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Scène IV, 2

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Éraste

Encore rebuté?

Gros-René

Jamais ambassadeur ne fut moins écouté:

À peine ai-je voulu lui porter la nouvelle

Du moment d’entretien que vous souhaitiez d’elle,

Qu’elle m’a répondu, tenant son quant-à-moi:

Va, va, je fais état de lui comme de toi;

Dis-lui qu’il se promène; et sur ce beau langage,

Pour suivre son chemin m’a tourné le visage;

Et Marinette aussi, d’un dédaigneux museau

Lâchant un laissenous, beau valet de carreau,

M’a planté là comme elle: et mon sort et le vôtre

N’ont rien à se pouvoir reprocher l’un à l’autre.

Éraste

L’ingrate! Recevoir avec tant de fierté

Le prompt retour d’un coeur justement emporté!

Quoi? Le premier transport d’un amour qu’on abuse

Sous tant de vraisemblance est indigne d’excuse?

Et ma plus vive ardeur, en ce moment fatal,

Devoit être insensible au bonheur d’un rival?

Tout autre n’eût pas fait même chose en ma place,

Et se fût moins laissé surprendre à tant d’audace?

De mes justes soupçons suis-je sorti trop tard?

Je n’ai point attendu de serments de sa part;

Et lorsque tout le monde encor ne sait qu’en croire,

Ce coeur impatient lui rend toute sa gloire,

Il cherche à s’excuser; et le sien voit si peu

Dans ce profond respect la grandeur de mon feu!

Loin d’assurer une âme, et lui fournir des armes

Contre ce qu’un rival lui veut donner d’alarmes,

L’ingrate m’abandonne à mon jaloux transport,

Et rejette de moi message, écrit, abord!

Ha! Sans doute, un amour a peu de violence,

Qu’est capable d’éteindre une si foible offense;

Et ce dépit si prompt à s’armer de rigueur

Découvre assez pour moi tout le fond de son coeur,

Et de quel prix doit être à présent à mon âme

Tout ce dont son caprice a pu flatter ma flamme.

Non, je ne prétends plus demeurer engagé

Pour un coeur où je vois le peu de part que j’ai;

Et puisque l’on témoigne une froideur extrême

À conserver les gens, je veux faire de même.

Gros-René

Et moi de même aussi: soyons tous deux fâchés,

Et mettons notre amour au rang des vieux péchés.

Il faut apprendre à vivre à ce sexe volage,

Et lui faire sentir que l’on a du courage.

Qui souffre ses mépris les veut bien recevoir.

Si nous avions l’esprit de nous faire valoir,

Les femmes n’auroient pas la parole si haute.

Oh! Qu’elles nous sont bien fières par notre faute!

Je veux être pendu, si nous ne les verrions

Sauter à notre cou plus que nous ne voudrions,

Sans tous ces vils devoirs dont la plupart des hommes

Les gâtent tous les jours dans le siècle où nous sommes.

Éraste

Pour moi, sur toute chose, un mépris me surprend;

Et pour punir le sien par un autre aussi grand,

Je veux mettre en mon coeur une nouvelle flamme.

Gros-René

Et moi, je ne veux plus m’embarrasser de femme:

À toutes je renonce, et crois, en bonne foi,

Que vous feriez fort bien de faire comme moi.

Car, voyez-vous, la femme est, comme on dit, mon maître,

Un certain animal difficile à connoître,

Et de qui la nature est fort encline au mal;

Et comme un animal est toujours animal,

Et ne sera jamais qu’animal, quand sa vie

Dureroit cent mille ans, aussi, sans repartie,

La femme est toujours femme, et jamais ne sera

Que femme, tant qu’entier le monde durera;

D’où vient qu’un certain Grec dit que sa tête passe

Pour un sable mouvant; car, goûtez bien, de grâce,

Ce raisonnement-ci, lequel est des plus forts:

Ainsi que la tête est comme le chef du corps,

Et que le corps sans chef est pire qu’une bête:

Si le chef n’est pas bien d’accord avec la tête,

Que tout ne soit pas bien réglé par le compas,

Nous voyons arriver de certains embarras;

La partie brutale alors veut prendre empire

Dessus la sensitive, et l’on voit que l’un tire

À dia, l’autre à hurhaut; l’un demande du mou,

L’autre du dur; enfin tout va sans savoir où:

Pour montrer qu’ici-bas, ainsi qu’on l’interprète,

La tête d’une femme est comme la girouette

Au haut d’une maison, qui tourne au premier vent.

C’est pourquoi le cousin Aristote souvent

La compare à la mer; d’où vient qu’on dit qu’au monde

On ne peut rien trouver de si stable que l’onde.

Or, par comparaison (car la comparaison

Nous fait distinctement comprendre une raison,

Et nous aimons bien mieux, nous autres gens d’étude,

Une comparaison qu’une similitude),

Par comparaison donc, mon maître, s’il vous plaît,

Comme on voit que la mer, quand l’orage s’accroît,

Vient à se courroucer; le vent souffle et ravage,

Les flots contre les flots font un remu-ménage

Horrible; et le vaisseau, malgré le nautonier,

Va tantôt à la cave, et tantôt au grenier:

Ainsi, quand une femme a sa tête fantasque,

On voit une tempête en forme de bourrasque,

Qui veut compétiter par de certains… Propos;

Et lors un… Certain vent, qui par… De certains flots,

De… Certaine façon, ainsi qu’un banc de sable…

Quand… Les femmes enfin ne valent pas le diable.

Éraste

C’est fort bien raisonner.

Gros-René

Assez bien, Dieu merci.

Mais je les vois, monsieur, qui passent par ici.

Tenez-vous ferme, au moins.

Éraste

Ne te mets pas en peine.

Gros-René

J’ai bien peur que ses yeux resserrent votre chaîne.

Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique)

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