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Voil qui est bien décidé : j’entrerai en religion, je pourrai prendre le voile blanc avec Suzanne de Saucourt. Elle sera bien surprise, ma chère Suzanne! il me semble l’entendre: «Eh! quoi! toi aussi?... mais comment? pourquoi?»... Pourquoi? oui, au fait, pourquoi est-ce que je veux aller au couvent? Ce matin encore on m’eût bien étonnée en me disant que je choisirais librement cette vocation religieuse pour laquelle jusqu’ici j’ai eu si peu d’attrait.....

Je ne sais plus du tout où j’en suis. Cette petite folle de Catho vient, selon sa détestable habitude, d’entrer en tourbillon dans ma chambre. Je ferme aussitôt mon cahier, mais la petite tombe en arrêt devant et, sans nul souci de mes reproches sur la brusquerie de ses manières:

— Ah! ah! fait-elle avec malice, je vois ce qu’il en est.

— Quoi donc, que voyez-vous?

— Vous écrivez votre journal, vous aussi!

— J’écris mon journal, après?

— Après?... Si vous croyez que je ne sais pas ce que cela veut dire!... Au couvent, quand une blanche écrivait son journal, c’est qu’elle était amoureuse. C’est Ghislaine, la sœur de Saucourt, qui me l’a dit; ainsi... Même elle avait commencé son journal, elle aussi, parce que... mais vous ne le direz pas, au moins; c’est un secret, vous comprenez...

— Vous êtes une sotte, Catho, avec vos histoires à dormir debout.

— Voire! ce ne sont pas des histoires!... Margot, ma toute bonne Margot, dites-moi le nom de celui que vous aimez?

Le nom de celui que j’aime! Elle prend bien son temps, Catho! Me venir parler amour et mariage juste au moment où j’y viens de renoncer pour toujours!... Je me suis empressée de la renvoyer et de tirer le verrou pour n’être plus dérangée; j’étais en grande transe qu’elle ne vît cette miniature. Heureusement j’avais pu la glisser sous mon cahier... Où donc est-elle? Ah! la voilà... Qu’il a grand air! que cet uniforme bleu et argent lui sied bien! quelle noble fierté dans son regard!... Ah! bien, qu’est-ce donc que je fais?... Si Catho me surprenait dans cette contemplation, c’est pour le coup qu’elle supposerait que ce pauvre cahier vert est destiné à recevoir mes confidences d’amour! Rien de plus faux pourtant, puisque je suis résolue, fermement résolue, à entrer au couvent.

J’irai donc au couvent; mais, ainsi que je l’écrivais au moment où est entrée cette folle Catho, je serais bien embarrassée d’expliquer ce qui m’a fait prendre une telle détermination.

Voyons pourtant; je veux savoir; je ne veux pas perdre cette habitude de sincérité avec moi-même dont me louait mère Sainte-Gertrude.

Quel est donc l’événement de cette journée, si semblable aux autres en apparence, qui a décidé de ma vocation?

Et d’abord, si semblable, n’est pas tout à fait exact. Depuis que j’ai quitté le couvent, je mène une vie très retirée et ne m’en plains pas, étant fort timide de mon naturel. Aujourd’hui, j’ai dû accompagner ma mère qui allait rendre ses devoirs à Mme de Coulanges. J’ai eu le grand plaisir de rencontrer chez elle la Marquise de Sévigné que je désirais fort connaître, encore que ma timidité me fit appréhender de paraître devant une personne si célèbre par les agréments de son esprit. Il y avait nombreuse compagnie: la Comtesse de Grignan, beauté encore fort imposante, sa fille toute jolie et aimable, la Duchesse de Villars, Mme de Vins, M. l’Abbé Têtu, Mlle d’Oraison, sa nièce Claude, et quantité d’autres personnes de qualité.

Je n’eus qu’un médiocre plaisir à rencontrer Claude que je n’avais point revue depuis notre sortie du couvent des filles de la Visitation de Sainte-Marie de la rue Saint-Antoine. Elle interrompit sa conversation avec Mlle de Grignan pour me dire, avec cet air de hauteur qu’elle prenait toujours avec moi au couvent:

— Vous ici, Margot! Après le singulier hasard qui nous a réunies au couvent, je n’imaginais pas que nous aurions de nouvelles occasions de nous rencontrer.

Elle disait cela pour me mortifier; les filles nobles étant seules admises au couvent de la Visitation, ce n’est que par exception, à la suite de services rendus par mon père à la communauté, que nous y fûmes reçues comme pensionnaires, ma sœur et moi. Certaines de mes compagnes, au premier rang desquelles était Claude, ne manquaient jamais une occasion de me faire sentir, par leur air protecteur et leurs railleries, que je devais tenir à grand honneur d’être admise en leur noble compagnie.

Je me contentai de répondre aux peu obligeantes paroles de Claude:

— Le hasard est si grand!

