Читать книгу La Rochelle disparue - Émile Couneau - Страница 11
LES TOURS
ОглавлениеTout cet ensemble de murailles formait un vaste quadrilatère, dont les plus grands côtés présentaient le flanc, — au levant et au couchant, — à des marais et à des cours d’eau servant de défenses naturelles; tandis que le front nord, attenant directement à la terre ferme, devait être plus solidement défendu.
D’espace en espace, une série de petites tours engagées dans la muraille, en rompait la ligne et en assurait la solidité. Dès que la fortification formait un coude, ou présentait seulement un léger infléchissement, une forte tour en occupait l’angle et défendait ainsi les deux fronts à la fois. Ces importantes constructions, munies de créneaux et de mâchicoulis, la plupart coiffées d’une poivrière en ardoises, s’élevaient à une grande hauteur au-dessus de cette ceinture de pierre et donnaient un aspect puissant et pittoresque à la physionomie générale de la ville.
ENTRÉE DE LA VERDIÈRE
Si nous suivons l’itinéraire que nous indiquions tout-à-l’heure, en décrivant la direction des murailles, nous trouvons sur le front ouest, à partir de la tour de la Lanterne, la tour du Padé, haute construction que les gravures du temps nous montrent de forme ronde, couronnée de mâchicoulis et de créneaux et recouverte d’une toiture conique en ardoises. Elle était tout près du canal de la Verdière, dans les jardins de la rue Réaumur qui font face à l’ancienne rue du Moulin Loquemau, aujourd’hui rue de la Cloche.
Pendant le dernier siège, «un grand pan de mu-
« raille — dit Jourdan — qui s’étendait de la porte des Deux-Moulins à la tour du
«Padé, soit qu’il fut trop surchargé de parapets, soit qu’il ait été battu depuis longtemps
«par le canon du fort Louis et de l’Epine, s’écroule sur une longueur de quarante
«toises, jusqu’à ses fondements. Les assiégeants crurent voir le doigt de Dieu, dans cet
«accident naturel, mais les Rochelais, hommes, femmes et enfants, sans s’effrayer des
«boulets ennemis, travaillèrent avec une infatigable ardeur, jusqu’à ce que la brèche eut
«été réparée.»
Un peu plus loin, se trouvaient les tours de la Verdière, qui défendaient l’entrée de la porte Chef-de-Ville, située comme nous l’avons indiqué plus haut. C’est de là que partit le premier coup de canon qui, le 10 septembre 1627, devait ouvrir les hostilités entre les armées du roi et les défenseurs de la ville.
Déjà, Richelieu avait donné l’ordre de construire une série d’ouvrages avancés, dirigés contre la place. Il n’y eut alors plus de doute, dans l’esprit des Rochelais, sur les intentions hostiles du cardinal; le maire fit tirer le canon sur les ouvriers qui travaillaient à la construction du fort Louis, perpétuelle menace contre la sécurité de la ville. Ce fut là le commencement de ce siège, qui devait durer dix-huit mois.
En remontant vers le nord, nous trouvons les restes de l’ancien château; et plus loin, à l’angle nord-ouest de la fortification, la tour Sermaise, ou de la Crique, construite sur le bord du chenal de Parthenay, tout près du bastion de l’Evangile, dont elle complétait la défense.
A l’angle nord-est, à quelques pas de l’église Notre-Dame, s’élevait la tour d’Aix, ou du Prieuré d’Aix, formant, avec la porte de Cougnes et le fort Notre-Dame, un ensemble d’ouvrages extrêmement importants. Cette tour portait le nom d’ «Aix» à raison des droits concédés aux moines de l’Ile d’Aix, fondateurs et patrons de Sainte-Marie-de-Cougnes, et dont le monastère, dans cette île, relevait de la célèbre abbaye de Cluny. C’est à cet ordre religieux qu’on doit les constructions des églises Notre - Dame et Saint-Barthélemy, comme nous le verrons plus loin. Les gravures de l’époque nous montrent cet édifice de forme ronde, garni de créneaux et de parapets, mais privé de sa toiture, malgré l’indication d’un mur circulaire intérieur, destiné à la supporter.
L’ÉCHELLE CHAUVIN
Vers le milieu du front est, au saillant de la fortification, à l’endroit où celle-ci formait un angle rentrant, se trouvait un ouvrage important appelé : Plate-forme et Cavalier de l’Ecorcherie, flanqué, en retrait, de deux tours: celles de l’Echelle de la Couronne et de l’Echelle Chauvin, à l’extrémité est de la rue, qui porte encore ce nom. «Il existait — dit Jourdan — de distance en distance, pour monter sur les murailles, des escaliers que nos pères appelaient eschalles, ou échelles; Chauvin doit être un nom propre, mais trop obscur pour que le souvenir de celui qui l’a porté soit venu jusqu’à nous.»
Dans l’angle rentrant formé par la Prée Maubec, — à l’endroit où se soudait, au X IIIe siècle, la première enceinte n’englobant pas le faubourg de Cougnes, — on rencontrait la tour de la Vieille-Boucherie (anciennement de la Maillotière) tout près de la porte Mallevault, moins importante que les précédentes, puisque, par sa position en retrait de la fortification, elle ne constituait pas un point susceptible d’être attaqué par l’ennemi,
«En l’année 1360 — dit Amos Barbot — les maires, échevins et pairs acquirent, par échange, des religieux, abbé et couvent de Notre-Dame de Moureilles, la place et la maison qui appartenait auxdits abbé et religieux, prés le temple de Saint-Sauveur, qui est le lieu où de présent est construite la tour appelée de Moureille, autrement: des Privilèges». Et plus loin, il ajoute: «En 1410, furent parachevées les sept tours de Moureilles, dont le tout avait été commencé en l’an 1399.»
