Читать книгу Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique) - Molière - Страница 115
Scène III, 4
ОглавлениеPolydore
S’être ainsi marié sans qu’on en ait su rien!
Puisse cette action se terminer à bien!
Je ne sais qu’en attendre, et je crains fort du père
Et la grande richesse et la juste colère.
Mais je l’aperçois seul.
Albert
Dieu! Polydore vient!
Polydore
Je tremble à l’aborder.
Albert
La crainte me retient.
Polydore
Par où lui débuter?
Albert
Quel sera mon langage?
Polydore
Son âme est toute émue.
Albert
Il change de visage.
Polydore
Je vois, seigneur Albert, au trouble de vos yeux,
Que vous savez déjà qui m’amène en ces lieux.
Albert
Hélas! Oui.
Polydore
La nouvelle a droit de vous surprendre,
Et je n’eusse pas cru ce que je viens d’apprendre.
Albert
J’en dois rougir de honte et de confusion.
Polydore
Je treuve condamnable une telle action,
Et je ne prétends point excuser le coupable
Albert
Dieu fait miséricorde au pécheur misérable.
Polydore
C’est ce qui doit par vous être considéré.
Albert
Il faut être chrétien.
Polydore
Il est très-assuré.
Albert
Grâce au nom de Dieu, grâce, ô seigneur Polydore!
Polydore
Eh! C’est moi qui de vous présentement l’implore.
Albert
Afin de l’obtenir je me jette à genoux.
Polydore
Je dois en cet état être plutôt que vous.
Albert
Prenez quelque pitié de ma triste aventure.
Polydore
Je suis le suppliant dans une telle injure.
Albert
Vous me fendez le coeur avec cette bonté.
Polydore
Vous me rendez confus de tant d’humilité.
Albert
Pardon, encore un coup.
Polydore
Hélas! Pardon vous-même.
Albert
J’ai de cette action une douleur extrême.
Polydore
Et moi, j’en suis touché de même au dernier point.
Albert
J’ose vous convier qu’elle n’éclate point.
Polydore
Hélas! Seigneur Albert, je ne veux autre chose.
Albert
Conservons mon honneur.
Polydore
Hé! Oui, je m’y dispose.
Albert
Quant au bien qu’il faudra, vous-même en résoudrez.
Polydore
Je ne veux de vos biens que ce que vous voudrez:
De tous ces intérêts je vous ferai le maître;
Et je suis trop content si vous le pouvez être.
Albert
Hé! Quel homme de Dieu! Quel excès de douceur!
Polydore
Quelle douceur, vous-même: après un tel malheur!
Albert
Que puissiez-vous avoir toutes choses prospères!
Polydore
Le bon Dieu vous maintienne!
Albert
Embrassons-nous en frères.
Polydore
J’y consens de grand coeur, et me réjouis fort
Que tout soit terminé par un heureux accord.
Albert
J’en rends grâces au ciel.
Polydore
Il ne vous faut rien feindre:
Votre ressentiment me donnoit lieu de craindre;
Et Lucile tombée en faute avec mon fils,
Comme on vous voit puissant et de biens et d’amis…
Albert
Heu! Que parlez-vous là de faute et de Lucile?
Polydore
Soit, ne commençons point un discours inutile.
Je veux bien que mon fils y trempe grandement;
Même, si cela fait à votre allégement,
J’avouerai qu’à lui seul en est toute la faute;
Que votre fille avoit une vertu trop haute
Pour avoir jamais fait ce pas contre l’honneur,
Sans l’incitation d’un méchant suborneur;
Que le traître a séduit sa pudeur innocente,
Et de votre conduite ainsi détruit l’attente.
Puisque la chose est faite, et que selon mes voeux
Un esprit de douceur nous met d’accord tous deux,
Ne ramentevons rien, et réparons l’offense
Par la solennité d’une heureuse alliance.
Albert
Oh! Dieu! Quelle méprise! Et qu’est-ce qu’il m’apprend?
Je rentre ici d’un trouble en un autre aussi grand.
Dans ces divers transports je ne sais que répondre;
Et si je dis un mot, j’ai peur de me confondre.
Polydore
À quoi pensez-vous là, seigneur Albert?
Albert
À rien.
Remettons, je vous prie, à tantôt l’entretien:
Un mal subit me prend, qui veut que je vous laisse.