Elle reprit alors sa conversation avec Mlle de Grignan; il s’agissait de sa prochaine présentation à la cour. Je ne l’écoutais que distraitement, bien plus intéressée par la conversation de la Marquise de Sévigné. C’est un charme incomparable de l’entendre parler; ses propos sont tour à tour sérieux ou badins; elle a une noble facilité dans ses expressions et quelquefois une négligence hardie plus heureuse que la plus parfaite correction. Il fut tour à tour question des mérites du Père de la Rue qui prêche le carême à Saint-Paul et du mariage de Mlle de Louvois qui doit prochainement épouser le Marquis d’Alincourt. Mme de Coulanges se mit ensuite à tenir les plus étranges propos. Il s’agissait d’un gros Matou fort laid mais de très haute mine, et d’un délicieux petit Minet dont toutes ces dames raffolaient, et qui était un véritable foudre de guerre. M. de Coulanges, m’avisant dans mon coin, l’air stupide d’étonnement:

— Voilà, dit-il, une belle personne bien silencieuse, mais que le chapitre Minet paraît fort intéresser!

— J’aime aussi beaucoup les chats, fis-je; j’en ai un très beau, mais il n’est pas brave du tout.

La compagnie fit de grands éclats de rire, et j’eus la mortification d’apprendre que le vieux Matou n’était rien moins que le Comte de Grignan, et le jeune Minet, son fils, le Marquis de Grignan, présentement colonel du régiment de Grignan-Cavalerie. Mme de Coulanges fit alors circuler une miniature du jeune colonel qu’elle allait, disait-elle, faire monter en bracelet, et toutes les dames se récrièrent sur sa bonne mine, son air galant et la beauté de son uniforme.

Claude, qui vit le portrait la dernière, le rendit à Mme de Coulanges sans me le montrer; mais celle-ci, m’appelant près d’elle, me le passa, disant:

— Que vous semble, jeune personne, de ce beau colonel? N’avons-nous pas raison de dire que c’est le plus délicieux Minet du monde?

— Et vous allez voir, reprit la Marquise de Sévigné, que l’original n’est pas au-dessous de la copie, le jeune Matou ayant promis à sa mère et à moi de nous rejoindre ici.

Cela me mit au supplice, j’étais en grande transe de voir entrer le Marquis et qu’on lui contât ma sotte méprise. Heureusement, ma mère prit congé avant sa venue.

Claude me dit:

— Eh! bien donc, puisque, contre toutes les apparences, nous nous sommes rencontrées, je ne vous dis plus adieu, mais au revoir.

— Il est pourtant peu probable que vous ayez l’occasion de me rencontrer à la cour.

— Eh! peut-on savoir! fit-elle avec raillerie; vous l’avez dit vous-même: le hasard est si grand!

Comme nous étions dans l’escalier, nous croisâmes un jeune homme vêtu de la plus leste et galante manière, et que je reconnus aussitôt pour le beau colonel du portrait. Il redescendit trois marches pour nous laisser passer et nous fit un grand salut. Je me réjouis bien de n’avoir pas eu à subir le feu de ses regards railleurs à propos de ma ridicule confusion.

En rentrant, grande a été ma surprise; j’ai trouvé, nichée dans le falbalas de ma mante, la miniature du marquis. Dans mon embarras de me trouver debout au milieu du cercle, j’ai dû la laisser glisser en refermant la petite boîte qui la contenait.

Pour éviter des reproches sur ma maladresse, je me suis décidée à la garder. A notre prochaine visite à Mme de Coulanges, je la glisserai moi-même sur une console au moment où personne ne s’en apercevra.

Décidément, je n’ai jamais vu plus jolie miniature; je ne suis pas fâchée de la pouvoir examiner un peu à loisir; elle est d’une rare ressemblance.

Claude connaît le Marquis. Elle a dû être bien aise de causer avec lui après mon départ. Ils se rencontreront sans doute à la cour. Il parait que le Marquis y est accueilli avec une faveur marquée, aussi bien pour la grâce incomparable de sa danse que pour son rare mérite à la guerre. Pour moi, il est probable que je ne le verrai plus; je n’irai point à la cour, moi!... Non, j’irai au couvent. C’est même pour rechercher les causes de ma subite vocation que j’écris ces pages... Mais qu’est-il besoin de chercher... Quoi de plus naturel que mon désir d’entrer au couvent! Qu’ai-je à sacrifier que je puisse regretter? S’il s’agissait de Claude, oui, ce serait un sacrifice pour elle. Sa vie s’annonce heureuse et brillante: elle jouira des fêtes, des plaisirs de la cour. Elle épousera un gentilhomme de naissance illustre et de haute mine, comme le Marquis, par exemple; tandis que moi, malgré la fortune de mon père..... Oh! certes! qu’est-il besoin de chercher? je n’ai que trop de raisons d’entrer au couvent!.....

Mésalliance

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