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Scène III, 9

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Mascarille

Seigneur Albert, au moins, silence. Enfin, madame,

Toute chose conspire au bonheur de votre âme,

Et monsieur votre père, averti de vos feux,

Vous laisse votre époux et confirme vos voeux,

Pourvu que bannissant toutes craintes frivoles,

Deux mots de votre aveu confirment nos paroles.

Lucile

Que me vient donc conter ce coquin assuré?

Mascarille

Bon! Me voilà déjà d’un beau titre honoré.

Lucile

Sachons un peu, monsieur, quelle belle saillie

Fait ce conte galand qu’aujourd’hui l’on publie.

Valère

Pardon, charmant objet, un valet a parlé,

Et j’ai vu malgré moi notre hymen révélé.

Lucile

Notre hymen?

Valère

On sait tout, adorable Lucile,

Et vouloir déguiser est un soin inutile.

Lucile

Quoi? L’ardeur de mes feux vous a fait mon époux?

Valère

C’est un bien qui me doit faire mille jaloux;

Mais j’impute bien moins ce bonheur de ma flamme

À l’ardeur de vos feux qu’aux bontés de votre âme.

Je sais que vous avez sujet de vous fâcher,

Que c’étoit un secret que vous vouliez cacher;

Et j’ai de mes transports forcé la violence

À ne point violer votre expresse défense; Mais…

Mascarille

Hé bien! Oui, c’est moi: le grand mal que voilà!

Lucile

Est-il une imposture égale à celle-là?

Vous l’osez soutenir en ma présence même,

Et pensez m’obtenir par ce beau stratagème?

Oh! Le plaisant amant, dont la galante ardeur

Veut blesser mon honneur au défaut de mon coeur,

Et que mon père, ému de l’éclat d’un sot conte,

Paye avec mon hymen qui me couvre de honte!

Quand tout contribueroit à votre passion:

Mon père, les destins, mon inclination,

On me verroit combattre, en ma juste colère,

Mon inclination, les destins et mon père,

Perdre même le jour, avant que de m’unir

À qui par ce moyen auroit cru m’obtenir.

Allez; et si mon sexe, avecque bienséance,

Se pouvoit emporter à quelque violence,

Je vous apprendrois bien à me traiter ainsi.

Valère

C’en est fait, son courroux ne peut être adouci.

Mascarille

Laissez-moi lui parler. Eh! Madame, de grâce,

À quoi bon maintenant toute cette grimace?

Quelle est votre pensée? Et quel bourru transport

Contre vos propres voeux vous fait roidir si fort?

Si monsieur votre père étoit homme farouche,

Passe; mais il permet que la raison le touche,

Et lui-même m’a dit qu’une confession

Vous va tout obtenir de son affection.

Vous sentez, je crois bien, quelque petite honte

À faire un libre aveu de l’amour qui vous dompte;

Mais s’il vous a fait perdre un peu de liberté,

Par un bon mariage on voit tout rajusté;

Et quoi que l’on reproche au feu qui vous consomme,

Le mal n’est pas si grand, que de tuer un homme.

On sait que la chair est fragile quelquefois,

Et qu’une fille enfin n’est ni caillou ni bois.

Vous n’avez pas été sans doute la première,

Et vous ne serez pas, que je crois, la dernière.

Lucile

Quoi? Vous pouvez ouïr ces discours effrontés,

Et vous ne dites mot à ces indignités?

Albert

Que veux-tu que je die? Une telle aventure

Me met tout hors de moi.

Mascarille

Madame, je vous jure

Que déjà vous devriez avoir tout confessé.

Lucile

Et quoi donc confesser?

Mascarille

Quoi? Ce qui s’est passé

Entre mon maître et vous: la belle raillerie!

Lucile

Et que s’est-il passé, monstre d’effronterie,

Entre ton maître et moi?

Mascarille

Vous devez, que je croi,

En savoir un peu plus de nouvelles que moi,

Et pour vous cette nuit fut trop douce, pour croire

Que vous puissiez si vite en perdre la mémoire.

Lucile

C’est trop souffrir, mon père, un impudent valet.

Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique)

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