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Claude d’Oraison à Geneviève de Bonneval.

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A Paris, le 5 mars 1694.

Mon cœur, je l’ai vu enfin, l’aimable Matou, le petit Minet dont Pauline me dit depuis si longtemps merveilles. Là-dessus, je t’entends me faire cent questions: «Comment est-il?... Tu lui as parlé ?...» Et ceci, et cela?... Ma bonne, il est à cent piques au-dessus de ce que publie de lui la renommée: un air, des manières, une voix, un port de tête... Il est incomparable, te dis-je, et tu sais ses succès à la cour. Personne ne l’égale à la danse, et du mérite avec cela! la tenue de son régiment lui a valu les éloges du Maréchal de Lorges. Tu serais ravie de sa conversation; de l’esprit comme sa grand-mère, cela ne tarit pas!

Il me fit un compliment le mieux tourné du monde. Il n’est que juste de dire que sa famille me paraît voir d’un fort bon œil, je suis déjà en grande amitié avec Pauline; elle est aux regrets de son prochain départ pour Grignan qui va nous séparer. Hier la Marquise de Sévigné me baisa et me caressa de la plus aimable manière, et son idole de fille me gracieusa fort. Que te dirai-je? je crois que ma petite personne ne paraît point déplaire à tous ces gens-là.

J’ai rencontré chez Mme de Coulanges... Devine un peu... je te le donne en cent...... Inutile de chercher, tu ne trouverais pas..... J’ai rencontré Marguerite de Saint-Amant!... Oui, mon cœur, cette bonne Margot! Je ne lui ai pas caché mon étonnement de la retrouver en noble compagnie, quoique, entre nous, si les Coulanges reçoivent la meilleure compagnie, on est aussi exposé à rencontrer chez eux d’étranges espèces.

Après le départ de la mère et de la fille, la Maréchale de Villeroy a conté tout au long leur histoire.

Il paraît que le grand-père, Guillaume de Saint-Amant, qui habite encore Montpellier, a fait emplette, il y a quelque quinze ans, de la charge de Conseiller secrétaire du Roi, maison, couronne de France et de ses finances, vacantes par la résignation d’un sieur André Le Grand, si bien qu’il s’en faut encore de six ans pour qu’il soit anobli; il le sera en 1700 s’il vit jusque-là.

Quant au père, le sieur Arnaud de Saint-Amant, figure-toi qu’il avait d’abord à Marseille une commission pour les vivres, puis il a été trésorier des États du Languedoc; enfin, depuis quelques années déjà, il est fermier général des domaines, cinq grosses fermes et domaines d’Occident. Comme tu le peux croire, il ne s’en vante pas et ne se qualifie qu’Écuyer. A celui qui prétendrait qu’il n’a pas le droit de porter ce titre, il peut répondre qu’il y a tous les droits du monde, ayant acheté sa noblesse à beaux deniers comptants. Pour ce qui est de Mme de Saint-Amant, elle s’est voulu donner le ridicule de mettre le de devant son nom très roturier d’Anne Racine. Tu vois que ce sont d’étranges espèces, et que, malgré leur immense- fortune, ils auront quelque peine à se pousser dans le monde.

Pour moi, je m’applaudis fort de m’être toujours refusée, au couvent, à traiter Margot d’égale à égale, encore que je ne fusse point exactement renseignée sur le néant de ses origines. En vérité, il est inconcevable que l’on nous ait fait nous commettre avec les filles de gens tout frais débarbouillés de leur roture.

Mais c’est faire bien de l’honneur à ces gens-là que de perdre mon temps à. débrouiller leurs origines obscures, non parce qu’elles se perdent dans la nuit des temps comme celle des Grignans qui remonte, paraît-il, à l’an 600, ce qui les fait plus nobles que le Roi lui-même, mais bien parce que, avant celui qui cherche à faire à son nom un piédestal de sa fortune, ce nom était dans le plus profond néant.

Tante Isabeau est dans une parfaite jubilation. Toute sa vie, elle n’a eu qu’une idée en tête: le mariage, pour elle d’abord, puis pour les autres quand, de par sa laideur et son peu de fortune, elle a fini par comprendre qu’elle y devait renoncer pour son propre compte. A peine remontées en carosse:

— Je pense, me dit-elle, que désormais vous n’accueillerez plus par l’irrévérencieux refrain: «tout songe n’est que mensonge», les explications que je vous donne de vos propres rêves et des miens.

Après ses combinaisons matrimoniales, il n’est, pour tante Isabeau, de plus vif intérêt dans la vie, que l’interprétation des songes. Je demandai:

— A quel propos me dites-vous cela, tante Isabeau?

— Mais à propos du songe que j’ai fait cette nuit; vous savez que j’ai rêvé d’enterrement,

— Nous n’avons pas appris de mort, il me semble.

— Eh! ne vous ai-je pas bien expliqué que rêver d’enterrement signifie mariage.

— C’est vrai, fis-je innocemment, nous avons appris plusieurs mariages: celui de Mlle de Louvois, celui de Mlle de Dangeau...

— Eh! vous savez, friponne, que ce n’est ni du mariage de Mlle de Louvois, ni de celui de Mlle de Dangeau qu’il s’agit.

— Vraiment? repris-je avec candeur, il a été question d’un troisième mariage?

— Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre! Mais moi qui, Dieu merci! ne suis plus une tête à l’évent, je tiens pour assuré qu’il y aura bientôt, de par le monde, une nouvelle Marquise, et vous n’oublierez pas, Claudette, que c’est moi qui, la première, vous en fais mon compliment.

Marquise, moi, Marquise de Grignan! qu’en dis-tu, mon cœur?... Encore une vision de tante Isabeau, sans doute. C’est bien le quatrième prétendant que son imagination me jette ainsi à la tête.

Ce qui est la plus vraie des réalités, c’est la tendre affection de

Ta CLAUDE.

Mésalliance

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