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ОглавлениеClaude d’Oraison à Geneviève de Bonneval.
A Dijon, le 9 avril 1694.
Tu n’en crois pas tes yeux, n’est-ce pas? Pourtant, mon cœur, tu n’as pas la berlue, c’est bien de Dijon que la présente est datée. Comment il se fait que je sois ici, j’en suis encore toute surprise. Après m’être fort divertie des imaginations de tante Isabeau touchant les songes, j’en viens à leur faire réparation et ne me permets plus de les traiter de billevesées.
La raison d’un tel revirement? C’est précisément le présent voyage si subitement résolu que je ne te l’ai pu annoncer avant mon départ; mais je veux profiter de la courte halte que nous faisons en cette ville pour t’en informer. Quand tu liras ces lignes, je serai bien loin de toi, tout à l’autre bout de la France; j’aurai vu les merveilles du château de Grignan. Oui, mon cœur, tante Isabeau et moi nous faisons route vers ce royal château de Grignan.
Tu sais que tante Isabeau était fort liée avec Mme de Grignan du temps que celle-ci n’était encore que «la plus jolie fille de France.» Elles ont renoué connaissance pendant les deux années que la Comtesse vient de passer à Paris près de sa mère. Je me suis, de mon côté, liée avec Pauline d’une amitié que nos familles ont fort encouragée.
Le Marquis ayant passé l’hiver à Paris, en attendant d’aller se remettre à la tête de son régiment, j’ai eu l’occasion de le rencontrer très souvent, et la vérité m’oblige à avouer qu’il ne me parait pas voir d’un trop mauvais œil.
Nous avons été voir ensemble, je veux dire la Comtesse, Pauline et le Marquis, la magnificence des présents que l’on a offerts à Mlle de Louvois. Il y a un mois que tout cela est exposé au public. J’admire, avec la Comtesse, que ces merveilles n’aient point été pillées comme ces grands festins dont la vue fait succomber à la tentation.
M. de Reims a donné, outre beaucoup de louis d’or, qui ont accompagné ceux de Mme la Chancelière et de Mme de Bois-Dauphin, et ceux d’un des coins de la cassette de pierreries de la Maréchale de Villeroy, deux pendeloques qui ont appartenu à Mademoiselle et que l’on n’estime pas moins de douze mille écus.
C’était chose fort plaisante d’entendre la Comtesse dire en parlant de celle qui possède toutes ces merveilles:
— La pauvre créature! Comme le roi Midas, elle doit être furieusement importunée de tout l’or dont elle est chargée!
Trois jours avant notre départ, j’ai été au bal de la Maréchale de Villeroy. Ce Marquis danse à ravir: «C’est prodigioux! dirait M. Pirouet, oune grâce! oune légèreté ! Ce jeune seigneur, sans mentir, il danse comme oun ange!
J’ai dansé le passe-pied avec lui, et je crois que ton humble servante n’a pas été trop au-dessous «du premier danseur de France» Sans compter que je n’étais pas précisément à faire peur. Vezin s’était surpassé pour ma coiffure: deux passagères, tu sais, ces grosses touffes bouclées, près des tempes, accompagnaient à merveille ma fontange et étaient retenues par des souris de satin blanc dans lesquelles étaient piqués quatre guêpes et deux papillons en diamant. Mon grand manteau de satin blanc ouvrait sur un corps de jupe feuillagé d’argent.
— Le plus beau couple, s’exclamait tante Isabeau qui vient toujours m’aider à me défaire en rentrant du bal, vous serez le plus beau couple de la cour!
— Eh! tante Isabeau, comme vous y allez! ce mariage n’est fait que dans votre imagination!
— Il se fera en réalité, ma nièce, aussi vrai que le mien ne s’est, hélas! pu conclure!
Tu penseras, comme moi, que tante Isabeau pourrait bien avoir raison, quand tu sauras que la Comtesse a fait à mon père les plus vives et les plus aimables instances de ne me point séparer de Pauline, et de me permettre d’aller avec elles à Grignan avec tante Isabeau.
Mon père, qui avait pris ses habitudes et n’avait souffert qu’impatiemment de les changer pour moi, à ma sortie du Couvent, a consenti, bien aise à la perspective de retrouver, pour quelques mois, sa chère liberté. Et nous voici en route pour Grignan; mais, devant que d’y aller, nous nous arrêterons, tante Isabeau et moi, à Aix pour voir ma tante, Abbesse au Couvent de la Visitation.
Te dirai-je l’adieu du Marquis? Comme je montais en carrosse, il me glissa dans la main ce ravissant triolet:
Le dernier jour du mois de mars
Est le dernier jour de ma vie:
Hélas! à six heures trois quarts,
Le dernier jour du mois de mars,
Claude se prépare au départ;
Elle s’en va dans sa patrie:
Le dernier jour du mois de mars
Est le dernier jour de ma vie!
Qu’en dis-tu, ma toute belle? Cela n’est-il pas du dernier galant? Et ne crois-tu pas que, de cette lointaine Provence, la Claude qui t’aime de tout son cœur pourrait bien te revenir Marquise?