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VII

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Mon père étant absent, je viens de confier à ma mère mon désir d’entrer en religion. Elle a paru surprise et m’a dit que mon père avait d’autres vues, qu’on lui avait parlé pour moi d’une grande alliance, et qu’il ne me permettrait pas de traverser ses projets.

Je n’ai pas protesté. Ma mère, ayant toujours été la-plus soumise des épouses, ne saurait imaginer que la volonté de mon père pût ne pas décider souverainement de mon avenir. Mais, sur une si grave question, j’espère trouver le courage d’une respectueuse résistance.

Comme ma mère quittait la chambre où je lui avais fait ma confidence, Catho se dégage des plis du rideau qui l’enveloppaient, dans l’embrasure de la fenêtre, et, sans me laisser le temps de lui reprocher son insdiscrétion:

— Êtes-vous folle, Margot! Aller au couvent, vous? mais cela n’a pas le sens commun!

— Je voudrais bien savoir ce que vous faisiez derrière ce rideau.

— Je lisais: précisément cette Suite du Menteur de M. Corneille:

Quand les arrêts du ciel nous ont faits l’un pour l’autre...

— Mais ne deviez-vous pas vous montrer quand j’ai dit à notre mère que j’avais quelque chose à lui confier?

— Voire! que j’allais si mal choisir mon temps!... Moi qui croyais enfin tenir la clef du mystère de votre fameux cahier vert!

— Eh bien! votre curiosité est satisfaite, je suppose, je vais au couvent; ce n’est pas là un mystère bien palpitant!

Et Catho de hocher la tête:

— C’est à savoir! Vous allez au couvent, fort bien! mais pourquoi voulez-vous y aller?

— Apparemment parce que j’ai la vocation religieuse.

— Hum!... Voilà une vocation bien soudaine! Il n’y a pas si. longtemps nous faisions des projets d’avenir, et, tout comme moi, vous acceptiez fort bien l’idée du mariage... Tenez, le lendemain d’une de ces conversations, vous avez précisément commencé votre cahier vert. J’en ai conclu que l’idée du mariage avait dû se préciser pour vous en la personne d’un galant cavalier.

— Eh bien! vous voyez que votre perspicacité s’est trouvée en défaut.

— A moins que, une supposition: vous vous êtes éprise d’un prince du sang; notre père a beau dire que les millions sont de bonne maison, comme il y aurait peut-être quelque difficulté à conclure le mariage, dans la triste certitude dé n’être jamais qu’un vil néant aux yeux de l’objet de votre flamme, vous allez chercher au couvent l’oubli d’un amour malheureux.

— C’est vraiment trop de bonté d’écouter de telles folies et je vous quitte la place.

— Ah! ah! vous vous fâchez, Margot! Serait-ce donc que j’ai rencontré juste?... Si, seulement, je pouvais savoir...

Je n’en ai pas voulu entendre davantage..... Elle est insupportable, cette Catho!... Un prince du sang! quelle sotte idée!... J’ai bien affaire d’un prince du sang!... Et d’abord, si j’aimais, le titre ne me serait de rien..... Le Marquis de Grignan, par exemple, fût-il d’une naissance obscure, n’effacerait-il pas, par sa bonne mine, tous ceux du rang le plus illustre? N’est-il point de ceux dont on peut dire avec M. Racine:

En quelque rang obscur que le sort l’eût fait naître,

Le monde, en le voyant, eût reconnu son maître!

Décidément je dois brûler ce portrait; je n’ai pas le droit de le garder après avoir déclaré à ma mère ma vocation religieuse.

Il paraît que Claude est partie pour Aix: voir sa tante Abbesse de la Visitation est le prétexte de ce voyage; la vraie raison est le séjour qu’elle va faire cet été à Grignan. Il y a sans doute un projet de mariage entre elle et le Marquis... Se peut-il que ce soit elle qu’il épousera!... Elle ou une autre, qu’importe? Le Marquis n’est-il pas un étranger, presque un inconnu pour moi? Je l’ai aperçu deux fois, quelques instants à peine; lui, il n’a levé sur moi qu’un regard distrait. Nos routes se sont croisées un moment pour se séparer à jamais...

Et pourtant!... je suis une étrangère pour lui, mais lui n’est plus un étranger pour moi... Ah! ce portrait, c’est lui qui est cause de tout!... Il me semble que ses yeux pénètrent au fond de mon âme et savent y lire des choses que je me voudrais pouvoir cacher à moi-même.

Ah! qui me sauvera de moi-même?... Qui m’aidera à oublier? Quand donc les grilles du cloître s’élèveront-elles entre moi et ce monde qui ne me pourrait donner que tristesses et déceptions!...

Mlle de Grignan m’a témoigné une vraie sympathie: si, du moins, j’étais en correspondance avec elle, je saurais des détails sur le séjour de Claude à Grignan. Elle n’y trouvera pas le Marquis, en ce moment à l’armée; mais, dès que les troupes prendront leur quartier d’hiver, il ne manquera pas de la rejoindre.

Que pouvait-il bien lui dire, l’autre jour, chez Mme de Coulanges? Il souriait en la regardant de ce regard tendre et hardi qu’il a sur son portrait. Il l’aime, sans doute; et elle?... Ah! peut-on le voir sans l’aimer!...

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