Читать книгу La Rochelle disparue - Émile Couneau - Страница 17
LA DERNIÈRE ENCEINTE
ОглавлениеLe démantèlement complet de La Rochelle donnait toute sécurité au pouvoir royal. Les habitants, dans une cité «ouverte», ne pouvaient plus songer à reconquérir leur antique indépendance; mais, par contre, La Rochelle — ce point important du littoral — restait sans défense contre les ennemis du dehors. L’Espagne, l’Angleterre, la Hollande, tenaient tête à Louis XIV et menaçaient d’opérer un débarquement sur nos côtes. Pour ne pas donner à ces redoutables adversaires l’idée de s’emparer de La Rochelle, Louvois conçut le singulier projet de raser simplement toute la ville et de combler le port. Heureusement, le maréchal de Lorges, auquel le roi avait confié le commandement des côtes de la Loire à la Gironde, entrava les volontés du ministre de la Guerre, et confia à M. de Ferry, ingénieur général, le soin de relever au plus vite les murailles de la ville. Ce travail fut exécuté avec une rapidité surprenante. En 1689, six mille hommes, bien dirigés, mirent quarante jours à donner une forme appréciable à la ligne que devait suivre la fortification projetée.
ARMOIRIES AU-DESSUS DE LA NOUVELLE PORTE MAUBEC
Des habitations s’étaient établies en dehors du périmètre des anciennes murailles, si bien qu’elles durent être englobées dans cette nouvelle enceinte qui prit, de ce fait, une étendue plus considérable que les précédentes. Ce furent les faubourgs de Lafond et de Tasdon qui souffrirent le plus de cette extension. Les maisons abattues servirent à la construction des bastions réédifiés; on y employa également les matériaux provenant de la démolition du Grand-Temple, sur la place d’Armes, qui avait été incendié deux ans auparavant, le 9 février 1687.
La place du Château — dont nous reparlerons plus loin — fut déblayée des constructions qui l’encombraient, et devint le superbe quadrilatère que nous voyons aujourd’hui.
PORTE DE VILLE. (D’APRÈS BOURNAUD)
Après dix ans de travail, vers 1700, les fortifications actuelles étaient complètement terminées. Seul, le front ouest restait en talus de terre, sans revêtement de pierre, tel qu’il existe de nos jours. La porte Neuve était flanquée d’un corps de garde, aux colonnes doriques, que nous avons vu récemment disparaître. Les talus du front ouest ne devaient être — paraît-il — qu’une défense provisoire.
Masse nous a laissé la description des grands projets de M. de Ferry, qui comptait faire de La Rochelle «une des plus belles places du royaume.» Il avait conçu le dessein d’élever une citadelle à la place du fort Louis, et de comprendre, dans le périmètre des fortifications, tous les terrains depuis la digue de Richelieu jusqu’à Saint-Maurice; le mur d’enceinte devait partir de la tour de la Lanterne, suivre le rivage jusqu’au fort Louis (où eut été placée la porte des Deux-Moulins); de là, rejoindre le lieu dit la Trompette et venir se souder au bastion de la porte Dauphine.
M. Le Pelletier de Souzy, intendant des fortifications de France, donna son adhésion à ce vaste projet, mais malheureusement, la mort, en 1700, ne permit pas à M. de Ferry de réaliser le plan qu’il avait conçu. Vauban qui, d’après Masse, jalousait son collègue, s’opposa à l’établissement d’une enceinte aussi étendue. Les travaux furent alors menés avec une extrême lenteur; le front ouest resta inachevé et la dépense totale de nos fortifications actuelles s’éleva à treize cent mille livres.
S’il eut été donné suite à la vaste conception de M. de Ferry, la ville eut pris une extension double de celle qu’elle occupe aujourd’hui. Le front ouest nivelé, les habitations eussent rapidement couvert toute cette énorme superficie, enclose et soudée à la vieille ville, et nous ne pouvons soupçonner les conséquences qui eussent pu résulter, pour La Rochelle, de la réalisation d’une entreprise aussi gigantesque.
PROJET DE FORTIFICATIONS DE LA VILLE, PAR M. DE FERRY, EN 1700
C’est encore à M. de Ferry qu’on doit le plan de la porte Dauphine qu’on nommait, au moment où elle fut construite: la porte du Landa. «Lorsqu’on y passa pour la première fois, le 9 mars 1698, elle fit l’admiration de nos concitoyens», — dit Brunzen de la Martinière. — Il n’y avait vraiment pas de quoi!
