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LA TOUR DE LA CHAINE

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Les annalistes rochelais pensent tous qu’avant la construction des tours qui défendent l’entrée du port, il devait y avoir, sur les mêmes fondations, des ouvrages moins importants, mais dont la nécessité s’imposait dans le but d’opposer un obstacle aux approches de l’ennemi du côté de la mer. Jourdan base cette opinion sur une mention faite au sujet de tours — qui ne pouvaient être celles actuelles — protégeant l’entrée du port, à l’époque où Louis VIII délivra la ville de l’occupation anglaise, en 1224. Ces constructions devaient se rattacher à la muraille, construite en 1199, qui reliait le faubourg du Perrot (quartier Saint-Jean) à la ville.

Il ne reste aucune indication précise sur le moment où les constructions actuelles furent substituées aux ouvrages antérieurs. Il est question, pour la première fois, de la tour de la Chaîne, lorsque le Corps de ville fut appelé à nommer le capitaine préposé à la garde de cette tour, en 1345.

Masse est plus affirmatif: il dit que la tour de la Chaîne fut bâtie en 1378 et achevée en 1380, — deux ans seulement pour une construction de cette importance! la chose paraît peu vraisemblable.

La confusion que les historiens ont souvent faite dans les appellations des tours de l’entrée du port — surtout en ce qui concerne la grosse et la petite tour de la Chaîne — rend encore plus obscures les explications qu’ils en ont données.

On lit dans le manuscrit de Conain, à la date de 1382: «Comme la grosse tour de la Chaisne, vers le Perrot, estoit tout en ruine, on la fit receper dés les fondements et elle fut commencée à bastir de pierres de taille, ce qui fut continué les années suivantes...» Et — dit le livre de la Paterne, écrit en 1468 — : «fut achevée la tour neuve de la Chesnc, en icelluy an 1390.» Ce que confirme Baudouin, quand il écrit: «Le Corps de ville, ayant continué la construction de la grosse tour de la Chaisne, la fit rendre du tout en sa perfection et avoit icelle commencé à faire receper dès l’an 1382.» D’où on peut conclure que cette tour date de 1382 à 1390.

On remarquait — dit Mervault — sur cette tour les statues de Charles V et de sa femme, dont Masse a relevé le dessin — fort incorrect, d’ailleurs. «Leurs têtes — dit Jourdan — que le temps avait déjà fortement égratignées, ne portent plus trace de couronne, on peut seulement reconnaître un sceptre dans la baguette ou le bâton fleurdelysé que l’un et l’autre tiennent à la main; d’ailleurs, leur place au-dessus des armoiries de la ville et du maire, doivent compléter la preuve que ce sont bien des statues royales. Mais, comme elles n’étaient reconnaissables par aucune inscription, ni signes caractéristiques, Mervault a bien pu prendre pour celles de Charles-le-Sage et de Jeanne de Bourbon, les statues de Charles VI, le fou, et d’Isabeau de Bavière, de si triste mémoire. Si encore il était possible de distinguer à quel maire appartient l’écusson armorié qui se trouvait immédiatement au-dessous: un griffon accroupi tenant sous sa griffe gauche une sorte de monstre! Malheureusement, nous ne connaissons les armes que d’un bien petit nombre de maires, et nous ignorons complètement auquel se rapportent celles-ci, sur l’exactitude desquelles l’inhabileté du dessinateur ne permet guère, d’ailleurs, de compter.»

STATUES SUR LA TOUR DE LA CHAINE


La tour de la Chaîne est celle qui a le plus souffert des trois tours dont nous nous occupons dans ce chapitre. Elle n’est plus qu’un cylindre, dépourvu de sa toiture et vide à l’intérieur. Sa hauteur, de 20 mètres actuellement, était primitivement de 34 mètres, de la base au parapet. Elle était couronnée de créneaux à meurtrières cruciformes, avec mâchicoulis. Son diamètre est de 16 mètres et sa muraille en a 3 et demi d’épaisseur.

La salle du rez-de-chaussée, qui existe encore, est octogone et les nervures de ses voûtes d’arête, de forme ogivale, retombent sur des colonnettes. Celle du premier étage, aujourd’hui effondrée, reposait sur des culs-de-lampe à face humaine. Les deux étages supérieurs n’avaient que des planchers, dont les poutres s’appuyaient sur des consoles que l’on voit encore.

Entre les deux parois concentriques de cette robuste construction, des réduits ont été pratiqués pour recevoir, plus tard, des canons; les escaliers se développaient dans l’épaisseur de cette double muraille.

LA GRANDE ET LA PETITE TOUR DE LA CHAINE


Sur le sommet de cette sorte de tour intérieure, dont la crête dépassait de quelques mètres le parapet, était établie une chapuce, ou toiture en forme de poivrière en ardoise, qui, refaite plusieurs fois à des hauteurs différentes, fut définitivement «recouverte tout à bout — dit un chroniqueur — sous l’année 1588.»

Cette tour serait encore dans le même état de conservation que les deux autres, si elle n’eût été l’objet d’un acte de vandalisme de la part du comte du Doignon. Celui-ci était gouverneur général du pays d’Aunis et avait établi son logement dans la tour de la Chaîne, qu’il avait fait solidement fortifier, en même temps que la courtine de la tour de la Lanterne. Ayant pris parti pour le prince de Condé contre le roi, les troupes royales et les milices rochelaises voulurent le déloger de cette sorte de repaire. Plutôt que de tomber aux mains de ceux qui le cernaient, il mit le feu aux poudres dont il avait fait une ample provision, et l’édifice s’effondra, le 19 novembre 1651, sous une formidable explosion.

LA TOUR DE LA CHAINE. (D’APRÈS MASSE)


«Cette tour fut tellement détériorée — dit le Mercure Rochelais — qu’en une matinée, la fureur de ces rebelles détruisit un pompeux et superbe édifice, pour qui l’insolence des temps avait eu du respect. Ces soldats, pour ne pas être victimes de l’explosion, s’étaient réfugiés dans la tour Saint-Nicolas, en traversant le chenal à la nage.»

Ce n’est qu’au commencement du siècle dernier qu’on a nivelé le couronnement de la tour de la Chaîne. Il eut été bien plus intéressant de la laisser dans l’état où elle se trouvait après la catastrophe, telle que Masse l’a dessinée et que J. Vernet l’a reproduite dans son tableau du Port de La Rochelle.

Entre la grosse tour et la petite tour de la Chaîne, dont nous parlons ci-après, se trouvaient divers corps de bâtiments, assez vastes pour servir de corps de garde aux milices bourgeoises et pour y loger le capitaine préposé à la garde des tours. Ce poste était jugé d’une telle importance, que le titulaire prêtait serment de fidélité aux mains du maire, et était tenu d’y résider avec sa famille, sans découcher la nuit, afin d’exercer une active vigilance, en cas de surprise de l’ennemi.

Il y a tout lieu de croire que c’est sur la vitre d’une des fenêtres de ces appartements, que Louis XI grava, avec le diamant qu’il avait au doigt, les mots rapportés par tous les historiens: «Oh! la grande folie!» faisant allusion à la faute qu’il avait commise en abandonnant à son frère, le duc de Guyenne, le pays d’Aunis et de Saintonge, et en particulier La Rochelle, qu’il considérait comme un port de première utilité pour la prospérité commerciale de son royaume.

La Rochelle disparue

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