Читать книгу Mésalliance - Marcel Dhanys - Страница 5
III
ОглавлениеJ’espérais que mon projet de vocation religieuse m’établirait, sinon dans la joie, du moins dans la paix intérieure. Il n’en est rien. Je traverse une période singulièrement troublée: j’ai de ridicules distractions, de subites rêveries qui, je dois bien l’avouer, ne m’entraînent pas toutes derrière les grilles d’un cloître.
Ce matin, je lisais La suite du Menteur de M. Corneille. Je goûte particulièrement cette lecture depuis que j’ai entendu Mme de Sévigné faire un si grand éloge de ce poète. La Maréchale de Villeroy ayant dit en manière de badinerie que les discours de M. de Caderousse étaient empanachés comme les tirades des héros de M. Corneille, Mme de Sévigné répliqua avec vivacité :
— Je vous le cède, il a de l’enflure, mais qu’est cela à côté des beautés qui étincellent en ses ouvrages. Pardonnons-lui de mauvais vers en faveur de tant de sublimes beautés.
J’étais donc toute à ma lecture lorsque, selon une de ses détestables habitudes, Catho s’est venue pencher sur mon épaule pour voir ce que je lisais.
— C’est intéressant, Margot, ce que vous lisez là ?
— Très intéressant! dis-je, dans l’espoir de me débarrasser au plus tôt de son importunité.
— J’en suis bien assurée! reprend Catho en riant. Il s’agit sans nul doute d’une belle qui soupire pour quelque galant cavalier, et confie à quelque muet confident le tendre mystère de son cœur.
— Quelle rêverie est-ce là ! dis-je impatientée.
Mais, tirant prestement le volume à elle, Calho parcourt la page que je lisais et déclame avec emphase:
Quand les destins du ciel nous ont fait l’un pour l’autre,
Lise, c’est un accord bientôt fait que le nôtre.
Ah! Ah! quand je le disais! poursuit-elle malicieusement! Que je voudrais donc savoir, aimable Margot, le nom de celui à qui vous êtes destinée de par les arrêts du ciel!
— Laissez-moi en repos, Catho, vous dites cent folies.
— Voire! Si je pouvais seulement fourrer le bout de mon nez dans votre cahier vert, j’en saurais long sur vos secrets!
Me sentant rougir, je me lève avec dépit et quitte la place à cette sotte Catho. Et la voilà bien convaincue, par ma rougeur, que ce cahier vert recèle de tendres secrets. Comme elle serait déçue, si elle pouvait, ainsi qu’elle le souhaite, y fourrer le bout de son nez!.... Elle n’y trouverait que des résolutions de renoncement à toutes les tendresses humaines... Il y a bien aussi cette miniature du Marquis qui lui ferait faire mille suppositions. Je la cache soigneusement dans mon cahier, en attendant de la pouvoir reporter chez Mme de Coulanges.
J’imagine que ce portrait pourrait bien avoir quelque part à mon trouble de ces derniers jours. Je le regarde parfois longuement, car ce portrait exerce sur moi une sorte de fascination. Il me semble alors qu’il s’anime d’une vie mystérieuse; le Marquis plonge hardiment ses yeux tendres et rieurs dans les miens, un sourire railleur se joue sur ses lèvres, et je me sens rougir comme si j’étais vraiment en sa présence.
Oh! ce regard! il me poursuit partout. J’ai beau fermer les yeux, il est sur mon visage comme une caresse, il me pénètre jusqu’à l’âme pendant que le sourire triomphant semble railler ma confusion.
Je voudrais pouvoir rendre demain ce portrait, je comprends que je ne retrouverai la paix intérieure que lorsque je ne sentirai plus sur moi la caresse vivante de ce regard.