Les deux corps de caserne qui se trouvent à droite et à gauche de la porte Dauphine, furent construits de 1702 à 1710. On peut se faire une idée, par la description qu’en donne Masse, de ce qu’était à cette époque la vie du soldat. «Il existait, dans les deux bâtiments à trois étages, 96 chambres, et chacune d’elles contenait 6 lits à trois soldats par lit. Ce qui permettait de coucher 1728 soldats. A quoi on joignait encore 48 lits dans les greniers dans un des corps. Ce qui fait qu’on pouvait loger commodément 1872 hommes, ou trois bataillons complets.»
CORPS DE GARDE DE LA PORTE NEUVE
Enfin, la porte Royale est d’une époque plus récente. Elle fut commencée en 1700. On y travailla à diverses reprises et elle était encore inachevée en 1718.
Le projet consistait à faire, au-dessus des voûtes du corps de garde, un logement pour l’aide-major, et à y installer d’autres services. La façade intérieure devait être dans toutes les règles de l’ordre toscan; les colonnes sont restées à mi-hauteur. Mais le lieutenant-général du royaume ordonna de cesser ce travail et fit couvrir les voûtes simplement avec des tuiles.
Sous la première Révolution, le Conseil municipal décida que, sur chaque porte de ville figurerait l’inscription suivante: la Convention on la mort! Exprimant ainsi: «le vœu que tout bon citoyen doit former.»
La ville est restée jusqu’à nos jours astreinte, d’une manière rigoureuse, à tous les règlements militaires d’une place forte. Mais, il y a quelques années, la suppression des zônes les plus reculées eut pour résultat de dégrever de leurs servitudes des terrains sur lesquels il était interdit d’élever aucune construction.
Alors, — suivant cette règle étrange et inexpliquée et cependant indéniable, qui veut que les villes aient toutes une tendance à s’agrandir du côté de l’ouest, comme si elles voulaient bénéficier plus longtemps encore des derniers rayons du soleil, — La Rochelle vit, au couchant de ses murailles, sur des plaines arides et des marais fangeux, surgir de nombreuses habitations; et, sur les coteaux dénudés qui dominent la mer, s’élever au milieu de la verdure, de charmantes villas et de superbes résidences.
Aujourd’hui, le déclassement de la ville de La Rochelle comme place forte a été décidé, en vertu d’une mesure législative du 25 mars 1902. — Et comme conséquence, la ville sera démantelée.
LE FRONT OUEST AVANT LA CRÉATION DU PARC
Nous n’avons point à envisager les résultats administratifs et financiers qu’entraînera une pareille résolution. Mais nous ne saurions méconnaître que, quand La Rochelle n’offrira plus que l’aspect banal d’une ville ouverte, elle aura perdu, à tout jamais, le caractère pittoresque qu’elle devait à son enceinte fortifiée.
LE PARC
Les glacis du front ouest présentaient naguère un aspect triste et abandonné ; seule, la crête des remparts était garnie de grands ormeaux derrière lesquels se profilaient les divers monuments de la ville. Ces terrains vagues ont été convertis, depuis, en promenades publiques que viennent entrecouper des lacs et des cours d’eau. Aussi, ne verrions-nous pas sans regret disparaître — sinon toutes les fortifications de la ville — du moins les talus du front ouest avec leur ceinture d’arbres séculaires et leurs larges fossés, formant un encadrement superbe au verdoyant jardin qui va de la place d’Armes à la mer. Ce parc, tout ensoleillé, avec ses pelouses et ses massifs, ses sites habilement ménagés, forme un agréable contraste avec l’aspect étrange de nos rues tortueuses et sombres. C’est la note moderne et gaie, à côté de la physionomie grave et sévère de l’antique cité.
Voilà, dans ses grandes lignes, les phases successives par lesquelles ont passé les quatre ceintures de murailles derrière lesquelles, à diverses époques, nos pères ont soutenu tant de luttes héroïques pour la défense de leurs convictions religieuses et de leurs franchises communales.
LES TOURS DE L’ENTRÉE DU PORT
(Restitution)
XVme Siècle.
Imp. L. Fort, Paris.