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IV

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Catherine de Saint-Amant à Denyse Feuquières.

A Paris, le 12 mars 1694.

Je suis, ma Nysette, au comble de la joie. Tu sauras que, depuis peu, Margot s’enferme dans sa chambre et passe de longues heures avec un certain cahier vert. Ce que contient ce mystérieux cahier, je l’ignore; mais peut-être n’aurai-je pas à m’y prendre à trois fois pour le deviner. L’empressement de Margot à le fermer, dès que j’apparais seulement sur le seuil de sa chambre, sa rougeur quand je la questionne sur le contenu du cahier, ses rêveries, tout cela me permet d’affirmer que Margot est amoureuse.

Je souhaite qu’elle ne s’attarde pas trop longtemps à cette facultative préface du mariage. Je la voudrais déjà Marquise ou pour le moins Comtesse. Elle sait que notre père a résolu de nous marier à des hommes de qualité, nul doute que ses inclinations ne soient conformes aux vues si sages de notre père.

Ma sœur établie, ce sera mon tour, enfin! Je n’ai pas à t’apprendre qu’il m’en tarde fort. Je n’ai cependant, moi, nul besoin d’écrire mon journal, n’ayant pas de tendre secret à confier. Mais si je ne tiens à aucun galant cavalier en particulier, en revanche, j’ai une furieuse inclination pour le titre de Duchesse ou de Marquise.

Ce n’est pas d’hier que cette ambition m’est venue. Cela remonte au jour même de mon entrée au Couvent de Sainte-Marie. J’avais tout juste dix ans. Je ne sais qui les avait renseigées sur notre compte, mais, en récréation, toutes les Rouges de ma classe m’étaient venues regarder sous le nez.

— Vous savez, disait l’une, il paraît que la nouvelle n’est pas née.

— Vraiment, reprenait une seconde, il est fâcheux pour nous d’avoir à nous commettre avec de telles espèces.

Puis elles se mirent à s’entretenir devant moi de l’illustration de leurs familles et des hautes destinées auxquelles chacune se prétendait appelée.

— Et vous, me demanda Michelle de Canillac, qui donc épouserez-vous?

— J’épouserai un Marquis, fis-je avec assurance.

— Un Marquis! vous! se récria-t-elle.

Et moi, interprétant son exclamation dans un sens tout opposé :

— Vous avez raison, dis-je, un Marquis serait trop peu pour moi; j’épouserai donc un Duc.

Elles furent si suffoquées par mon audace qu’elles ne trouvèrent rien à répliquer. Mais depuis lors, en manière de dérision, elles ne m’appelèrent que «la Duchesse!»

Eh bien! Duchesse m’a baptisée leur malignité, Duchesse je me suis promis de devenir. Mais, pour ne rien exagérer, je ne dis pas que si je suis réduite à épouser un Marquis, je ne m’y résignerai pas, mais c’est pour le moins un Marquis qu’il me faut; de cela, je n’en saurais rien rabattre.

Je ne serai, du reste, pas la première que les millions de son père feront trouver de bonne maison. Mme de Toisy, qui vit dans l’intimité des Noailles, est tout bonnement née Jappin. M. Ruellan, qui se fait appeler du Rocher-Portail, du nom de la première terre qu’il acheta, avait commencé par être charretier au service d’un marchand de toile. Il se plaisait à raconter à mon père que le jour où, déjà grand, il chaussa sa première paire de souliers, il ne savait comment marcher faute d’habitude. Sa femme, fille d’un fruitier de Fougères, a été elle-même femme de chambre; cela n’a pas empêché leur fille, Mlle Guyonne Ruellan, d’épouser le Duc de Cossé-Brissac qui fait remonter la tige de leur race à l’Empereur romain Cocceius Nerva, et de faire à merveilles sa grande dame, assise à la cour, trônant sous le dais et parcourant la ville en chaise à housse. Et Mlle La Bazinières dont le père, de son vrai nom Macé Bertrand, était fils d’un paysan d’Anjou et fut même laquais chez un président, elle n’en a pas moins épousé le comte de Nancré. Et la Maréchale de l’Hôpital qui recevait la ville et la cour, avait les plus belles pierreries du monde et des perles plus grosses que celle de la Reine, et qui finit par épouser, secrètement il est vrai, le Roi Jean Casimir de Pologne, après son abdication, nul n’ignore qu’elle était, dans sa jeunesse, une simple lingère de Grenoble. Et tant d’autres que je ne nomme pas; la liste en serait trop longue, car, ainsi que le dit mon père, il est peu de familles dans le monde qui ne touchent aux plus grands princes par une extrémité, et par l’autre au simple peuple.

Tu vas penser que je suis prompte à prendre mes désirs pour des réalités. Bien chimériques sont, en effet, des espérances uniquement fondées sur le secret du cahier vert de Margot!... Ah! ma Nysette, celles de mes anciennes compagnes qui sont nées, ne sauront jamais ce que c’est que désirer une chose avec ardeur! Moi, pour être Duchesse, j’accepterais... ou, plutôt, que n’accepterais-je pas! Comme je comprends la femme de l’Électeur Palatin disant: «J’aimerais mieux être réduite à ne manger que du pain pendant toute ma vie et être Reine, que vivre dans l’abondance de tous les biens et n’être la femme que d’un simple Électeur!»

Ta CATHO qui baise cent fois sa Nysette.

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