.

Mais, le dimanche 27 juillet de l’année 1861, j’eus de bonnes raisons pour être tout à fait morose. Dans la soiree du samedi, nous nous étions dit un éternel adieu à la suite d’une querelle très offensante à propos de fleurs, et pour m’achever, vous avez fait l’éloge de ce monsieur Chambrun, que je méprise, et qui ose s’attacher à vous. L’aurore suivante éclaira l’agitation la plus cruelle où j’eusse jamais été plongé après une dure insomnie.

A midi, on me remit une lettre d’écriture inconnue et timbrée de Lille. Je lus:

Pont-de-Canteleu, (par Esquermes) 25 juillet 1861.

«Mon cher Évariste,

» Il y a longtemps que j’ai un très vif désir de vous

» revoir. Aux approches de l’été, ne songez-vous pas à

» vous rafraîchir un peu le sang loin des restaurants

» incendiaires et du macadam?...»

Il y avait quatre pages de ce style correct, mais privé d’originalité. Le tout était signé : Paul Tingry.

Tingry est le nom de famille de ma mère, dont Paul était le demi-frère, étant né d’un premier mariage de mon aïeul maternel, lequel fut un vert galant, mais sans oncques frauder l’Eglise. D’après mes plus lointains souvenirs, Paul Tingry avait à Lille un renom d’excentricité. Il montait à cheval, faisait des armes, jouait du trombone, et collectionnait de vieux saladiers. Je quittai Lille trop jeune pour en savoir davantage, et depuis lors, j’avais oublié Tingry. Sa lettre, en le ressuscitant pour moi, mentionnait que si on obligeait Paul à passer à Paris le mois de juillet, ce serait pour lui une sentence de mort. Enfin ce doux homme me priait avec d’affectueuses instances de devenir son hôte pour le reste de la belle saison. Il y avait plus de trois ans, Marie, que je n’avais erré le matin sous les arbres. En outre, Tingry, mon demi-oncle (c’est son vrai titre), suscitait pour me déterminer des tentations empruntées à l’archéologie, au prestige du sol natal et au respect des aïeux.

Il m’annonçait que l’agrandissement de Lille tendait à être un fait accompli, très intéressant pour un enfant de l’endroit (je cite). Déjà les remparts, jadis attenant aux portes de Béthune et de la Barre, avaient été rejoindre ceux de Thèbes et d’Illion, et la région située autour de l’ancien Calvaire n’était plus reconnaissable.

Je résolus de partir pour Lille le lendemain. Chère Marie, notre brouille en fut la cause. Un mois auparavant, l’offre d’un trône n’eut pas su me tenter d’abandonner pour deux jours seulement la rue de Laval. Pour combien de temps ai-je dit adieu à ce cher entresol?

Le salon donnait sur un jardin. De cette étroite maison, vous avez su faire une chapelle par votre sagesse, et un nid par votre amitié !

Ah! les ineffables jours!

J’aurais beau vouloir m’en défendre (or, jamais je ne le voudrai), je vous verrai toute ma vie assise solitaire devant votre table à ouvrage. Un livre est ouvert sous vos yeux; tandis que vous lisez en m’attendant, l’eau bouillonnante chantonne au coin du feu, les deux tasses japonaises sont encore vides. Huit heures sonnent, j’arrive. Ai-je été une seule fois en retard d’une seule minute? Mes poches débordent de journaux et de manuscrits... On vous lira tout, puisque vous le demandez. Et quand, à dix heures, vous me montriez du doigt la pendule, j’étais si triste! Salut à vous, âme raisonnable et charmante!

La dernière fois que je vous vis, je pris par les boulevards pour retourner chez moi, et ce soir-là, Paris, malgré ses cafés rayonnants et la cohue des passages, me causa la même mélancolique impression que les rues de Bruges.

Et puis, je découvris que c’est attendrissant d’empiler ses livres, ses habits, ses lettres, de fermer les tiroirs, de dire qu’on s’en va...

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