Cette tour de Moureilles était à l’angle sud-est de la fortification; le canal de la Moulinette passait à ses pieds, et tout le front, dont parle Amos Barbot, faisait face à la partie marécageuse de la Prée Maubec.
Dans la description que Masse fait de ce monument, il indique qu’il était de forme circulaire et qu’il avait cinquante-cinq pieds de hauteur, jusqu’au chemin de ronde; qu’il était couronné de créneaux à mâchicoulis. Il était surmonté d’une tour plus étroite, qui supportait une toiture en poivrière; sa hauteur totale était de seize toises, et l’épaisseur de ses murs de seize pieds. A l’intérieur, quatre pièces étaient superposées: les trois inférieures, voûtées, communiquaient par un escalier pratiqué dans l’épaisseur de la muraille; les deux salles principales, au rez-de-chaussée et au premier étage, étaient de forme octogonale, avec des nervures reposant sur des colonnettes et convergeant vers le centre de la voûte ogivale.
PLAN DE LA TOUR DE MOUREILLES
A l’extérieur, à la hauteur du chemin de ronde, se trouvaient trois écussons: le premier, placé au milieu, représente les armes de France, sous lesquelles galope un cavalier sur son destrier; dans le second, à gauche, on reconnaît encore le navire fleurdelysé, emblême de la ville de La Rochelle, mais le troisième est indéchiffrable; peut-être portait-il les armes d’un maire.
Jehan Mérichon, pendant sa première mairie, de 1419 à 1426, y fit déposer le livre, dans lequel il avait fait établir la liste des maires qui l’avaient précédé, en accompagnant cette nomenclature du récit des événements importants, arrivés au cours de leur magistrature. A partir de cette époque, cet édifice fut spécialement consacré à la conservation des actes administratifs de la ville.
Cette construction massive, presque sans ouvertures, devait être, à l’intérieur, trop obscure pour être appropriée à recevoir des titres qu’on devait consulter. Aussi, fût-on obligé de pratiquer, au travers de cette épaisse muraille (en 1491, dit Colin), une large baie, avec balcon de pierre. C’est dans cette pièce, ainsi aménagée, que se trouvaient les archives de la commune, tandis que celles de l’Eglise réformée étaient classées au second étage. Ces documents représentaient le précieux dépôt que les Rochelais appelaient à juste titre: le Trésor de la Ville. C’est là qu’étaient religieusement conservés, dans des cassettes de bois bien closes, cotés par lettres alphabétiques: les registres du corps de ville, les titres constituant les privilèges octroyés par nos rois et le duc de Guyenne, les papiers et comptes des trésoriers. et receveurs des hospices, les registres des conseils et résolutions de la ville, véritables reliques, où se trouvait consignée toute la glorieuse histoire de la cité. On y fit également le dépôt de la confession de foi adoptée par le synode national des protestants réuni à La Rochelle, le 2 avril 1571, dans lequel la doctrine et la discipline de la religion nouvelle furent nettement déterminées.
CARTOUCHE DE LA TOUR DE MOUREILLES
Après la reddition de la ville, en 1628, ordre fut donné, de par le roi: que tous les titres de la commune de La Rochelle seraient envoyés à la Cour des Comptes; ces archives étaient considérables, et ce fut seulement trois ans plus tard qu’il en fut fait huit grands ballots que l’on dut expédier à Paris; et cent ans après, en 1737, tous ces documents d’une valeur inestimable, devinrent la proie des flammes.
Il semble, cependant, que ces parchemins n’étaient pas plus en sûreté, dans la tour de Moureilles qu’à la Cour des Comptes. Une maison voisine, toute remplie de cordages goudronnés, prit feu le 2 septembre 1632; la flamme enveloppa la tour et embrasa la charpente qui fut entièrement consumée; les dégâts intérieurs ne furent pas moins importants. Le même jour, le vieil édifice avait été concédé aux Récolets, pour servir de clocher à leur église. Après sa mise en état, Louis XIV, en 1690, le racheta des Récolets pour en faire un magasin à poudre.
TOUR DE MOUREILLES
Avec cette nouvelle destination, les craintes d’incendie devenaient plus redoutables que jamais. Cependant, la tour de Moureilles fut épargnée par le feu, dans la nuit du 11 au 12 mars 1705. Un incendie d’une extrême violence se déclara dans les servitudes du couvent des Récolets, atteignit leur nouveau clocher et fondit les cloches. On dût craindre une formidable explosion qui, heureusement, ne se produisit pas.
Sans qu’il y ait rien de précis à cet égard, il y a tout lieu de penser que la tour de Moureilles, n’ayant plus d’utilité, dût être démolie quand on construisit l’arsenal en 1786. On peut, à juste titre, déplorer la disparition de ce monument d’un autre âge, dont le souvenir se rattachait si étroitement à l’histoire de la ville, lorsqu’on voit la banale construction édifiée à sa place. Les derniers soubassements, retrouvés il y a quelques années, permettent d’affirmer que cette tour s’élevait prés du canal Maubec, entre le couvent des Dames-Blanches et l’arsenal.
Telles étaient les constructions importantes qui complétaient l’ensemble des murailles de la ville, en y comprenant tout le front sud, battu par la mer, depuis la porte Saint-Nicolas jusqu’à la tour de la Lanterne.
XXX
La Tour de Moureilles
Et le Canal Maubee
Nous nous réservons de parler plus loin des tours de l’entrée du port qui, par leur importance, méritent d’être traitées dans un chapitre spécial.