Читать книгу Mésalliance - Marcel Dhanys - Страница 10

Оглавление

VIII

Table des matières

Claude d’Oraison à Geneviève de Bonneval.

A Aix-en-Provence, le 21 avril 1694,

Tu n’espères point, mon cœur, que je te conte par le menu cet infini voyage. Tu sauras seulement que je mourais de peur à la seule pensée de cette terrible descente du Rhône, Mme de Grignan nous ayant fait un fort effrayant récit du grand risque qu’elle courut lors de son premier voyage en Provence, un mistral furieux ayant failli briser leur barque sur les piles du pont de Beaucaire. Mais, grâce au ciel, nous pûmes descendre sans encombre ce Rhône impétueux

Nous sommes céans depuis trois jours, dorlotées le mieux du monde par les bonnes religieuses en nos qualités de sœur et nièce de Mme l’Abbesse. Elle est fort imposante, Mme l’Abbesse, mais pas quand elle est avec tante Isabeau: elles ne font que se disputer. C’est une habitude prise dès l’enfance, et dont elles ne peuvent se défaire quoiqu’elles prétendent s’adorer.

Tante Isabeau gémit sur les longueurs et les fatigues du voyage.

— Eh! dit Mme l’Abbesse, d’autres que vous l’ont fait, ce voyage, et pour aller chercher, non les plaisirs du monde, mais bien les austérités du cloître.

— Permettez-moi de ne pas vous faire mon compliment de vous être venue enterrer dans cette province. S’il s’était agi d’un mari, passe encore, mais à tant qu’épouser Jésus-Christ, point n’était besoin de le venir chercher si loin; vous vous pouviez tout aussi bien cloîtrer à Paris.

— Que ce soit à Paris ou à Aix, vous eussiez bien mieux fait de suivre mon exemple.

— Et Claude? Qui se fût occupé de la marier? Ce n’est pas son père toujours: un égoïste qui ne pense qu’à soi... tout votre portrait, du reste.

— Si je ressemble à notre frère, vous ne ressemblez à personne de notre famille, vous, car, avant vous, elle ne compta jamais de tête folle parmi ses membres. Et pour ce qui est du mariage de Claude, eh bien! elle ne se serait pas mariée, cette petite, et n’en serait pas plus malheureuse pour cela.

Mais, n’en déplaise à Mme l’Abbesse, je n’ai pas plus d’inclination pour le cloître que pour le célibat; aussi, quand elle propose de me garder pendant l’été au monastère, je ne puis qu’approuver en mon cœur l’énergie avec laquelle tante Isabeau lui répond:

— Il ferait beau voir que ma nièce eût entrepris un si long voyage pour s’enfermer derrière vos grilles!

Ce ma nièce a le don d’exaspérer Mme l’Abbesse:

— Vous avez beau dire: ma nièce; heureusement pour elle, à la juger sur son visage; on la prendrait plutôt pour ma nièce à moi, car elle est, en vérité, tout mon portrait quand j’avais son âge.

Le portrait de Mme l’Abbesse! Ah! bien, c’est flatteur pour moi! Mais la ferme protestation de tante Isabeau me rassure:

— De bonne foi, ma chère, avouez que si vous aviez été, en votre temps, aussi friande à voir que cette petite, vous auriez tenu à crime de vous embéguiner!

Et voilà les douceurs qu’après vingt ans de séparation se disent ces sœurs qui s’adorent!

Le Marquis m’avait chargé de ses souvenirs pour sa sœur, Marie-Blanche, qui est son aînée d’un an. Elle est religieuse en ce monastère depuis huit ans, sous le nom de Mme Sainte-Françoise.

J’ai souvent entendu Mme de Sévigné parler avec une extrême tendresse, dans ce qu’elle appelle ses «radoteries d’aïeule», de Marie-Blanche qu’elle avait élevée et baptisée «mes petites entrailles». Elle était toujours prête à s’attendrir sur «la chienne de vie» qu’elle devait mener au fond de son monastère.

Sœur Sainte-Françoise a gardé, sous le voile, ces beaux yeux bleus que Mme de Sévigné déclarait incomparables, son teint éblouissant de fraîcheur, le pur ovale de son visage; quant à ses cheveux noirs, les plus beaux du monde, disait-on, je ne les pus apercevoir sous le voile et la guimpe. Elle a un air de mélancolie qui en dit long sur ce que les amis de Mme de Sévigné appellent «sa vocation équivoque».

Je me réjouis, à la voir, de n’avoir point, comme elle, de frère à qui être sacrifiée.

Il paraît qu’il avait été un instant question d’envoyer Pauline la rejoindre, sous prétexte d’une non moins équivoque vocation, mais Mme de Sévigné a tant fait qu’elle lui a épargné le cloître, ce dont elle ne doit pas manquer de lui être grandement reconnaissante, étant donné ce que je sais de son goût pour le monde.

Aurais-tu entendu dire que, pour vouloir soutenir avec trop de magnificence l’éclat de leur charge, la fortune des Grignans s’est fort amoindrie? On parle même d’embarras sérieux dans leurs affaires, et cela ne laisse pas d’inquiéter tante Isabeau. Mon père a déjà refusé pour moi des alliances honorables mais peu avantageuses. Consentira-t-il à me laisser entrer dans une famille riche de gloire, certes! mais qui n’a gardé que cela de ses grands biens?... Je veux espérer cependant; le Roi ne saurait manquer de donner au Marquis des marques effectives de la faveur dont il l’a toujours honoré, surtout après qu’il lui a permis d’acheter au chevalier de Grignan sa charge de Colonel.

Nous partons demain pour Grignan. Ce qui doit advenir de ce voyage, je le saurai bientôt et ne manquerai pas de t’en informer, ma très chère.

Ta CLAUDE.

Mésalliance

Подняться наверх